124274.fb2 La nuit des temps - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 26

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— Foutez-nous la paix ! dit Hoover. Dites ce que vous savez, et, pour le reste, ne nous faites plus...

Il se tut, avant de sortir la grossièreté qui lui montait aux lèvres, et termina plus calmement :

— Ne nous faites plus transpirer !

— Je suis une Traductrice, dit la Traductrice, je ne suis pas un hammâm.

Toute la salle s’esclaffa. Hoover sourit et se tourna vers Lukos.

— Je vous félicite, votre fille a de l’esprit, mais elle est un peu casse-machins, non ?

— Elle est méticuleuse, c’est son devoir...

Eléa écoutait, sans chercher à comprendre ces plaisanteries de sauvages qui jouent avec les mots comme les enfants avec les cailloux des plages souterraines. Qu’ils rient, qu’ils pleurent, qu’ils s’irritent, tout cela lui était égal. Il lui était égal aussi de continuer quand on l’en pria. Elle expliqua que la clé portait, inscrits dans sa substance, tout le bagage héréditaire de l’individu et ses caractéristiques physiques et mentales. Elle était envoyée à l’ordinateur central qui la classait, et la modifiait tous les six mois, après un nouvel examen de l’enfant. A sept ans, l’individu était définitif, la clé aussi. Alors avait lieu la Désignation.

— La désignation, qu’est-ce que c’est ? demanda Léonova.

— L’ordinateur central possède toutes les clés, de tous les vivants de Gondawa, et aussi des morts qui ont fait les vivants. Celles que nous portons ne sont que des copies. Chaque jour, l’ordinateur compare entre elles les clés de sept ans. Il connaît tout de tous. Il sait ce que je suis, et aussi ce que je serai. Il trouve parmi les garçons ceux qui sont et qui seront ce qu’il me faut, ce qui me manque, ce dont j’ai besoin et ce que je désire. Et parmi ces garçons il trouve celui pour qui je suis et je serai ce qu’il lui faut, ce qui lui manque, ce dont il a besoin et ce qu’il désire. Alors, il nous désigne l’un à l’autre.

« Le garçon et moi, moi et le garçon, nous sommes comme un caillou qui avait été cassé en deux et dispersé parmi tous les cailloux cassés du monde. L’ordinateur a retrouvé les deux moitiés et les rassemble.

— C’est rationnel, dit Léonova.

— Petit commentaire de la petite fourmi, dit Hoover.

— Laissez-la donc continuer !... Qu’est-ce qu’on en fait, de ces deux gosses ?

Eléa, indifférente, recommença de parler sans regarder personne.

— Ils sont élevés ensemble. Dans la famille de l’un, puis de l’autre, puis dans l’une, puis dans l’autre. Ils prennent ensemble les mêmes goûts, les mêmes habitudes. Ils apprennent ensemble à avoir les mêmes joies. Ils connaissent ensemble comment est le monde, comment est la fille, comment est le garçon. Quand vient le moment où les sexes fleurissent, ils les unissent, et le caillou rassemblé se ressoude et ne fait plus qu’un.

— Superbe ! dit Hoover. Et ça réussit tout le temps ? Votre ordinateur ne se trompe jamais ?

— L’ordinateur ne peut pas se tromper. Parfois un garçon ou une fille change, ou se développe de façon imprévue. Alors les deux morceaux du caillou ne sont plus des moitiés, et ils tombent l’un de l’autre.

— Ils se séparent ?

— Oui.

— Et ceux qui restent ensemble sont très heureux ?

— Tout le monde n’est pas capable d’être heureux. Il y a des couples qui, simplement, ne sont pas malheureux. Il y a ceux qui sont heureux et ceux qui sont très heureux. Et il y en a quelques-uns dont la Désignation a été une réussite absolue, et dont l’union semble avoir commencé au commencement de la vie du monde. Pour ceux-là, le mot bonheur ne suffit pas. Ils sont...

La voix impersonnelle de la Traductrice déclara dans toutes les langues qu’elle connaissait ;

— Il n’y a pas de mot dans votre langue pour traduire le mot qui vient d’être prononcé.

— Vous-même, demanda Hoover, étiez-vous : pas malheureuse, heureuse, très heureuse, ou bien... plus que... machin... inexprimable ?

La voix d’Eléa se figea, devint dure comme du métal.

— Je n’étais pas, dit-elle. NOUS étions...

LES détecteurs immergés au large des côtes de l’Alaska annoncèrent à l’Etat-Major américain que vingt-trois sous-marins atomiques de la flotte polaire russe avaient franchi le détroit de Béring, se dirigeant vers le sud.

Il n’y eut pas de réaction américaine.

Les réseaux d’observation apprirent à l’Etat-Major russe que la septième flottille américaine de satellites stratégiques modifiait son orbite d’attente et l’inclinait vers le sud.

Il n’y eut pas de réaction russe.

Le porte-avions sous-marin européen Neptune I, en croisière le long des côtes d’Afrique occidentale, plongea et mit le cap au sud.

Les ondes chinoises se mirent à hurler, révélant à l’opinion mondiale ces mouvements que tout le monde ignorait encore et dénonçant l’alliance des impérialistes qui voguaient de concert vers le continent antarctique pour y détruire la plus grande espérance de l’humanité.

Alliance, ce n’était pas le mot exact. Entente eût été plus juste. Les gouvernements des pays riches s’étaient mis d’accord, en dehors des Nations unies, pour protéger malgré eux les savants et leur merveilleux et menaçant trésor, contre un raid possible du plus puissant des pays pauvres, dont la population venait de dépasser le milliard. Et même d’un pays moins puissant, moins armé et moins décidé. Même la Suisse, avait dit Rochefoux en plaisantant. Non, bien sûr, pas la Suisse. C’était la nation la plus riche : la paix l’enrichissait, la guerre l’enrichissait, et la menace de guerre ou de paix la rendait riche. Mais n’importe quelle république affamée ou quel tyranneau noir, arabe ou oriental régnant par la force sur la misère, pouvait tenter contre l’EPI un coup de force désespéré, et s’emparer de Coban ou le tuer.

L’entente secrète était descendue jusqu’aux Etats-Majors. Un plan commun avait été dressé. Les escadres marines, sous-marines, aériennes et spatiales se dirigeaient vers le cercle polaire austral pour constituer ensemble, au large du point 612, un bloc défensif et, si c’était nécessaire, offensif.

Les généraux et les amiraux pensaient avec mépris à ces savants ridicules et à leurs petites mitraillettes. Chaque chef d’escadre avait pour instruction de ne laisser, à aucun prix, ce Coban partir chez le voisin. Pour cela, le mieux n’était-il pas d’être là tous ensemble et de se surveiller ?

Il y avait d’autres instructions, plus secrètes, qui ne venaient ni des gouvernements, ni des Etats-Majors.

L’énergie universelle, l’énergie qu’on prend partout, qui ne coûte rien, et qui fabrique tout, c’était la ruine des trusts du pétrole, de l’uranium, de toutes les matières premières. C’ETAIT LA FIN DES MARCHANDS.

Ces instructions plus secrètes, ce n’étaient pas les chefs d’escadre qui les avaient reçues, mais quelques hommes anonymes, perdus parmi les équipages.

Elles disaient, elles aussi, qu’il ne fallait pas laisser Coban aller chez le voisin.

Elles ajoutaient qu’il ne devait aller nulle part.

VOUS êtes une brute ! dit Simon à Hoover. Abstenez-vous de lui poser des questions personnelles.

— Une question sur son bonheur, je ne pensais pas...

— Si ! Vous pensiez ! dit Léonova. Mais vous aimez faire du mal...

— Voudriez-vous avoir l’obligeance de vous taire ? demanda Simon.

Il se tourna vers Eléa et lui demanda si elle désirait continuer.

— Oui, dit Eléa, avec son indifférence revenue. Je vais vous montrer ma Désignation. Cette cérémonie a lieu une fois par an, dans l’Arbre-et-le-Miroir. Il y a un Arbre-et-le-Miroir dans chaque Profondeur. J’ai été désignée dans la 5e Profondeur, où j’étais née...

Elle prit le cercle d’or posé devant elle, l’éleva au-dessus de sa tête, et le coiffa.

Lanson coupa ses caméras, enclencha le câble du podium, et brancha le canal-son sur la Traductrice.

Eléa, la tête entre les mains, ferma les yeux.