121484.fb2 ?chec aux Mongols - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 6

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— Je ne t’en tiens pas rigueur, poursuivit Toktai. En fait, je tiens toujours à être ton ami. Sinon, je m’arrêterais pendant quelques jours et te ferais sortir de la gorge tout ce que tu sais.

Everard s’enflamma :

— Tu pourrais essayer !

— Et je réussirais, je crois, avec un homme qui est obligé d’emporter des médicaments contre la douleur, dit Toktai avec un rire cruel. Cependant, tu peux être utile comme otage. Et j’apprécie ton courage. Je vais même te faire part d’une idée qui m’est venue. Je pense que tu n’es peut-être pas de ce riche pays méridional. Je pense que tu es un aventurier, que tu fais partie d’une petite bande de chamans. Vous tenez le roi des pays du sud sous votre pouvoir magique, ou vous espérez le tenir, et vous ne voulez pas que des étrangers s’interposent. (Toktai cracha dans le feu.) On a déjà vu cela, et finalement un héros a culbuté le sorcier. Pourquoi pas moi ?

Everard soupira.

— Tu apprendras pourquoi non, noyon. (Il se demandait jusqu’à quel point cette affirmation était justifiée.)

— Oh ! ne peux-tu m’apprendre ne serait-ce que peu de chose, maintenant ? dit Toktai en lui donnant une tape dans le dos. Il n’y a pas de sang entre nous. Soyons amis.

Everard secoua le pouce pour désigner Sandoval.

— Cela est malheureux, dit Toktai, mais il s’est obstiné à résister à un officier du Khan des Khans. Allons, buvons ensemble, Everard. Je vais envoyer un homme chercher une gourde.

Le Patrouilleur fit la grimace.

— Ne comptez pas m’amadouer de cette façon !

— Oh ! ton peuple n’aime pas le kumiss ? Je regrette, niais c’est tout ce que nous avons. Il y a longtemps que nous avons fini avec notre vin.

— Tu pourrais me rendre mon whisky ! (Everard regarda de nouveau Sandoval, puis scruta l’obscurité et sentit le froid l’envahir sournoisement.) Bon Dieu ! Ça ne serait pas du superflu !

— Hein ?

— C’est une boisson de notre pays. Nous en avions un peu dans nos sacoches.

— Eh bien… (Toktai hésita.) C’est bon, viens, nous allons le chercher.

Les gardes suivirent leur chef et leur prisonnier à travers les buissons et les corps allongés des guerriers endormis, jusqu’à un tas de matériel divers également gardé. Une des sentinelles postées là alluma une torche à son feu pour permettre à Everard d’y voir clair. Dans son dos, Everard sentit ses muscles se crisper – des flèches le visaient maintenant, la corde des arcs tendue à se rompre – mais il s’accroupit et fourragea dans ses affaires, en évitant soigneusement tout mouvement précipité. Quand il eut trouvé les deux bidons de scotch, il revint à sa place.

Toktai s’assit en face de lui, de l’autre côté du feu, et le regarda verser une quantité de liquide dans la capsule du bidon et se la jeter dans la gorge.

— Drôle d’odeur, dit-il.

— Essaye, dit le Patrouilleur en lui tendant le bidon.

C’était, de la part d’Everard, une simple réaction contre la solitude. Toktai n’était pas foncièrement mauvais. Pas selon son propre critère de jugement. Et quand on se trouve près d’un compagnon en train de mourir, on boirait avec le diable en personne pour s’empêcher de penser. Le Mongol renifla avec suspicion, regarda Everard, hésita, puis porta le bidon à ses lèvres avec un geste bravache.

— Ou-ou-ouh !

Everard se précipita pour saisir le récipient avant qu’une trop grande quantité de son contenu eût été répandue. Toktai toussait et crachait. Un garde banda son arc, l’autre s’élança pour empoigner Everard par l’épaule tout en brandissant une épée.

— Ce n’est pas du poison ! s’écria le Patrouilleur. C’est trop fort pour lui, voilà tout. Tenez, je vais en boire encore moi-même.

Toktai fit reculer les gardes d’un geste et roula des yeux emplis de larmes.

— Avec quoi est-ce fait ? demanda-t-il en suffoquant. Du sang de dragon ?

— Avec de l’orge. (Everard ne se sentait pas en humeur d’expliquer la distillation. Il se versa une autre rasade d’alcool.) Vas-y, bois ton lait de jument.

Toktai fit claquer sa langue.

— Ça réchauffe n’est-ce pas ? Comme du poivre. (Il allongea une main crasseuse.) Donne-m’en encore un peu.

Everard resta immobile quelques secondes.

— Eh bien ! grogna Toktai.

Le Patrouilleur secoua la tête.

— Je t’ai dit que c’est trop fort pour des Mongols.

— Quoi ? Ecoute un peu, fils de Turc au visage de lait caillé…

— Tu l’auras voulu. Je t’aurai averti charitablement, tes hommes ici en sont témoins, demain tu seras malade comme un chien.

Toktai ingurgita l’alcool, éructa, et rendit le bidon.

— Balivernes ! C’est simplement que je n’y étais pas préparé la première fois. Bois !

Everard prenait son temps et Toktai s’impatientait.

— Dépêche-toi. Non, donne-moi l’autre gourde.

— C’est bon. C’est toi qui commandes. Mais je te préviens, n’essaye pas de me tenir tête, gorgée par gorgée. Tu n’en es pas capable.

— Que veux-tu dire, je n’en suis pas capable ? J’ai laissé vingt hommes ivres morts au cours d’une beuverie dans le Karakoroum. Et pas de ces Chinois pareils à des femmelettes, rien que des Mongols.

Toktai se versa encore un bon demi-décilitre d’alcool.

Everard buvait à petits coups. Mais c’était à peine s’il ressentait l’effet de l’alcool autrement que comme une brûlure dans le gosier. Il avait les nerfs trop tendus. Soudain, il entrevit une façon de s’en sortir.

— Tiens, la nuit est froide, dit-il en offrant son bidon au garde le plus proche de lui. Buvez un coup pour vous réchauffer, les amis.

Toktai leva la tête, l’esprit embué.

— C’est bon ça, objecta-t-il. Trop bon pour…

Il réfléchit et n’acheva pas sa phrase. Si cruel et absolu que fût l’empire mongol, les officiers partageaient équitablement avec les plus humbles de leurs hommes.

Tout en jetant un regard rancunier à son chef, le guerrier se saisit du bidon et le porta à ses lèvres.

— Doucement, dis donc ! s’écria Everard. Ça monte à la tête.

— Moi, rien ne me monte à la tête, dit Toktai en lampant une nouvelle dose du breuvage. Pas plus ivre qu’un bonze. (Il secoua l’index en l’air.) Voilà ce que c’est que d’être Mongol. On est trop dur pour se saouler.