124392.fb2 Lautre univers - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 3

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Il essaya encore quelques mots, mais personne ne connaissait la langue. Ap Ceorn grogna quelque chose à un de ses hommes qui s’inclina et sortit. Il y eut un long silence.

Everard s’aperçut qu’il n’éprouvait plus de craintes pour lui-même. Il était dans une mauvaise passe, il pouvait n’avoir plus longtemps à vivre, mais tout ce qui pouvait lui arriver était ridiculement insignifiant en regard de ce qui était arrivé au monde entier.

Ciel ! A tout l’Univers !

Il ne comprenait pas. Bien clairement dans sa mémoire se dessinèrent les vastes plaines, les hautes montagnes et les orgueilleuses cités du pays qu’il connaissait. Il y avait l’image grave de son père et le temps de son enfance quand il le levait dans ses bras vers le ciel, en riant. Et sa mère… ils avaient eu une vie agréable ensemble, eux deux.

La jeune fille qu’il avait aimée à l’université, la fille la plus jolie qu’homme ait pu promener ; et Bernie Aaronson, les longues nuits passées à boire de la bière, à fumer en bavardant ; Phil Braxkey, qui l’avait ramassé dans la boue en France sous les rafales de mitrailleuses qui balayaient un champ ravagé ; Charlie et Mary Whitcomb, le thé au coin du feu en Angleterre victorienne ; le chien qu’il avait eu un jour ; les chants austères de Dante et le tonnerre de Shakespeare ; la splendeur de York Minster et le Pont de la Porte d’Or… Dieu, toute une vie humaine, et les vies de milliards de milliards de créatures, peinant et souffrant, riant et tombant en poussière pour que vivent leurs fils… tout cela n’avait jamais été !

Il hocha la tête, abruti de chagrin, et resta privé de compréhension.

Le soldat revint avec une carte qu’il étala sur le bureau. Ap Ceorn fit un geste brusque, Everard et Van Sarawak se penchèrent.

Oui… c’était la Terre, projection de Mercator, bien que la carte fût assez grossière. Les continents et les îles y figuraient en couleurs vives. Mais pour les nations, c’était autre chose !

— Pouvez-vous déchiffrer ces noms, Van ?

— Je peux essayer en me fondant sur l’alphabet hébraïque.

Il lut les mots étranges, comblant les lacunes par la logique.

L’Amérique du Nord jusqu’aux environs de la Colombie s’appelait Ynys yr Afallon et semblait être un vaste pays divisé en Etats. L’Amérique du Sud était un grand royaume, Huy Braseal, avec quelques pays plus petits dont les noms semblaient indiens. L’Australasie, l’Indonésie, Bornéo, la Birmanie, l’Inde orientale et une bonne part du Pacifique appartenaient à l’Hinduraj. L’Afghanistan et le reste de l’Inde constituaient le Pundjab. Le Han comprenait la Chine, la Corée, le Japon, et la Sibérie orientale. Le Littorn possédait le reste de la Russie et s’avançait loin en Europe. Les Iles britanniques s’appelaient Brittys. La France et les Pays-Bas, Gallis. La péninsule ibérique, Celtan. L’Europe centrale et les Balkans étaient divisés en de nombreux petits pays dont certains portaient des noms huns. La Suisse et l’Autriche composaient l’Helveti. L’Italie était le Cimberland. La péninsule Scandinave était partagée par le milieu et s’appelait Svea au nord et Gothland au sud. L’Afrique du Nord paraissait former une confédération du Sénégal à Suez et presque jusqu’à l’Equateur, sous le nom de Carthagalann ; le sud du continent était divisé en petits pays qui portaient pour la plupart des noms purement africains. Le Proche-Orient comprenait Parthia et Arabia.

Van Sarawak releva la tête, les yeux remplis de larmes.

Ap Ceorn grogna une question et agita l’index. Il voulait savoir d’où ils venaient.

Everard haussa les épaules et montra le ciel. La seule chose qu’il ne pouvait avouer, c’était la vérité. Lui et Van Sarawak s’étaient engagés à dire qu’ils venaient d’une autre planète, puisque ce monde-ci ignorait visiblement les voyages dans l’espace.

Ap Ceorn parla au chef qui acquiesça et répondit. On reconduisit les prisonniers dans leur cellule.

— Et maintenant ?

Van Sarawak se laissa choir sur sa couchette et contempla le plancher.

— On joue le jeu, fit Everard. On fait tout ce qu’on peut pour récupérer le saute-temps et vider les lieux. Une fois libres, nous réfléchirons.

— Mais que s’est-il passé ?

— Je vous dis que je n’en sais rien ! A première vue, on dirait que quelque chose a renversé l’Empire romain et que les Celtes ont pris le dessus, mais je ne saurais dire de quoi il s’agit.

Everard se mit à arpenter la pièce. Une décision amère s’imposait à lui.

— Rappelez-vous notre théorie de base, reprit-il. Les événements résultent d’un complexe. C’est pourquoi il est si difficile de changer l’Histoire. Si je retournais au Moyen Age, par exemple, et que je tuasse l’un des ancêtres hollandais de Franklin Roosevelt, il n’en naîtrait pas moins au XXe siècle, parce que lui-même et ses gènes sont issus de la somme totale de ses ancêtres et qu’il y aurait eu compensation. La première affaire dont je me sois occupé, c’était une tentative d’altération au Ve siècle ; nous en avons repéré des indices au XXe siècle, nous sommes donc retournés en arrière et nous avons mis fin au plan{Voir: La Patrouille du Temps.}.

« Mais de temps à autre, il doit y avoir un événement-clef essentiel. Ce n’est qu’avec le recul qu’on peut l’identifier, mais il peut se trouver un événement unique qui soit un nœud de tant de lignes mondiales que ses conséquences sont décisives pour le futur tout entier.

« D’une façon ou d’une autre, et pour une raison inconnue, quelqu’un a donné un coup de pouce à un tel événement dans le passé.

— Plus d’Hesperus City, murmura Sarawak. Plus de promenades le long des canaux sous le crépuscule bleu, plus de crus d’Aphrodite, plus de… vous ne saviez pas que j’avais une sœur sur Vénus ?

— Taisez-vous. Je sais. L’important, c’est ce que nous allons faire. Ecoutez. La Patrouille et les Daneeliens n’existent plus. Mais les bureaux de la Patrouille et les stations de repos qui se situent à des dates antérieures au moment du changement n’en ont pas été affectés. Il doit bien y avoir quelques centaines d’agents que nous pouvons rassembler.

— Si nous parvenons à nous échapper.

— Nous pouvons découvrir cet événement-clef et annuler l’interposition qui a eu lieu. Il le faut !

— C’est une idée agréable, mais…

Il y eut un bruit de pas au-dehors, une clef cliqueta dans la serrure. Les prisonniers reculèrent. Puis, tout d’un coup, Van Sarawak se mit à faire des courbettes en souriant. Everard lui-même en resta la bouche ouverte.

Une jeune fille était entrée, précédant trois soldats ; elle était à couper le souffle. Grande, ses longs cheveux d’un roux ardent lui descendaient jusqu’à la taille, qu’elle avait fort mince ; elle avait des yeux verts et animés, un visage issu de toutes les beautés d’Irlande depuis les origines, et sa longue robe blanche moulait une silhouette qu’on imaginait facilement se profilant sur les murailles de Troie. Everard remarqua vaguement que cette époque employait les fards, mais la jeune fille n’en avait guère besoin. Il n’accorda pas la moindre attention à ses bijoux d’or et d’ambre, pas plus qu’aux armes braquées derrière elle.

Elle esquissa un sourire un peu timide et demanda :

— Me comprenez-vous ? On pense que vous savez peut-être le grec…

Sa langue était plus classique que moderne. Everard, qui avait travaillé à l’époque d’Alexandre, en un temps, parvenait à la comprendre à force d’attention, malgré un accent inaccoutumé.

— Oui, je comprends, dit-il en bégayant un peu.

— Qu’est-ce que vous baragouinez ? s’enquit Van Sarawak.

— Du grec antique, fit Everard.

— C’est bien ma veine, geignit Van Sarawak. (Son désespoir semblait avoir disparu, et il avait les yeux ronds.)

Everard se présenta ainsi que son camarade. La jeune fille leur déclara s’appeler Deirdre Mac Morn.

— Non, c’en est trop, se lamenta Van Sarawak. Manse, il faut que vous m’enseigniez le grec, et en vitesse.

— Bouclez-la, il s’agit d’une affaire sérieuse.

— D’accord, mais pourquoi serait-ce vous qui auriez tout le plaisir ?

Everard lui tourna le dos et pria leur visiteuse de s’asseoir. Il se plaça à côté d’elle sur la couchette, et son camarade resta à proximité, l’air sombre. Les gardiens avaient toujours l’arme au poing.

— Le grec est-il encore une langue vivante ? demanda Everard.

— Seulement en Parthia, où il est d’ailleurs très décadent. Je suis une spécialiste des humanités, entre autres choses. Saorann ap Ceorn est mon oncle, c’est pourquoi il m’a demandé d’essayer d’entrer en rapport avec vous. Nous ne sommes pas nombreux en Afallon à connaître la langue attique.

— Eh bien… (Everard se retint de sourire.) J’en suis très reconnaissant à votre oncle.

Elle le regarda d’un air grave.

— D’où venez-vous ? Et comment se fait-il que vous ne parliez que le grec, entre toutes les langues ?

— Je connais également le latin.

— Le latin ? (Elle fronça les sourcils.) Ah ! oui, c’était la langue des Romains, n’est-ce pas ? J’ai peur que vous ne trouviez personne qui le connaisse.