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Everard gardait le silence.

Il le garda jusqu’à ce qu’un des chevaux, qui avait tiré sur son licou pendant le tintamarre et qui était encore nerveux, se mît à hennir.

Everard leva la tête, mais ses yeux scrutèrent en vain les ténèbres.

— Avez-vous entendu quelque chose, John ?

Le pinceau lumineux de la torche électrique tomba sur lui.

Un instant, il écarquilla les yeux, aveuglé. Puis il se dressa sur ses pieds et porta la main à son paralyseur tout en poussant un juron. Une ombre bondit de derrière un arbre. Elle le heurta en plein dans les côtes. Il recula en chancelant et déchargea son pistolet au jugé.

La lampe électrique décrivit un arc de cercle. Everard aperçut Sandoval. Le Navajo n’avait pas repris ses armes sur lui. Les mains nues, il esquiva le coup d’une épée mongole. Celui qui la maniait s’élança après lui. Sandoval appliqua les leçons de judo apprises à la Patrouille. Il mit un genou en terre ; le Mongol fit tournoyer son épée, manqua son coup et, déséquilibré, alla donner du ventre contre l’épaule massive de Sandoval. Celui-ci se remit debout sous l’effet du choc. Son poing atteignit le Mongol au menton. La tête casquée fut rejetée en arrière. Du tranchant de la main, Sandoval frappa à la pomme d’Adam, arracha l’épée de la main de son possesseur, et se retourna juste à temps pour parer un coup venu de derrière.

Au-dessus du Mongol, une voix s’éleva, glapissant des ordres. Everard recula. Il avait abattu un assaillant d’une décharge de son pistolet paralyseur, mais d’autres s’interposaient entre lui et la machine. Il se tourna pour leur faire face. Une lanière lui encercla les épaules et se serra, tirée par une main experte. Il s’écroula. Quatre hommes lui tombèrent dessus. Il vit une demi-douzaine de talons de lances s’abattre sur le crâne de Sandoval, puis il ne chercha plus qu’à se débattre. Deux fois, il se remit sur pied, mais son paralyseur lui avait échappé au cours de la lutte. Son Mauser fut arraché de l’étui ; les petits hommes jaunes étaient passés maîtres dans l’art du combat de style yawara eux aussi. Ils le jetèrent au sol et le frappèrent de leurs poings, de leurs pieds bottés et du manche de leurs poignards. Il ne perdit pas tout à fait connaissance, mais finit par ne plus se soucier de ce qui lui arrivait.

Toktai leva le camp avant l’aube. Les premiers rayons du soleil virent sa troupe serpenter entre les taillis clairsemés d’une large vallée. Le terrain devenait plat et aride, les montagnes s’éloignaient de plus en plus sur la droite et les quelques pics neigeux restant visibles s’élevaient comme des fantômes dans un ciel pâle.

Les robustes petits chevaux mongols trottaient bon train : bruit mat de sabots, grincements et cliquetis des harnachements. En se retournant, Everard voyait la colonne comme une masse compacte ; les lances se soulevaient et s’abaissaient, les oriflammes, les panaches et les manteaux flottaient en dessous et, encore un peu plus bas, brillaient les casques, coiffant des têtes à la large face brune et aux yeux bridés. Çà et là, apparaissait une cuirasse grotesquement peinte. Personne ne parlait et Everard ne pouvait lire aucune de ces expressions.

Il lui semblait que son cerveau était ensablé. On lui avait laissé les mains libres, mais on avait attaché ses chevilles aux étriers et la corde lui sciait la peau. On l’avait déshabillé – utile précaution, car qui aurait pu dire quels instruments pouvaient être cousus dans ses vêtements ? – et le costume mongol qu’on lui avait donné en échange du sien était si étriqué qu’on avait dû défaire les coutures de la tunique avant qu’il pût la passer.

Le projecteur et le saute-temps étaient restés sur la colline. Toktai n’avait pas voulu se risquer à emporter ces engins redoutables. Il avait dû hurler des menaces à plusieurs de ses guerriers effrayés pour les contraindre à amener les chevaux étrangers, avec leur selle et leur couverture, mais sans leur cavalier, parmi les juments de bât.

Le martèlement des sabots s’accélérait. Un des archers flanquant Everard poussa un grognement et s’écarta légèrement avec son cheval. Li Tai-Tsung vint se placer entre eux deux.

— Alors ? fit le Patrouilleur en jetant au Chinois un regard lourd.

— Je crains que ton ami ne se réveille pas, annonça celui-ci. Je l’ai installé un peu plus confortablement.

Mais attaché sur une litière improvisée entre deux chevaux, et sans connaissance… Oui, une commotion, quand ils l’ont frappé hier soir. Un hôpital de la Patrouille pourrait le remettre d’aplomb assez vite, mais le plus proche bureau de la Patrouille est à Cambaluc, et je ne vois pas Toktai me laissant retourner à ma machine et me servir de la radio de bord. John Sandoval va mourir ici, six cent cinquante ans avant d’avoir vu le jour.

Everard plongea son regard dans les yeux bruns à l’éclat froid, des yeux intéressés, dépourvus d’hostilité, mais étrangers à son sort. Ses efforts seraient vains, il le savait ; des arguments logiques dans sa civilisation étaient vides de sens à cette époque, mais il fallait pourtant essayer.

— Ne pourrais-tu au moins faire comprendre à Toktai quel désastre il va attirer sur lui-même, sur son peuple tout entier, en s’obstinant ainsi ? demanda-t-il.

Li caressa sa barbe en pointe.

— Il est clair, honorable étranger, que ton pays pratique des arts qui nous sont inconnus, dit-il. Mais après ? Les barbares… (Il jeta un coup d’œil aux gardes mongols d’Everard, mais ceux-ci ne concevaient évidemment pas que des royaumes pussent être supérieurs au leur, autrement que par la force des armes.) Nous savons déjà que tu as… altéré la vérité en parlant d’un empire hostile proche de ces territoires. Pourquoi faut-il que ton roi cherche à nous faire fuir avec un mensonge s’il n’a pas de raisons de nous craindre ?

Everard répondit avec circonspection :

— Notre glorieux empereur déteste répandre le sang. Mais si vous l’y contraignez…

— Je t’en prie. (Li parut affligé. Il fit, d’une main maigre, un geste comme pour chasser un insecte.) Dis à Toktai ce que tu voudras et je n’interviendrai pas. Je ne serais pas fâché de rentrer dans mon pays ; je ne suis venu que sur ordre de l’Empereur. Mais en nous parlant ainsi en confidence, tous les deux, ne faisons pas mutuellement injure à notre intelligence. Ne vois-tu pas, éminent seigneur, qu’il n’est aucun mal dont tu puisses menacer ces hommes ? La mort, ils la méprisent. La torture la plus raffinée n’aboutira jamais qu’à leur mort. La mutilation la plus affreuse peut être sans effet sur un homme décidé à mourir sans desserrer les dents. Toktai entrevoit une honte éternelle s’il rebrousse chemin parvenu à ce point, et une bonne chance d’acquérir gloire et fortune s’il poursuit.

Everard soupira. Sa capture humiliante avait été vraiment le tournant de l’affaire. Les Mongols avaient été bien près de fuir devant les éclairs et le tonnerre déchaînés sur eux. Beaucoup s’étaient traînés sur le sol en poussant des gémissements (et ils allaient être maintenant d’autant plus agressifs pour effacer ce souvenir). Toktai avait attaqué la source de feu autant par horreur que par bravade ; quelques hommes et quelques chevaux avaient pu surmonter leur frayeur et le suivre. Li en était partiellement responsable : érudit, sceptique, familiarisé avec les tours de passe-passe et les spectacles pyrotechniques, le Chinois avait poussé Toktai à attaquer avant qu’un de ces éclairs ne fît des victimes dans leurs rangs.

La vérité c’est que nous avons fait une erreur de jugement sur ces gens. Nous aurions dû amener avec nous un Spécialiste, qui aurait eu le sentiment intuitif des nuances de leur culture. Mais au lieu de cela, nous avons pensé qu’un cerveau bourré de faits serait suffisant. Et maintenant ? Une expédition de secours envoyée par la Patrouille finira peut-être par arriver, mais John sera mort d’ici un jour ou deux… Everard regarda le visage de marbre du guerrier qui chevauchait à sa gauche. Et moi aussi, fort probablement. Tout ce à quoi je puis m’attendre, c’est qu’ils me pendent.

Et même si (chance plus que problématique !) il devait survivre et être tiré de cette situation par une autre unité de la Patrouille, il lui serait dur de se trouver en face de ses camarades. Avec tous les privilèges spéciaux de son rang, un Agent Non-Attaché était supposé capable de se sortir de n’importe quel mauvais pas sans aide supplémentaire. Sans mettre en danger d’autres précieuses vies.

— Je te conseille donc très vivement de ne pas tenter d’autres ruses.

— Quoi ? s’exclama Everard en se tournant vers Li.

— Nos guides indigènes se sont enfuis, tu dois le comprendre, dit le Chinois. Et tu as maintenant pris leur place. Mais nous espérons rencontrer d’autres tribus avant longtemps, établir des communications…

Everard hocha la tête. Les tempes lui battaient. Le soleil lui blessait la vue. Il ne s’étonnait pas de l’avance rapide des Mongols à travers des régions aux idiomes les plus divers. Si l’on n’est pas trop exigeant en grammaire, quelques heures suffisent pour s’assimiler quelques mots essentiels et, ensuite, on peut passer des jours ou des semaines à apprendre effectivement à parler avec l’escorte dont on a loué les services.

— … et obtenir des guides d’étape en étape comme nous l’avons fait jusqu’ici, poursuivit Li. Toute fausse indication que tu pourrais nous donner serait bientôt découverte. Toktai la punirait de la façon la plus farouche. En revanche, des services loyaux seront récompensés. Tu peux espérer obtenir une place élevée à la cour provinciale après la conquête.

Everard restait impassible. Cette vantardise exprimée d’un ton calme faisait dans son esprit l’effet d’une explosion.

Il avait compté que la Patrouille enverrait un autre détachement. Evidemment, quelque chose allait empêcher le retour de Toktai. Mais était-ce si évident ? Pourquoi cette intervention avait-elle été ordonnée, s’il n’y avait pas – de quelque manière paradoxale que sa logique du XXe siècle ne parvenait pas à saisir – une incertitude, une faiblesse dans le continuum en ce point précis ?

Sacrebleu ! Peut-être l’expédition mongole allait-elle réussir ! Peut-être tout cet avenir d’un khanat américain auquel Sandoval n’avait pas tout à fait osé songer… était-il l’avenir réel.

Il existe, dans l’espace-temps, des nœuds et des discontinuités. Les lignes de l’univers peuvent faire des retours sur elles-mêmes et se sectionner comme d’un coup de dents, en sorte que les choses et les événements apparaissent sans cause, comme des trémoussements insignifiants vite perdus et oubliés. Tels que Manse Everard, abandonné dans le passé avec un John Sandoval mort, après être venu d’un avenir inexistant en tant qu’agent d’une Patrouille du Temps pareillement inexistante.

Au coucher du soleil, l’allure inhumaine à laquelle elle progressait avait amené l’expédition dans un pays couvert d’armoises et de cactées. Les collines étaient hautes et brunes ; une poussière fine s’élevait comme de la fumée sous les pas des chevaux ; les buissons d’un vert argenté, de plus en plus rares, embaumaient l’air lorsqu’on les écrasait au passage, mais n’avaient rien d’autre à offrir.

Everard aida à allonger Sandoval à terre. Les yeux du Navajo étaient clos, son visage émacié et brûlant. De temps à autre, il s’agitait et murmurait quelques paroles. Everard passa un chiffon humide sur ses lèvres craquelées, mais ne put rien faire d’autre pour le soulager.

Les Mongols dressèrent leur camp avec plus d’entrain que les autres fois. Ils étaient venus à bout de deux grands sorciers et n’avaient pas subi d’autres attaques. Ils commençaient à mesurer la portée de leur victoire. Ils faisaient leurs corvées en bavardant et, après un repas frugal, ils entamèrent leurs gourdes de cuir pleines de kumiss.

Everard resta auprès de Sandoval, vers le milieu du camp. Deux gardes le surveillaient, assis à quelques mètres, silencieux, leur arc à la main. Parfois, l’un d’eux se levait pour aller activer un petit feu. Bientôt, le silence se fit chez leurs camarades également. Pour résistante que fût cette horde, elle ressentait la fatigue ; les hommes se roulèrent dans leurs couvertures et s’endormirent, les sentinelles poursuivirent leurs rondes les yeux emplis de sommeil, les feux de bivouac commencèrent à décliner tandis que les étoiles brillaient au ciel d’un éclat de plus en plus vif. A des kilomètres de là, un coyote lança son jappement. Everard couvrit Sandoval pour le protéger du froid qui tombait ; les flammes de son petit feu faisaient scintiller le givre sur les feuilles d’armoises. Il se pelotonna dans son manteau en souhaitant qu’on lui rendît au moins sa pipe.

Des pas crissèrent sur le sol dur. Les gardes d’Everard saisirent une flèche pour leur arc. Toktai s’avança dans la lumière, en manteau et nu-tête. Les gardes s’inclinèrent profondément.

Toktai s’immobilisa. Everard leva les yeux sur lui et les rabaissa. Le noyon regarda longuement Sandoval. Finalement, presque avec douceur, il dit :

— Je ne crois pas que ton ami verra le soleil se coucher demain.

Everard répondit par un grognement.

— As-tu des médicaments qui pourraient le soulager ? demanda Toktai. Il y a des choses curieuses dans vos sacoches.

— J’ai un remède contre la contagion et un autre contre la douleur, répondit machinalement Everard. Mais pour une fracture du crâne, il faut qu’il soit confié à d’habiles médecins.

Toktai s’assit et tendit ses mains vers le feu.

— Je regrette que nous n’ayons pas de chirurgien avec nous.

— Tu pourrais nous laisser partir, dit Everard sans espoir. Mon chariot, resté au dernier campement, pourrait le transporter en temps voulu où on lui donnerait des soins.

— Tu sais bien que je ne puis te le permettre, dit Toktai avec un rire étouffé. (Sa pitié pour le moribond était épuisée.) Après tout, Everard, c’est toi qui es cause de tout cela.

C’était la stricte vérité et le Patrouilleur ne répliqua rien.