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L'homme était grand, avait la peau burinée par le soleil, l'eau et le ciel, les traits émaciés et les yeux, d'un bleu intense et profond, creusés d'une très ancienne fatigue. Ses cheveux blonds étaient coupés court, dans une brosse à l'aspect militaire. Il leur faisait face, maintenant, une main posée sur l'épaule d'Alice qui se blottissait contre lui. Son gros 45 automatique était passé à la ceinture et il regardait Pinto et Hugo avec un mélange de curiosité, de reconnaissance et d'une lueur insondable. Un très vague sourire ornait le coin de ses lèvres, comme la trace indélébile, permanente, d'une forme d'humour très secret.
Une heure auparavant, quand la voix avait éclaté derrière eux, Hugo n'avait pas bougé, comme elle le leur avait indiqué. Pinto s'était figé, comme transformé en statue de sel, mais Alice s'était retournée, et elle avait lâché un petit cri.
– Daddy?
Hugo avait instantanément compris de quoi il s'agissait.
Un bruit de pas sur la roche s'était approché d'eux et Pinto s'était retourné à son tour…
– Putain, s'était-il exclamé, Stephen, qu'est-ce que tu fous…
La voix avait claqué, sèchement.
– Alice, mets-toi de côté, s'il te plaît.
Hugo avait entendu le petit bruit du percuteur qu'on relève. Il avait vu Alice disparaître derrière lui en courant et en criant «daddy» à nouveau.
Il avait entr'aperçu un mélange de larmes et de joie dans le regard de la fillette, à cette ultime seconde. Puis il avait continué calmement de contempler le métal de la porte, les mains bien en vue. Ce n'était pas le moment de faire une connerie. Il compta sur Alice et Pinto pour résoudre le problème.
– Stephen, reprenait Pinto, à la fois soulagé et inquiet, Christus, ça fait des jours qu'on te cherche…
Seul le ressac de l'Océan répondait à Pinto.
Il entendit une petite voix, brisée par l'émotion, égrener quelques mots en anglais, couverts par le bruit des vagues.
– … Ce sont des amis, dad, je te le promets… pas fait de mal, ils m'aident à te retrouver…
Il perçut un vague borborygme, comme un juron étouffé.
Hugo tourna très précautionneusement sur lui-même, dans un geste lent et très fluide, les deux mains à hauteur des oreilles.
Il vit Pinto d'abord, les bras ballants, une sorte de sourire anxieux aux lèvres, les rochers entassés le long de la rampe, l'Océan, puis l'homme, tenant Alice d'un bras et pointant un gros pistolet sur lui.
Le soleil lui faisait presque face et il ne voyait que deux silhouettes, noyées dans une lumière de cuivre en fusion. Mais le gros objet pointé sur lui ne laissait aucun doute.
La grande silhouette qui tenait Alice s'avança encore un peu et sa voix s'éleva à nouveau:
– Qui c'est, ce type?
La voix s'était adressée à Pinto.
– Stephen, putain, c'est un ami. Il se nomme Hugo… heu… Berthold Zukor et putain il a convoyé ta fille d'Amsterdam jusqu'ici.
L'homme n'était plus qu'à quelques mètres et Hugo put commencer à discerner ses traits.
Le regard de l'homme se faisait plus humain, visiblement. La main qui tenait l'arme flottait plus mollement, indiquant le doute et l'hésitation.
Alice se blottit plus profondément contre l'épaule de son père.
– Dad, c'est vrai… Hugo m'a conduite depuis Amsterdam… Il… Il m'a protégée tout ce temps et il m'a sauvée des hommes de maman…
Hugo fit un léger sourire à Alice qui le lui rendit, derrière une buée de larmes contradictoires.
Merci, Alice, pensait-il, en faisant en sorte que le message soit perceptible par son simple regard.
Une sorte d'amitié inaltérable s'était formée entre elle et lui, il pouvait le ressentir comme une marée montante à l'intérieur de son être tout entier.
L'homme observa Hugo avec curiosité.
Il s'apprêta à lui demander quelque chose, puis se retint, regarda Pinto, puis le garage, puis Hugo à nouveau et poussa un soupir.
Il rabattit le percuteur, glissa le pistolet à sa ceinture et tendit franchement la main vers Hugo.
– Veuillez m'excuser… Stephen Travis, comme vous l'avez deviné je suis le père de la petite Alice.
Hugo baissa une main et tendit l'autre.
– Berthold Zukor… mais on m'appelle Hugo. Malgré les apparences je suis extrêmement soulagé de vous rencontrer.
L'homme lui rendit son sourire, avec un bref éclat de rire.
– Je suis désolé de l'accueil que je vous ai réservé… mais je suis un peu à cran en ce moment…
Hugo ne répondit rien.
Puis regardant Pinto qui s'avançait vers eux, l'homme tendit les bras vers lui.
– Nom de dieu, Joachim, ça fait quand même plaisir de te voir.
Et une longue accolade les réunit.
– Bon, faut pas rester comme ça, à découvert… Travis se sépara de Pinto et tapota un code sur le clavier digital.
Un petit claquement suivi d'un bruit de moteur se fit entendre. La porte commença à se relever, les obligeant à se repousser. Elle bascula vers le haut, pour se ranger contre le plafond, lentement, dans un strip-tease mécanique.
Hugo ne pouvait détacher ses yeux de l'ouverture immense qui se dévoilait.
Dans la pénombre du hangar, un splendide voilier noir et blanc, parfaitement gréé et prêt au départ pointait son beaupré vers le soleil.
– C'est donc ça la Manta, demanda Hugo en anglais, en marchant lentement le long de la coque. Un beau seize mètres, au moins. Fin et racé.
– Oui, répondit Travis, il nous a fallu près de trois ans pour achever sa construction.
– Ici? demanda Hugo en montrant le haut hangar d'aluminium.
– Non, non, répondit Travis en riant. Ici nous ne l'avons amené qu'en novembre dernier, pour les finitions et les réglages… Il était en construction dans un atelier naval à Lisbonne.
Travis les conduisait à un petit bureau vitré, situé au sommet d'un escalier qui formait ensuite une coursive à trois mètres du sol, le long du hangar.
Ils prirent place dans le petit bureau, Travis se postant devant un vasistas qui donnait sur la plage. Sa fille vint se coller à ses côtés. Hugo s'assit sur un vieux fauteuil et Pinto sur une chaise qu'il retourna pour prendre appui sur le dossier.
Travis se retourna vers Hugo et Pinto.
– J'ai l'impression que vous avez une longue histoire à me raconter.
Il ouvrit un tiroir et sortit une grosse pipe d'écume qu'il bourra de tabac. Ses yeux ne quittaient pas Hugo, qui se fendit d'un sourire.
– Je suis sûr que vous aussi… Vous vivez sous une fausse identité? O'Connell, le nom de votre mère?
L'homme alluma sa pipe en ne le quittant pas des yeux. Il recracha méthodiquement quelques bouffées de fumée bleue.
– Oui. Je n'ai toujours pas compris comment vous m'avez repéré, d'ailleurs.
– À l'auberge. Là-bas, il y a certaines de vos toiles.
– Oui, mais comment avez-vous su que c'était moi? Que Travis et O'Connell ne faisaient qu'un?
Hugo tenta de trouver une réponse claire. Ce n'était pas facile.
– Je ne sais pas trop. Pinto m'avait dit vous avoir rencontré un jour vers Odeceixe et vous lui aviez parlé d'un coin vers le cap de Sines à une lointaine époque. On a cherché. Et quand je suis entré dans ce bar j'ai vu les toiles. Anita m'avait dit que vous aviez été dans la Royal Navy et j'ai fait la relation…
Quelques lourdes volutes bleues.
– Qui est Anita?
– Anita Van Dyke… Une flic d'Amsterdam… Elle enquête sur votre femme…
– C'est elle qu'Alice est allée voir à Amsterdam?
Il tournait la tête vers sa fille, qui hocha affirmativement la tête.
Quelques bouffées bleues.
– Je ne sais pas trop encore ce qui s'est passé mais je dois vous remercier pour tout ce que vous avez fait il me semble.
Hugo levait la main.
– Je n'ai fait que ce que je voulais faire, je vous assure… Maintenant que votre fille est entre vos mains, je dois juste prévenir Anita et m'éclipser. Désormais la balle est dans votre camp.
Quelques bouffées bleues.
L'homme ouvrit un autre tiroir et Hugo vit sa main réapparaître armée d'une bouteille de bourbon.
Il y avait un antique petit frigo dans un coin de la pièce. Il en ramena de la glace et une bouteille d'eau minérale, puis sortit des verres d'un placard de bois. Il servit trois verres de bourbon, et tendit un verre d'eau à sa fille.
Ils portèrent un toast silencieux et Hugo se détendit complètement.
L'homme continuait de fumer sa pipe et il ouvrit le vasistas pour aérer la pièce. Puis il se retourna vers Hugo et lui demanda de lui raconter toute l'histoire, vue de son côté.
Hugo commença donc par cette nuit où il avait trouvé Alice sous la banquette de sa voiture. Il fit un récit clair et concis de la longue traque depuis Amsterdam puis vint le moment d'aborder les choses importantes, ce qu'il savait de l'entreprise Kristensen.
– Ce que j'ai compris au fur et à mesure c'est que votre ex-femme a monté une industrie fort lucrative en produisant et commercialisant le type de cassettes que votre fille a trouvées chez elle… Le hasard a voulu qu'Anita Van Dyke qui enquêtait de son côté s'est retrouvée dans le même hôtel que moi, à Évora, et qu'elle était suivie par un type de la bande…
Des volutes de fumée, comme toute réponse. Travis semblait plongé dans de profondes réflexions. Il se tenait tout droit devant le vasistas ouvert, observant l'extérieur. Son visage était teinté de la couleur cuivre d'un Indien navajo, ou hopi, dans la lumière basse du couchant.
– J'espère que vous n'avez pas pris de risques inconsidérés en venant ici avec ma fille.
– Nous avons réussi à neutraliser une bonne partie du gang la nuit dernière… et le temps m'était compté. Je devais vous retrouver vite, car ces hommes étaient à vos trousses… Là je pense qu'ils doivent plutôt se demander comment faire pour quitter le pays au plus vite.
C'est ce qu'il espérait de toutes ses forces, tout du moins.
– Maintenant si vous le voulez bien, avant mon départ, j'aimerais vous entendre, M. Travis. Que vous me racontiez cette histoire de votre côté.
Il en aurait besoin pour ce foutu roman sur la fin du siècle.
– Qu'est-ce que voulez savoir?
– Juste la semaine qui vient de s'écouler, parallèlement à notre fuite ou ce qui s'est passé depuis votre disparition il y a trois-quatre mois, mais je ne vous cacherai pas que toute votre vie semble recouverte d'un épais mystère, monsieur Travis.
Il avait essayé de dire ça sur un ton décent qui ne froisse pas l'homme.
– Ce que vous vous demandez c'est comment un homme comme moi a pu épouser une femme comme Eva Kristensen, c'est ça?
Hugo tenta de ne pas paraître trop gêné. C'est vrai, avait-il envie de répondre, cela faisait partie du mystère, indubitablement.
Pinto s'agita sur sa chaise.
– Je ne le sais pas moi-même, voyez-vous.
Le ton de sa voix témoignait d'un lourd fardeau, et très ancien.
Travis contemplait l'Océan, la tête tournée vers le vasistas. Une mer d'un bleu profond, presque violet, frappait interminablement la plage, dont le sable se teintait de rouge, comme le ciel à l'horizon. Le soleil n'était plus qu'un disque rouge sang, net et concret, à la limite des flots.
– Quand j'ai rencontré Eva Kristensen, je venais de quitter la Royal Navy, je me suis retrouvé à Barcelone, j'ai fréquenté des bars de marins. J'ai toujours fait de la voile, depuis mon plus jeune âge. J'ai rencontré quelques Espagnols qui vivaient dans le sud ou aux Baléares et j'ai décidé de m'établir comme skipper pour les touristes, en Andalousie. Un mois ou deux avant mon départ, j'ai rencontré Eva Kristensen par une connexion lointaine, l'ami d'un ami qui m'avait invité à une réception qu'elle donnait, sur son yacht…
Hugo acheva son verre de bourbon alors que l'homme rallumait sa pipe, le visage tourné vers l'Océan.
– Inutile de vous dire que ça a été un coup de foudre imparable et violent. Et réciproque, je l'ai vu tout de suite.
Hugo ne bronchait pas. Travis, malgré ses traits tirés et son sourire désabusé, avait dû être un jeune homme très séduisant douze ou treize ans auparavant.
De lourdes volutes s'échappèrent par l'ouverture, d'où soufflait un petit vent frais.
– Eva Kristensen était une jeune femme splendide. Nous… Nous avons eu une relation… Puis je suis allé m'installer en Andalousie… J'y suis resté quelques mois puis je suis venu m'installer en Algarve… j'avais rencontré des amis portugais avec qui je m'entendais mieux qu'avec les Espagnols… Joachim, le Grec aussi, déjà… Eva m'a rejoint et a acheté la Casa Azul.
Hugo détecta un voile dans la voix, à l'évocation du dealer assassiné.
L'homme poussa un long soupir.
– Vous savez, quand j'ai appris sa mort hier par les journaux, je savais déjà qu'Alice était en fuite et, bon sang, on peut le dire, sa fugue était en train de bouleverser tous mes plans…
– Tous vos plans? se laissa aller Hugo.
Travis ne répondit rien. Seul le bruit de succion régulier qu'il faisait avec sa pipe brisait le ressac étouffé des vagues, qui leur parvenait par la grosse fenêtre basculante.
– Oui, finit-il par lâcher. C'est une très longue histoire… Il acheva son verre d'une longue rasade et l'emplit à nouveau, offrant la bouteille à Pinto qui se resservit. Hugo déclina l'offre poliment. Il allait bientôt devoir se taper deux mille bornes d'une seule traite. Il ne répondait rien, cherchant à ce que le silence et le bourbon délient progressivement la langue de l'Anglais.
– C'est très compliqué tout ça… Mais quand Eva m'a privé de mes droits paternels, c'était à cause de la drogue…
Hugo vit Alice relever brutalement la tête pour regarder fixement son père. Elle aussi allait sans doute apprendre un certain nombre de choses. La main burinée de Travis vint caresser doucement ses cheveux.
– Oui, je me dopais énormément à l'époque. Il y avait eu le divorce et puis je savais déjà qui était Eva, vous voyez…
Hugo ne voulut pas l'interrompre sur ce point précis. On verrait ça plus tard. Il fallait laisser se dévider la spirale des souvenirs.
– Je ne savais pas où aller, alors je suis revenu en Algarve. J'ai zoné. J'étais au fond du trou… Puis Pinto m'a repêché.
De la main, il fit faire une rotation à son fauteuil et leva son verre en direction de son ami.
Puis il se laissa tomber sur le siège.
Pinto imita son geste en lui offrant un sourire complice.
– J'ai réussi à plus ou moins m'en sortir et j'ai recommencé à peindre, à la même époque je revoyais le Grec… Je continuais à fumer ou à sniffer de temps en temps et on était potes… Un jour le Grec m'a reparlé de la proposition que m'avait faite un gros dealer, à la première époque, quand je vivais avec Eva à la Casa Azul…
Hugo leva un sourcil dans l'attente presque impatiente de la suite.
Alice vint se poster aux côtés de son père. D'un geste protecteur le bras de Travis s'enroulait autour de sa taille.
– Ouais… ça a commencé presque tout de suite après la naissance d'Alice, enfin… progressivement. Mais vu qu'avec Eva on fréquentait ces boîtes à la mode j'ai rencontré ces mecs, et puis le Grec en connaissait quelques-uns… Bon, un jour y en a un qui m'a proposé de convoyer de la came, voyez?
Hugo lui fit comprendre que oui.
– J'ai dit non… J'avais la responsabilité d'Alice, je ne voulais pas faire de conneries. J'ai refusé et le type ne m'en a plus jamais reparlé. Mais à la deuxième époque, quand je suis revenu, le Grec m'a dit que c'était plus pareil. Eva m'avait pris Alice, je n'avais plus aucune responsabilité, justement. Il m'a dit que si je voulais il pouvait me brancher sur une ou deux opérations de convoyage, histoire de me remettre à flot. J'ai accepté.
Hugo ne broncha pas.
– Je suis un bon marin. Et je connais la Méditerranée et l'Atlantique sud par cœur. Je connais aussi parfaitement l'organisation des forces britanniques à Gibraltar, ou de la marine française, ou espagnole, voyez?
Il avait sorti ça avec un soupçon de fierté.
– Je me faisais payer très cher. J'ai fait pas loin d'une dizaine de voyages en deux ans… Plus une ou deux autres opérations…
Hugo tendit machinalement l'oreille.
– Excusez-moi, quel genre d'opérations? Une longue volute de fumée qui s'enroula jusqu'à la fenêtre.
Travis regarda Alice. Une gêne terrible se lisait dans ses yeux. Mais sa fille lui répondait de son seul sourire que tout cela n'avait pas d'importance, qu'elle se fichait qu'il fût contrebandier ou astronaute, criminel ou ministre, qu'il était là, qu'il était son père, et que seul cela comptait.
Hugo en ressentit une émotion subtile, et mélancolique.
L'homme fit de nouveau face à Hugo et à Pinto.
– J'ai aussi convoyé des armes.
Hugo se retint pour ne pas se tendre sur sa chaise.
– Deux fois… L'année dernière.
Hugo ne pouvait quitter Travis des yeux. L'homme perçut l'intensité de son regard. Il recracha une nouvelle bouffée.
– Sicile… et Croatie.
Putain… Hugo en était soufflé mais tentait de rester calme, de ne rien laisser paraître. Bon sang, aurait-il voulu s'écrier, vous ne connaîtriez pas un certain Ostropovic, à Zagreb, l'homme qui s'occupe d'une des principales filières clandestines? Mais il était hors de question qu'il dévoile la moindre information sur le Réseau. Il gardà donc le silence et contempla l'homme avec un sourire qu'il s'efforçait de retenir. Peut-être s'étaient-ils croisés à quelques jours près, sur ce morceau de plage croate où les «chalutiers» du Réseau avaient abordé? Les républiques en guerre s'approvisionnaient par de multiples filières, dont certainement la Mafia ou une de ses branches cousines. Travis avait été embauché par hasard comme skipper pour un convoyage clandestin, bravant l'embargo de l'UEO, lui aussi. Putain, se disait Hugo, l'homme serait une recrue de choix pour le Réseau. Et une vague d'excitation menaça de l'envahir. Bon dieu, un ancien de la Navy, rodé à la contrebande et à la stratégie navale…
L'homme ne le quittait pas des yeux. Hugo tenta de se maintenir calmement en état d'écoute. Il s'offrit un deuxième verre de bourbon.
– Bon, tout cet argent, plus ce que gagnait le Grec, un jour on a décidé qu'il nous servirait à faire un bateau… On a conçu la Manta, j'ai demandé quelques conseils à Pinto, en lui montant je ne sais quel bobard… excuse-moi, vieux…
Il releva son verre d'un air vraiment peiné.
– Mais pourquoi tout ce mystère, à la fin? s'écria Pinto. Pourquoi t'as fabriqué ce putain de bateau en secret?
L'homme recracha une nouvelle bouffée et réfléchit quelques instants.
– Notre but au Grec et à moi était… comment dire… En fait au départ on voulait juste se payer un voilier, puis on a eu l'idée d'en concevoir un, un peu spécial…
– Qu'est-ce qu'elle a de spécial, ta Manta? demanda Pinto en montrant du pouce le haut des mats qu'on apercevait de l'autre côté de la rambarde.
Travis eut un sourire maliéieux et étrangement obscur.
– Elle a plein de choses spéciales. On y a mis tout notre pognon, pratiquement.
Et ça, pensait Hugo, ça voulait dire un paquet de pognon.
– Bon… Au début ce qu'on pensait faire c'était faire du tourisme de luxe, un peu sportif, dans les eaux tropicales. On a affiné notre projet. On s'est dit que l'idée serait de faire un bateau polyvalent mais d'abord excellent sur mer, c'est la priorité, mais donc aussi capable de faire de la navigation fluviale dans toutes conditions. Avec une dérive amovible et des flotteurs rétractables pour remonter les fleuves… L'Amazone… Le Nil, le Mississippi… Ensuite avec le Grec on a mis au point notre projet de motorisation hydroélectrique, un projet qui m'avait été inspiré par les travaux d'un obscur ingénieur russe des années vingt et trente qui a fini en Sibérie… Mais ça aussi je vous le montrerai tout à l'heure. Ensuite, en fait, on gagnait tellement de fric avec le trafic qu'on s'est dit que ce genre de bateau s'avérerait parfait pour les transports clandestins. Que si le tourisme de luxe ne marchait pas, on pourrait toujours se rabattre sur notre spécialité et c'est pour ça qu'on n'en a parlé à personne.
L'homme eut un petit rire.
– Bon, puis au fil des mois, alors que le bateau se faisait lentement aux chantiers navals, j'ai réalisé qu'il s'avérerait parfait pour autre chose en fait, ce qui a renforcé le secret et les méthodes de sécurité qu'on employait, le Grec et moi…
Le ton de sa voix indiquait qu'il réalisait qu'aucun système de sécurité n'était parfait. Ses yeux se voilèrent de tristesse à nouveau, à l'évocation du dealer assassiné.
Il avala une longue rasade de bourbon et poussa un râle en reposant son verre. Il scruta Hugo, puis Pinto, puis sa fille, puis Hugo à nouveau.
Hugo avala une gorgée d'alcool. Il attendait la suite avec un calme qui n'était qu'apparent.
L'homme tira sur sa pipe et prit une décision.
– L'année dernière, alors que la Manta s'achevait, j'ai commencé à planifier… comment dire…
Il plongea son regard dans celui d'Hugo.
– J'ai commencé à planifier son enlèvement, disons sa «récupération».
Il caressait à nouveau la tête d'Alice.
– Vous comprenez, il était hors de question qu'elle puisse rester avec sa mère et que celle-ci finisse par la pourrir…
Évidemment, pensait Hugo, dans ce type de conditions il n'aurait sans doute pas agi autrement.
– J'ai donc commencé à prévoir et organiser la chose… je savais qu'avec Eva Kristensen il fallait être prudent. J'ai décidé de disparaître quelques mois avant la réalisation effective du projet et de me fabriquer une nouvelle identité. Avec le Grec on a acheté ce bout de terrain et on a fait monter le hangar. C'était assez loin de l'Algarve pour qu'Eva ne le détecte pas tout de suite au cas où elle apprendrait quelque chose sur le bateau… On a testé la Manta deux ou trois fois, puis j'ai vendu ma maison à Albufeira et je me suis tiré…
– Où ça, ici dans le coin? Sous le nom de O'Connell?
– Non. Je me suis tiré en France, dans le Sud-Ouest. Puis je suis revenu en Espagne, dans les Asturies. J'ai pris mon matériel de peinture et j'ai peint sur les plages, en vivant dans mon van. Je vendais mes toiles mais sans trop me soucier du prix. J'avais un compte en banque bien fourni. Mon plan c'était de revenir vers avril-mai. Entretemps, l'année dernière, je me suis confectionné cette fausse identité «O'Connell» en passant de temps en temps dans le coin et en vendant mes toiles à deux-trois types, dont Jorge, le type de l'auberge. En mai, le Grec et moi on aurait pris le bateau et on serait montés jusqu'à Amsterdam. Là j'aurais récupéré Alice. Ensuite nous aurions filé vers le Brésil.
Hugo réfléchissait à toute vitesse, comme une cocotte-minute en surchauffe.
– Attendez, mais comment auriez-vous contacté Alice?
Travis ne répondit pas et mit lentement son verre de bourbon aux lèvres.
– Comment faisiez-vous pour communiquer avec Alice? insista Hugo.
Ça c'était un putain de mystère.
– Hmm… Je savais, bien sûr, qu'Eva lisait son courrier, mais je ne pouvais rien faire contre ça. Pendant la première année, je me suis contenté d'envoyer quelques cartes, où je donnais des numéros de boîtes postales pour me joindre. Alice me répondait, parfois par de grandes lettres. Ses messages étaient contrôlés par Eva, j'en suis sûr, ça se sentait à chaque phrase… ensuite le procès pour répudiation des droits paternels a commencé… Bon, un jour, Alice devait avoir 10-11 ans, j'ai dû monter jusqu'en Belgique, pour traiter une affaire et j'ai décidé de pousser jusqu'à Amsterdam, afin de revoir Alice. J'ai passé des jours entiers à l'observer… Puis j'ai dû redescendre. Deux mois plus tard j'étais de retour. Je suis resté deux bonnes semaines. À rôder autour de la maison, ou à la suivre sur son trajet de l'école, ou quand elle sortait au cinéma. J'ai fini par remarquer qu'une vieille femme se rendait régulièrement chez les Kristensen. En observant sa chambre avec des jumelles je me suis rendu compte qu'il s'agissait de sa prof de violon… J'ai suivi la vieille dame et un jour, alors qu'elle se promenait dans le Beatrix Park je l'ai abordée… Je lui ai juste demandé de faire parvenir quelques lettres à Alice, je lui ai raconté la vérité… Disons la partie nécessaire et suffisante de la vérité… En fait j' ai été surpris que la vieille accepte. Et elle a effectivement joué le jeu, a transmis des lettres, où je donnais ma véritable adresse et où j'essayais d'expliquer à Alice ce qui s'était passé.
– Pensez-vous qu'Eva Kristensen ait pu être au courant de ce manège?
– Et qu'elle ait continué de faire semblant dé ne rien savoir? Comme si de rien n'était? Tout en espionnant le courrier secret… Bon dieu, oui, j'y ai pensé souvent et j'ai d'ailleurs tremblé pour Mme Yaacov. Je savais déjà qui était Eva Kristensen, vous comprenez? C'est d'ailleurs pour ça que j'ai décidé d'arrêter cette correspondance parallèle. Il y a six mois, environ. Je savais qu'avec Eva il ne fallait pas jouer avec le feu… Quand je suis parti de la maison d'Albufeira, je n'ai pas recontacté Mme Yaacov parce que je ne savais pas trop où j'allais atterrir. Il était inutile de prendre des risques pour communiquer une adresse sans doute provisoire… Je n'ai jamais mentionné mon projet dans mes lettres à Alice, c'était beaucoup trop dangereux… Je lui aurais juste envoyé un signal et un point de rendez-vous, verbalement, par Mme Yaacov. Mais Alice a trouvé cette fichue cassette et a fugué avant que j'aie pu la joindre… J'ai appris l'histoire par hasard en tombant sur un journal allemand, je crois… Puis j'ai appris le meurtre du Grec, et l'affaire d'Évora, tout ça, je me suis rapatrié en catastrophe ici, dans la journée d'hier. Je ne savais vraiment pas quoi faire. Puis c't'après-midi un de mes contacts du coin m'a dit que vous étiez passé chez Jorge et que vous me cherchiez. Moi je croyais que vous aviez enlevé ma fille et quand je vous ai vu avec Pinto ça a été terrible parce que j'ai cru qu'il m'avait trahi…
Une longue rasade de bourbon ponctua le discours.
Hugo intégrait les données, comme un ordinateur humain.
Quelle histoire de dingue…
– Bon, ça fait plusieurs fois que vous dites que vous connaissez Eva Kristensen, que vous saviez qui elle était, ça signifie quoi, ça?
Là, Travis se renfrogna.
Sans doute abordait-on ce qui n'était pas encore admissible pour le cerveau d'une jeune adolescente. Surtout si on parlait de sa propre mère. Hugo s'en voulut de s'être laissé emporter par l'émotion et la curiosité. Mais il n'y pouvait rien. Il fallait qu'il sache.
– Vous savez, monsieur Travis, votre fille a vu cette cassette et à mon avis elle est déjà tout à fait au courant de ce dont sa mère est capable.
Elle avait vu le hit-squad à l'œuvre, plusieurs fois, et de près, sous-entendait-il.
D'épaisses volutes bleues tourbillonnaient vers la fenêtre.
– J'peux pas dire qu'y a vraiment eu un commencement, voyez? C'était progressif et sans doute était-elle déjà comme ça quand je l'ai connue… Mais, bon, y a quand même eu une amplification quand Alice est née… Je n'sais pas pourquoi. On dit qu'il y a parfois une période dépressive après l'accouchement… Nos relations se sont détériorées et je me suis rendu compte d'un certain nombre de trucs…
Hugo se retint de demander quoi.
Un autre nuage de fumée s'élevait dans l'air.
– Le Grec m'a appris qu'elle fréquentait tous ces dealers et autres mafieux dans ces boîtes à la mode. Moi, je ne voulais plus y aller, mais donc j'ai su qu'elle s'y rendait parfois sans moi. Je me suis dit qu'elle sortait peut-être avec un des mecs… J'ai commencé à boire… Un soir, je me rappelle, je lui ai parlé de cette proposition que m'avait faite un des truands, pour piloter leur bateau… Je lui ai dit que j'avais refusé et elle m'a dit que j'avais eu tort… Que ç'aurait pu être excitant. On s'est violemment engueulé.
Un nouveau nuage.
– Un autre jour, c'était peu avant notre départ à Barcelone, ça n'allait vraiment plus, j'avais commencé à prendre de la poudre et le Grec est venu me voir à la Casa Azul. Eva était en voyage je n'sais plus où… Le Grec m'a parlé d'un truc, d'une rumeur qui courait dans le milieu. Enfin un truc que lui avait dit un dealer dans une boîte…
Un autre nuage.
– On disait qu'y avait une femme qui payait pour assister à des exécutions. Deux ou trois fois, d'après ce qu'il savait. La description qu'on avait de la femme correspondait trait pour trait à Eva. Le soir même l'engueulade a viré à la bagarre, vaisselle et miroirs brisés, tout le bazar… j'ai l'impression qu'à partir de ce jour-là Eva a franchi un cap… elle est devenue plus prudente et n'a jamais réitére cette expérience pendant notre séjour à Barcelone… Mais j'sentais bien qu'elle continuait à faire des trucs pas clairs… On se voyait presque plus, elle était constamment en voyage d'affaires. Faut dire que sa fortune a littéralement explosé durant les années quatre-vingt… Après y a eu le divorce et la suite…
Un ultime nuage vint conclure son récit, tandis qu'il embrassait du regard le hangar.
Hugo enregistrait les informations. Se créant un film mental rassemblant la vie de cet homme. Il ne savait trop quoi dire.
Pinto lui sauva la mise.
– Bon, et quand est-ce qu'on voit ce prodige d'architecture navale, hein?
Travis se laissa aller à un sourire et Hugo aussi, en se détendant de tout son long
– Venez, dit l'homme en se levant, je vais vous montrer…
Hugo allait les suivre vers la coursive qui dominait le bateau lorsqu'il s'arrêta net.
– Excusez-moi, monsieur Travis, mais il faut que je donne mon coup de téléphone.
Angoissé, il regarda sa montre. Putain, ils avaient rendez-vous avec Anita à l'auberge et il était déjà huit heures.
Travis le scruta longuement avant de répondre.
– La flic d'Amsterdam, c'est ça? Vous savez, je ne tiens pas trop à la voir.
Hugo insista.
– Écoutez, Anita Van Dyke fait tout son possible pour arrêter votre femme. Elle nous a beaucoup aidés et a pris des risques, je veux dire, des risques en tant que flic, vous voyez, pour sa carrière et tout ça. Nous ne pouvons pas la laisser tomber comme une vieille chaussette. À cette heure-ci elle doit se morfondre à notre rendez-vous en se demandant ce qui se passe… Je dois la prévenir.
Travis cilla devant la fermeté un peu autoritaire d'Hugo mais finit par lui lâcher un faible sourire, en haussant un sourcil, d'une manière étrangement aristocratique.
– Elle viendra seule?
– Je vous en fais la promesse.
– Alors appelez-la. Et rejoignez-nous en bas. Travis prit sa fille par une épaule et poussa amicalement Pinto sur le pas de la porte.
Hugo se rua sur le gros annuaire local puis composa relvcement le numéro de téléphone.
Lorsqu'elle reprit la route, Anita n'arriva pas à déloger l'angoisse qui la tenaillait au ventre. Elle suivit les indications d'Hugo et retrouva la N390, traversa Cercal, puis Tanganheira, sur la N120, et fonça droit vers le cap de Sines.
La nuit tomba rapidement sur le paysage. La route était déserte. Ses phares ne croisaient qu'un véhicule de temps à autre, et elle ne doubla qu'un gros camion quelques kilomètres avant de prendre le chemin que lui avait indiqué Hugo. Une petite piste caillouteuse qui descendait vers les plages, au départ même de la petite péninsule.
Au détour d'un virage, dans un décor de roches et d'arbres clairsemés, elle vit le hangar dont lui avait parlé Hugo. La piste de cailloux devenait sableuse aux abords du haut bâtiment de métal. Ses phares éclairèrent l'arrière du hangar puis la rampe de béton et se fixèrent enfin sur la plage avant de disparaître.
Elle claqua sa portière et fit quelques pas sur l'esplanade qui bordait le hangar. Le bâtiment était plongé dans la plus totale obscurité. Elle aperçut un vasistas ouvert au milieu de la paroi de métal mais aucune lumière n'en parvenait. Visiblement l'entrée se trouvait du côté de cette rampe qui descendait vers les flots, avec les rochers entassés. Elle allait faire le tour du bâtiment lorsqu'une silhouette s'encadra, dans l'obscurité.
Elle eut un petit sursaut mais reconnut Hugo presque instantanément.
– C'est moi, Anita… je vous attendais dehors car nous ne voulions pas laisser la porte ouverte ni allumer la lumière.
Un petit sourire apprenait à Anita que cette idée venait de lui.
Il composa un code sur un interphone et Anita vit la haute porte basculer légèrement en se hissant doucement vers le haut, dans un bruit de moteur électrique.
– Voici la Manta…, laissa-t-il tomber en présentant de la main le voilier qui apparaissait dans l'obscurité du hangar, comme un étrange bateau fantôme.
Elle discerna une lumière à l'intérieur du bateau, une lueur pâle provenant d'une cabine.
– Ils sont à l'intérieur, dit Hugo.
Elle l'observa avec un sourire tandis que la porte se dérobait vers le ciel. Il tourna légèrement la tête vers elle et ses lèvres se fendirent, à son tour, d'un arc à la fois malicieux et grave.
– Cette histoire s'achève… Pour moi en tout cas…
Anita ne répondit rien mais dut s'avouer qu'une sorte de pincement au cœur était entrain de faire son apparition. Elle exhala un petit soupir, qu'elle espéra inaudible, lorsque Hugo la précéda dans le hangar
Elle avait l'impression que les étoiles étaient beaucoup plus brillantes, et plus nettes, là, tout à coup.
– Venez… Il est temps que vous rencontriez Travis… C'est un homme tout à fait étonnant vous allez voir.
Son petit sourire ne l'avait pas quitté et Anita se demanda pourquoi.
Hugo s'approcha d'un panneau analogue à celui de l'extérieur et appuya sur un bouton. La haute porte de métal stoppa son mouvement dans un claquement sonore. Hugo appuya sur un autre bouton et la porte bascula lentement dans l'autre sens, se refermant sur eux, comme la pierre secrète d'un tombeau oublié.
Hugo la conduisit à l'arrière du voilier. Près d'une des cales de métal qui maintenaient l'embarcation droite et stable sur le sol, une échelle menait sur le pont et Hugo l'escalada promptement.
Lorsque Anita accéda à son tour en hàut de l'échelle, il était là et lui tendait la main. Elle fut surprise de constater qu'elle ne refusait pas son geste. Lorsque leurs mains se touchèrent et qu'il l'accompagna pour prendre pied sur le pont, une sorte de chaude vibration électrique la parcourut de part en part mais elle en refusa l'idée. Elle se dégagea vivement et suivit le jeune homme dans les entrailles du bateau.
Sous une sorte de bulle de Plexiglas fumé, une petite écoutille dévoila une échelle de métal qui plongeait vers une coursive. De la lumière provenait du fond de la coursive. Elle se retrouva devant une petite porte. Le corridor était bas de plafond et tous deux se tenaient courbés pour parvenir jusque-là.
Hugo ouvrit la porte et une flaque jaune se déversa dans le couloir.
Dans la pièce, Pinto, Alice et un homme qu'elle ne connaissait pas lui faisaient face.
Une petite lampe à butane brillait dans un coin.
Hugo s'effaça pour la laisser entrer puis la devança pour se placer au centre de la pièce, à midistance d'elle et de l'inconnu.
– Anita Van Dyke… Stephen Travis.
L'homme se levait déjà de sa chaise et s'avançait en lui tendant la main. Un franc sourire armait ses lèvres.
Elle contempla le père d'Alice, en lui rendant sa poignée de main. Le visage buriné par l'eau de mer et le soleil, mais aussi les cernes et les pommettes saillantes. Elle se souvint de ce que Pinto lui avait raconté sur la toxicomanie de Travis.
Elle se rendit compte que les traits d'Hugo aussi semblaient creusés. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas passé une vraie nuit.
– Désirez-vous boire quelque chose, mademoiselle?
L'homme montrait sa table rétractable encombrée de quelques bouteilles de soda vides et d'une bouteille de whisky.
– Non, je vous remercie…
– Voulez-vous visiter le bateau, alors?
Anita se balança sur ses pieds, mal à l'aise.
– Non, je vous remercie, monsieur Travis, mais en fait…
Elle hésitait à rompre ainsi l'harmonie qui semblait régner ici. Alice, comme transfigurée, debout aux côtés de son père, l'air visiblement radieux, Pinto, un franc sourire aux lèvres, achevant un verre de whisky-soda, certainement. Hugo, le visage détendu malgré la fatigue et le poids de son sac de sport qu'il remettait en place difficilement sur son épaule. Le jeune homme ne la quittait pas des yeux, une lueur amusée dans le regard. Comme s'il savait ce qu'elle avait à dire.
Elle prit une inspiration et se lança.
– Écoutez, vous imaginez bien que votre témoignage, ainsi que celui d'Alice, va nous être nécessaire si nous voulons confondre Eva Kristensen… Je… Je dois vous conduire au commissariat de Faro.
Un silencé de plomb s'abattit sur la petite cabine.
Elle vit Hugo caler son fardeau sur son épaule en poussant un vague soupir avant de le relâcher lourdement par terre.
– Bon… Je vais chercher la Fiat.
Il s'extirpa de la cabine et Anita fit face au père d'Alice qui la fixait froidement du regard.
Elle finit par lâcher, devant le désespoir qui se peignait sur les traits d'Alice:
– Écoutez… je vais faire un tour. Réfléchissez… Je… je vous laisse prendre votre décision en toute conscience.
Elle ignorait complètement l'origine de l'élan qui la poussait à faire cela.
Elle était déjà dans la coursive et remontait la petite échelle.
La vibration de la porte qui s'ouvrait couvrait le ressac de l'Océan.
Il s'élançait à l'extérieur lorsqu'il entendit une voix éclater derrière lui:
– Hugo… Attendez!
Il se retourna pour voir Anita longer le bateau à sa rencontre. Il lui offrit un petit sourire et reprit son chemin.
– Attendez… Bon dieu…
Anita parvenait à ses côtés.
Elle l'attrapa par le bras.
– Où elle est, votre voiture?
Hugo montra la plage qui s'étendait vers le sud.
– On l'a laissée de l'autre côté… Il faudra que je récupère la piste qui mène au hangar un peu plus haut, d'après ce que m'a dit Travis…
Il marcha vers les rochers entassés pour descendre sur le sable.
– Vous… Vous ne fermez pas la porte?
Hugo lui fit face. Elle se tenait à deux mètres de lui. Ses cheveux fauves tombaient sur son blouson. Au-dessus d'eux la voûte étoilée déployait une toile aux dimensions de l'Univers. Son regard était d'une couleur lunaire dans la pénombre. Le hangar dressait une haute tache laiteuse derrière elle. Elle était incomparablement belle. Il ne pouvait détacher ses yeux de son visage ovale aux traits doux et délicats, de son teint d'ivoire sous le rayonnement des étoiles, de ses lèvres pâles. Aucun son ne voulait sortir distinctement de sa gorge.
– On… On devrait fermer cette porte, vous savez…
La tension de sa voix extirpa Hugo de sa rêverie.
– Oui… Oui, bien sûr, vous avez raison.
Il marcha jusqu'au hangar et appuya sur le bouton qui déclenchait la fermeture.
– Vous savez, reprit-elle, je n'ai pas voulu le dire tout à l'heure, je ne voulais pas inquiéter Alice et son père… Mais, deux hommes sont passés peu après vous à l'auberge de Jorge.
Hugo se réveilla tout à fait.
– Deux hommes?
– Oui. D'après la description, il s'agit sûrement de Vondt et d'un autre homme que je n'ai pas pu identifier…
– Oh merde, siffla-t-il entre ses dents.
Il frôla de la main l'endroit où le Ruger bombait son blouson, afin de sentir sa présence rassurante.
– Je… J'ai appelé mes collègues de Faro sur la route. Ils ont demandé aux patrouilles locales de redoubler de vigilance… Je… je peux vous accompagner?
Hugo la regarda un instant, interloqué et partagé par mille sentiments contradictoires.
– Je… j'ai dit à Travis que je leur laissais un peu de temps pour en parler et réfléchir… ils en ont sûrement besoin…
Ça, pour sûr, pensait-il, Travis allait avoir besoin de réfléchir.
– Vous permettez que je vous accompagne? Moi aussi j'ai besoin de prendre l'air.
Hugo sentit son cœur légèrement accélérer. Oh, merde, il sentait même ses mains devenir moites, là, à l'instant.
– Oui, bien sûr, lâcha-t-il d'un ton qu'il voulait badin et détendu.
Anita se synchronisa à ses côtés.
Ouais, pensa-t-il en marchant à pas vif au ras de l'écume, dont la mousse laissée sur la plage semblait luire d'une fluorescence radioactive. Les types étaient de sacrés durs à cuire, et visiblement Mme Kristensen ne voulait pas lâcher le morceau…
– Qu'est-ce que vous comptez faire d'eux à Faro?
– Je vais confronter Alice et Koesler. Et demander à Travis de me dire tout ce qu'il sait sur Eva K.
– Vous avez une idée de l'endroit où elle planque?
Seul le rythme des vagues lui répondait, et il se dit que c'était la meilleure réponse, en définitive.
Eva Kristensen était là, quelque part, dans la nuit qui recouvrait l'Océan comme le plus parfait des camouflages.
Lorsqu'il ouvrit la portière, l'image de la mère d'Alice s'était durablement incrustée dans son esprit, bien qu'elle ne fût qu'une ombre, sans visage, une ombre qui se confondait avec la nuit.
Il essaya de la chasser de son écran intérieur en se raccordant à la silhouette qui se profilait derrière la glace passager. Il se pencha sur le côté pour actionner l'ouverture.
Anita prit place à ses côtés alors qu'il enfonçait la clé dans le Neiman. Il mit le moteur en route. Sans allumer les feux. Il passa son bras autour de l'appuie-tête pour se retourner vers la lunette. Il lui faudrait faire une marche arrière sur plus de deux cents mètres, sur cet étroit chemin de sable. Ensuite, d' après les indications de Travis, il lui faudrait remonter veri la piste qui menait au hangar.
Il allait passer la marche arrière lorsque leurs mains se touchèrent, par accident. Il venait de fouiller deux doigts dans une prise électrique. Leurs mains séparèrent vivement, comme animées de violentes forces répulsives.
Leurs yeux se croisèrent mais se quittèrent tout aussi rapidement.
Bon sang, se disait-il, mais quelle était donc cette sorte de vibration qui les faisait ainsi frémir à l'unisson?
Sa main lui semblait moulée dans le levier de vitesse. Son ventre était rempli d'une braise ardente. Ses pieds ne pouvaient plus bouger. Sa nuque non plus. Sa colonne vertébrale devenait plus rigide qu'une barre d'acier trempé. Ses yeux ne pouvaient, ne voulaient quitter le décor immuable et en constante transformation de la mer et du sable, des arbres oscillant dans le vent et des nuages qui couraient sur la coupole noire comme des chevaux masquant les étoiles.
Il pouvait entendre le rythme des vagues et le souffle ténu et régulier d'Anita à ses côtés.
Il fallait qu'il bouge, qu'il réagisse, impérativement, et tout de suite.
Ce fut Anita qui bougea. Sa main vint recouvrir la sienne sur le levier de vitesse.
Hugo sentit son cœur accélérer nettement le mouvement, plus sûrement qu'avec la meilleure amphétamine du monde.
Il avala durement la boule de billard qu'il avait coinçée dans la gorge.
– Je ne suis pas certain que cela soit raisonnable, dans la situation actuelle.
Il se demandait même comment il pouvait arriver à parler, nom de dieu.
– Qu'est-ce qui ne serait pas raisonnable?
Oh, putain, la voix était si proche, si étonnamment sensuelle. Il tourna doucement la tête sur le côté. Elle était déjà tout près. Beaucoup trop près.
Il comprit que c'était trop tard. Que rien ne pourrait plus arrêter la séquence qui se profilait à l'horizon des toutes prochaines secondes. Il eut un ultime réflexe de résistance.
– Écoutez… vous êtes flic et je suis… ça… ça ne va pas être possible, vous comprenez?
C'était incroyable la dose de désespoir authentique qui s'était révélée dans ces quelques mots. Il en fut lui-même abasourdi.
– Non… Je ne sais pas qui vous êtes, lui répondit-elle.
– Justement.
Jamais les yeux de la jeune femme n'avaient atteint cette intensité. Il sentit ses derniers composants de sécurité fondre, comme du silicium sous la flamme.
La main de la jeune femme effleurait à peine la sienne. C'était bien plus grave encore que si elle l'avait fermement empoignée.
– Vous ne savez pas ce que vous faites, reprit-il dans un souffle.
– Non, c'est vrai… Mais ça n'a aucune importance et c'est ce qui m'étonne…
Sa voix s'était matérialisée en un souffle chaud qui était venu percuter son visage comme un vent du désert. Un parfum de menthe. Une nuée d'émotions l'envahit. Un ultime composant claqua.
Lorsque leurs lèvres se touchèrent, son cœur franchit définitivement la limite de vitesse autorisée.
Des siècles plus tard, lorsqu'il reprit pleinement conscience, le visage ovale et les cheveux de cuivre emplissaient tout l'univers. Il prit le visage en coupe dans ses mains, et fondit à nouveau dans un monde humide, soyeux et incroyablement vivant.
Plus tard encore, il vit ce sourire redoutablement désarmant prendre possession de son visage.
– Vous comptez brûler de l'essence toute la nuit?
Il ne réagit même pas. Elle se pencha pour tourner la clé de contact et ses cheveux vinrent lui chatouiller le visage, dangereusement.
Le silence pilonna l'habitacle. Dans le même mouvement elle tournait le bouton du radio-cassette et un très vieux fado égrena sa complainte mélancolique.
Il essaya de reprendre pied. Il fallait qu'il revienne au réel, nom de dieu. Il était absolument impossible d'envisager une telle relation. Le visage sévère d'Ari Moskiewicz tournoya dans son esprit, comme l'image d'une sorte d'autorité paternelle, qui ne survécut même pas deux ou trois secondes.
Elle fondait déjà sur lui, plaquant ses lèvres contre les siennes.
Il s'abandonna définitivement, dans un nuage chaud et délicieusement envoûtant.
Cela ne dura qu'une poignée d'instants.
Un tonnerre d'explosions déchira ce doux univers.
Le pare-brise encadrait la plage et le hangar à l'autre bout. Ils sursautèrent et lui firent face tendus comme des câbles haute-tension. La porte du hangar était visiblement ouverte et partout des hommes couraient. Des flammes orange crépitaient dans la nuit. Il y avait une grosse voiture sur la piste qui menait à la route, tous feux éteints.
– Seigneur, souffla Anita en ouvrant sa portière, le 38 Magnum déjà bien en main.
Il se précipita à sa poursuite en lui hurlant de l'attendre.
Elle bondissait au bas de la dune, et il s'y jeta aussi.
Ils fonçaient déjà tous deux sur le sable mouillé. C'était le chaos là-bas.
Ils coururent côte à côte au ras de l'écume. Une seule pensée martelait son esprit. Putain, tu as laissé la Steyr-Aug et le fusil à pompe dans le sac de sport, tu as commis une foutue erreur, mec. Le 9 mm tournoyait autour de son poing, comme un faucon d'acier.
Dans sa course effrénée vers l'autre extrémité de la plage, il commença à se faire une idée plus nette de ce qui se passait. Ouelqu'un s'abritait derrière le hangar et tirait sur un groupe d'hommes qui se cachaient derrière la Datsun d'Anita. Il reconnut la silhouette de Travis qui évitait les balles et… «Oh, non!» hurla une voix à l'intérieur de lui-même. Deux hommes couraient plus haut sur la piste, vers cette voiture, protégés par les trois types qui vidaient des chargeurs entiers en direction du hangar. Un des deux hommes portait un petit fardeau hurlant et gesticulant sur son épaule. Ils avaient Alice.
Il sentit un immeuble entier s'affaisser au cœur de lui-même. Il faillit ne pas apercevoir les hommes se tourner vers eux, détectant leur course folle sur le sable. Il vit des flammes orange et des impacts exploser dans le sable, ou soulever des pics liquides dans les flots, autour d'eux. Des insectes foudroyants bourdonnaient à ses oreilles.
Il n'y prit même pas garde. Il se mit à vider son chargeur en pleine course, en hurlant. L'arme tressautait dans ses mains, comme un appendice vivant, et frénétique. Il vit un des hommes s'effondrer en arrière et réalisa qu'Anita aussi tirait vers le groupe d'hommes qui tentait de rejoindre les autres, vers la voiture. Il entr'aperçut également Travis qui ouvrait à nouveau le feu. Le troisième homme, touché, s'affaissa étrangement sur les fesses.
Mais là-haut le type qui portait Alice arrivait déjà à la portière de leur véhicule, qui achevait un demi-tour.
C'était trop tard, nom de dieu. Il vit un homme sortir de l'obscurité et dévaler le chemin pour lancer quelque chose vers la voiture d'Anita, garée sur le bord du hangar.
Une énorme corolle de flammes gonfla, dans un tonnerre assourdissant, illuminant le décor. La voiture explosa, littéralement, en se soulevant et en éjectant toutes ses portières. L'explosion déchiqueta le corps du type qui s'était effondré contre une roue… Une grenade, ces fils de pute disposaient de grenades. L'homme remontait en courant vers la voiture. Il tira vers lui, mais au bout de deux ou trois balles, son pistolet émit le bruit désespérant du chargeur vide. Il dut ralentir pour éjecter le magasin dans la flotte et en enclencher un autre, à toute vitesse. Anita courait désormais devant lui. Tirant elle aussi, vers un autre type qui bascula en avant. Il entendit deux hurlements conjoints. Un hurlement mécanique, celui du moteur de la voiture qui démarrait à toute puissance sur le chemin, remontant vers la route dans un nuage de gaz et de terre, allumant brutalement ses phares. Et un cri. Un cri humain qui provenait du bâtiment.
Le cri de Travis. Un cri parfaitement désespéré, qui fit résonner le nom d'Alice dans la réverbération géante du hangar.
Il rattrapa Anita sur les rochers entassés qui bordaient la rampe. Il vit Travis, debout près du hangar, vieilli de cent ans, le regard vidé de toute expression. Les bras ballants, son 45 pendant mollement le long de la jambe. Sur le terre-plein qui bordait le hangar, la Datsun d'Anita était en flammes, évacuant une grosse fumée noire, puant le plastique brûlé. Un corps ensanglanté et mutilé avait roulé sur les rochers, avec une pluie de Plexiglas et de métal noirci. Une fantasmagorie rouge et orange dansait sur la surface d'aluminium du hangar ainsi que sur le sable, le béton et la surface de la mer. À quelques mètres de là, assis au milieu du chemin, près des débris calcinés du coffre, Hugo vit un homme bizarrement assis, les deux jambes écartées, les mains à plat sur le sol, la têté baissée.
Un peu plus haut une autre silhouette était allongée, face contre terre, plus immobile qu'une pierre.
Il se dirigea tout de suite vers l'homme assis. Il y avait un pistolet à ses pieds, qu'il fit dinguer de sa botte, loin sur le côté. L'homme relevait doucement la tête. Son visage était livide et recouvert d'un film gras de sueur qui brillait dans la lumière dansante des flammes. Une grosse tache rouge s'étoilait sur son ventre. Le type respirait difficilement, par à-coups irréguliers.
Hugo plongea son regard dans le sien. Vu l'apparence de la blessure, c'était grave.
Il pointa lentement son arme vers le front de l'homme, qui loucha vers le canon.
Il aperçut Anita qui le rejoignait, suivie de Travis, avançant comme un automate.
– Ils ont tué Pinto… Et les fils du téléphone sont coupés.
La voix d'Anita était d'une gravité extrême.
Travis contemplait l'homme, mais il ne semblait même pas le voir. Son esprit fuyait dans la nuit, à la poursuite de cette voiture, et de sa fille.
Hugo se racla la gorge et prit son inspiration. Ce qu'il allait devoir faire lui tenaillait horriblement l'estomac, par anticipation.
– De quelle nationalité es-tu? demanda-t-il en anglais à l'homme, immobile comme un pantin aux fils sectionnés.
L'homme toussa puis émit, dans un souffle:
– I'm French…
– Bien, reprit Hugo dans sa langue maternelle. Écoute, vous avez eu la bonne idée de couper le téléphone et de bousiller la voiture… On ne va même pas pouvoir appeler un médecin…
Il laissa sa phrase en suspens. Il fallait que le type intègre l'information. Avec toutes ses conséquences. Ce ne serait pas si facile…
Il puisa au fond de lui les ressources nécessaires pour continuer. Il détestait au plus haut point ce qu'il allait faire.
– Tu as remarqué comme moi que tes petits copains n'ont pas pris la peine de t'attendre… je vais passer un marché avec toi.
L'homme baissa la tête vers sa blessure et releva la tête. Un rictus distendait sa bouche. La douleur commençait sans doute à devenir insupportable.
Hugo ferma les yeux un instant. Prit une profonde inspiration. Il fallait juste ne pas penser et assurer le coup, nom de dieu.
– Ça va être redoutablement simple. En fait on peut prévenir les flics. On a une radio dans le bateau… Pour ça j'ai juste besoin que tu nous dises où se sont barrés les autres, dans la bagnole.
Le vent amena un nuage de fumée autour d'eux.
– Dans l'autre cas on te laissera pourrir sur ce bout de plage. D'après mon expérience, si t'es un peu robuste, tu peux en avoir pour toute la nuit.
Ça voulait dire une éternité, ça…
L'homme poussa un long soupir qui se termina dans une quinte de toux, chargée de sang.
– Je… J'sais pas exactement… Seul le chef savait…
– Rien qu'une indication, peut-être?
L'homme fut pris d'une nouvelle quinte de toux.
Des postillons rougeâtres giclèrent sur sa chemise et le sable.
– Je… Oui, vers le sud… Sur une plage, j'crois bien.
Hugo se tourna vers Anita.
– On a beach, lui traduisit-il bizarrement en anglais. South.
Il vit Anita tressaillir.
– Une plage? lui répondit-elle en néerlandais, bon sang, ça veut dire un bateau, ça…
Hugo lui transmit un faible sourire.
– C'est mon avis aussi.
Il fit de nouveau face à l'homme.
– Vous deviez transborder Alice sur un bateau, c'est ça?
L'homme s'étrangla. Du sang perla à ses lèvres.
– Vous deviez transborder Alice sur un bateau?
Ne pas faillir. Juste continuer.
– J'sais pas j'vous dis… Une plage c'est tout ce que j'sais… vers le sud.
Une violente quinte de toux le fit se plier de douleur.
Hugo regarda l'homme en essayant d'anéantir l'élan de compassion qui le menaçait de l'intériêur. C'était con, vraiment, mais il fallait faire le choix. Entre ce type et Alice.
Il attrapa Anita par le bras et se tourna vers Travis…
Celui-ci semblait à peine sortir de son état d'hébétude. Ses yeux étaient pleins d'une détermination glacée lorsque Hugo plongea son regard dans le sien.
– Bien, tout ce qu'il vous reste à faire, monsieur Travis, c'est nous apprendre sur le tas à manier votre petit chef-d'œuvre.
Il s'efforça de ne jeter aucun regard en arrière lorsqu'ils foncèrent vers l'entrée du hangar.