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26

Lucie émergea dans un sursaut.

Elle roula rapidement les yeux pour se rappeler où elle se trouvait : la chambre d'hôpital. Elle se redressa soudain dans son fauteuil. Sharko était derrière elle, debout, et il lui caressait la nuque - ce qui avait provoqué le brusque réveil.

- Dimanche matin, presque 11 heures, sourit-il. J'ai hésité à t'apporter les croissants.

Lucie grimaça, elle était courbaturée et s'était endormie seulement quelques heures plus tôt.

- Franck ! Qu'est-ce que tu fais debout ?

Il tourna sur lui-même, dans son pyjama bleu.

- Pas mal pour un revenant, non ? Le médecin a fait un peu la gueule en me voyant dans les couloirs, mais il m'a tout expliqué. Puis j'ai croisé un gendarme, aussi. Je suis au courant pour la mort d'Agonla, les cadavres dans le congélateur. Il paraît que mes papiers sont dans un sale état, que mon téléphone a disparu, que mon costume anthracite est fichu et...

Elle se plaqua contre son compagnon et le serra fort.

- J'ai eu tellement peur. Si tu savais.

- Je sais.

- Et je regrette notre dispute. Sincèrement.

- Moi aussi. Ça ne doit plus arriver.

Sharko ferma les yeux, tout en continuant à lui caresser le dos. Des sensations horribles lui dressèrent les poils. L'eau glacée, qui lui compresse la poitrine et l'empêche de respirer. Ses membres qui s'engourdissent et l'entraînent au fond. La brûlure atroce dans ses muscles, lorsqu'il s'était hissé sur la berge.

- Je n'ai plus mon arme de service. De toute ma carrière, je ne l'ai jamais perdue, même dans les pires moments. Mais là... Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'il est vraiment temps de raccrocher ?

Lucie l'embrassa. Ils s'échangèrent des caresses et des mots tendres. La pièce était baignée de lumière. Sharko emmena sa compagne à la fenêtre.

- Regarde.

Le paysage était à couper le souffle. Les rayons du soleil étincelaient sur les sommets d'une blancheur éclatante. Partout ne flamboyaient que des couleurs vives, luminescentes. En contrebas, les voitures circulaient au ralenti. Toute cette vie, cette lumière faisaient tellement de bien.

- Ces montagnes ont failli m'ôter la vie, mais je ne peux m'empêcher de les aimer.

- Je les déteste.

Ils se regardèrent bêtement, et partirent dans un fou rire. Sharko eut un peu mal aux côtes, mais il le cacha habilement. Il expliqua que, même avec des contre-indications, il serait dehors avant la fin de la journée. Il se sentait bien, en forme, malgré deux, trois douleurs par-ci, par-là. Lucie se demanda s'il ne voulait pas l'impressionner, lui montrer qu'il avait encore une sacrée carcasse.

- T'es vachement sexy dans ton pyjama bleu, tu sais ?

- Je m'en passerais bien.

Lucie l'enlaça encore.

- Je veux être avec toi, ce soir, à l'hôtel. Oui, je veux que tu sortes, et qu'on fasse enfin ce bébé. On peut dire que notre soirée d'hier a été compromise.

Sharko tenta de sourire, il pensa à ce que lui avait dit le médecin du laboratoire d'analyses médicales : « Un peu de repos, des vacances, pour redonner de la vigueur aux petites bestioles »... Tu parles. Il retrouva finalement un air grave et la fixa dans les yeux.

- Ce type, qui m'a balancé dans la flotte, il peinait franchement quand je l'ai poursuivi. Je ne courais pas vite mais lui, encore moins. Je crois qu'il n'était plus tout jeune. Je n'ai pas vu son visage, mais j'ai vu son blouson au moment de la chute. C'était un Bombers kaki. Exactement le même genre de blouson que celui de l'homme qui a enlevé le gamin à l'hôpital.

- Tu es sûr ?

- Certain.

Lucie accueillit la remarque comme un choc. Elle remercia le ciel de ne pas être allée en pédiatrie, de ne pas avoir eu à croiser le regard de cet enfant, parce qu'elle imaginait le pire à présent.

Il y eut un long silence, chargé de tension. Les dires de Sharko confirmaient ce que Lucie pensait déjà :

- Je crois que quelqu'un suit la même piste que nous. Il nous devance d'un pouce et élimine tout ce qui pourrait nous aider à progresser. Il remonte le temps et fait du nettoyage. Je pense que chez Agonla, il cherchait des notes.

Elle alla fouiller dans son blouson.

- Ces notes-là. Ce cahier contient des formules chimiques, des dessins, des modes opératoires sur ces histoires de sulfure d'hydrogène. Agonla parle aussi des victimes, de la façon dont il s'y est pris pour les endormir. Les quantités, les dosages...

Sharko prit le cahier qu'elle lui tendait.

- Les gendarmes t'ont autorisée à garder l'original ?

- Ils ne savent pas que je l'ai trouvé. Il était planqué derrière des briques, dans l'un des murs de la cave.

Sharko se figea, ahuri.

- T'es en train de me dire...

- Oui, mais j'ai tout remis en place.

- Lucie !

La flic écarta un peu les bras, les paumes au plafond.

- Ces notes concernent notre affaire. Ce fichu commandant de gendarmerie nous a éjectés du coup. S'il était entré en possession de ce cahier, il aurait fait barrage pour nous donner les infos. Hors de question de lâcher une miette de NOTRE enquête. Regarde plutôt là-dedans, au lieu de râler.

Il soupira. Le petit morceau de femme qui se tenait en face de lui était bien du pur jus « Lucie Henebelle ».

- Il faudra trouver une solution pour le restituer. On ne peut pas garder ça pour nous, il s'agit d'une pièce à conviction essentielle.

Les mâchoires serrées, Sharko tourna finalement les pages. Il passa un doigt sur le dessin du début, l'air grave.

- Encore ce symbole, identique au tatouage de l'enfant.

- Qui nous prouve bien que tout est lié.

Il jongla entre les feuilles volantes et les pages du cahier.

- Deux personnes différentes ont écrit là-dedans.

- Je sais. L'une sur le cahier, l'autre sur les pages volantes.

Il considéra la photo en noir et blanc. Ses yeux s'écarquillèrent.

- Mais c'est Einstein ?

- En personne.

- Je ne connais pas l'autre homme, mais la femme... On dirait Marie Curie. C'est bien Marie Curie ?

Lucie se frotta les épaules, comme si elle avait froid. Elle partit se plaquer contre le chauffage, dos à la fenêtre.

- Je ne sais pas.

- Si, c'est elle, j'en suis presque certain. Une photo incroyable... Dommage qu'elle soit en partie brûlée.

- Elle me glace le sang. Regarde comment les trois fixent l'objectif. C'est comme s'ils ne voulaient pas qu'on la prenne, cette photo. Et puis cet endroit, terriblement obscur. Qu'est-ce qu'ils cherchaient là-dedans ? De quoi parlaient-ils à ce moment-là ?

Intrigué par ce cliché, Sharko poursuivit son exploration. Les formules, les notes manuscrites. Ses yeux étaient sombres, son front se plissait. Il referma finalement le cahier et remarqua un tampon légèrement effacé, en bas de la couverture arrière. Il le montra à Lucie.

- Tu avais vu ?

La flic revint vers lui, intriguée.

- « Hôpital spécialisé Michel Fontan, Rumilly. 1999 ». Ça m'avait échappé. Mince. Rumilly...

- Là où Philippe Agonla a travaillé comme agent d'entretien, avant la blanchisserie des Adrets.

- Et où il a aussi été traité pour ses troubles psychiatriques, d'après Chanteloup. 1999, ça correspond bien à cette date.

Alors qu'ils réfléchissaient, on leur apporta des plateaux-repas. Sharko souleva la cloche et grimaça.

- C'est dimanche, bordel. On ne peut pas manger un truc aussi infect un dimanche.

Lucie fut moins difficile que lui. Elle dévora ce qui ressemblait à du porc avec de la purée. Sharko l'accompagna, pour la forme, et ils discutèrent encore de leur enquête. Après la pomme verte en guise de dessert, Lucie consulta le SMS qui était arrivé sur son portable.

- « Sommes prêts pour un point. Des infos intéressantes de notre côté. En espérant que Franck va bien. Appelle avant 15 heures, si possible. » C'est de Nicolas.

- Il l'a pris comment ?

Il balaya l'air en ouvrant les bras.

- Tout ça, je veux dire.

- Je l'ai appelé hier soir, avant de retourner à la cave. Ça ne s'est pas trop mal passé, même s'il a eu très peur pour toi et nous a qualifiés « d'inconscients ».

- Comme d'habitude. Bon, tu le rappelles mais, pour l'instant, ne parle surtout pas de ce cahier, ni d'Einstein ou de quoi que ce soit.

Lucie alla fermer la porte et composa le numéro de son supérieur. Elle mit le haut-parleur, et entendit que le chef du groupe avait fait la même chose de son côté.

- Merci de rappeler. D'abord, comment va Franck ?

- Prêt à sortir, déjà, répliqua Lucie en fixant Sharko avec un clin d'œil. Il lui manque juste le costume.

- Super...

- J'ai mis le haut-parleur. Franck t'entend.

- Salut, Franck. Bon, je me trouve au bureau, avec Pascal. On partage nos dernières infos et on rentre chez nous, on est sur les rotules. Vous vous rendez compte que notre « Limier » n'a pas fait de muscu depuis vendredi ?

- Du jamais-vu depuis que je bosse avec vous.

- Et ça le rend plutôt nerveux, il est comme un volcan sur le point d'entrer en éruption. Alors... On est en relation avec Pierre Chanteloup, de la SR de Chambéry, et Éric Dublin, du SRPJ de Grenoble. Ça ne va pas être simple d'un point de vue judiciaire, ce Chanteloup a l'air méchamment borné et risque de faire blocage.

- À qui le dis-tu ! fit Lucie. Un vrai con.

- Arthur Huart, notre juge d'instruction, est plutôt doué. Il saura se débrouiller avec les autres magistrats et éviter les grosses embrouilles. De notre côté, pas mal de nouveautés. Vous m'entendez bien ?

Lucie acquiesça.

- Parfaitement, fit-elle. Mais, pour commencer, des nouvelles de l'enfant de l'hôpital ?

- Aucune. Ni de lui ni de Valérie Duprès. Le point mort, mais les recherches se poursuivent.

Lucie et Sharko s'étaient assis sur le lit, côte à côte. Bellanger continuait à parler :

- Nous concernant, Pascal a bien travaillé. Pour faire court, on est presque certains que Duprès menait des recherches sur les sites les plus pollués de la planète. Pollution chimique, au dioxyde de carbone, radioactivité. On dispose de ses dates de voyages, on a pu globalement retracer son périple. Fort possible qu'elle s'intéressait à l'aspect sanitaire de la chose. À La Oroya par exemple, presque tous les enfants souffrent de saturnisme, avec d'autres problèmes de santé, dont des dysfonctionnements des reins et du cœur. C'est peut-être pour cette raison qu'elle a choisi cette ville au fin fond du Pérou.

Lucie et Sharko se regardèrent avec gravité. Le commissaire prit le téléphone en main et l'approcha de sa bouche.

- Problèmes de reins et de cœur... Comme notre gamin disparu.

- Ça a fait tilt aussi chez Pascal. De ce fait, j'ai appelé ce matin l'hôpital de Créteil, mais on a de petits problèmes administratifs avec eux. Comme le môme n'est plus dans leur établissement, ils nous mettent des bâtons dans les roues pour des analyses sanguines qu'on aimerait approfondir. Toujours des histoires de fric, à savoir qui va payer. De ce fait, on va récupérer les échantillons de sang et les fournir à nos équipes de toxico. On a du bol, à l'hosto, ils possèdent encore les tubes qu'ils gardent en général une semaine, et ont suffisamment de sang pour d'autres examens. Bref, je laisse passer le dimanche et lance la procédure dès demain matin.

Sharko voyait certains liens se tisser, de manière très floue. Dans sa tête, trois mots résonnaient : radioactivité, Einstein, Curie.

- Tu as parlé de radioactivité, dit-il.

- Oui. Après la Chine et la pollution extrême au charbon, Duprès s'est rendue à Richland, et s'est ensuite envolée pour Albuquerque, aux États-Unis. Des endroits proches de villes impliquées dans le projet top secret Manhattan, qui a permis de créer les premières bombes atomiques en 1945.

- Vaguement entendu parler de ça, mais c'est loin.

- Richland est très connu, très touristique d'ailleurs, pour ceux que l'histoire intéresse. On l'appelle « Atomic City », la ville du champignon. Elle est devenue un vérit...

Le commissaire n'écoutait plus, il s'était redressé d'un trait en claquant des doigts.

- Lucie ! Où est l'édition du "Figaro" ?

- Dans la boîte à gants.

- Va la chercher, s'il te plaît, vite ! Je crois que je viens de comprendre pourquoi Duprès avait gardé ce journal !

Alors qu'elle disparaissait, Sharko retrouva son calme et répéta à ses collègues parisiens ce que Lucie lui avait dit une heure auparavant - évitant de parler du cahier, - afin qu'ils soient tous au même niveau d'informations. Enfin, la flic réapparut, le journal roulé dans sa main. Elle le tendit à Sharko, qui le feuilleta rapidement.

- C'était dans les petites annonces, j'en suis certain.

Ses yeux roulaient de droite à gauche sur les lignes. Il écrasa enfin son index au milieu de la page de gauche.

- Voilà, je la tiens enfin. C'est dans la partie « Messages personnels », là où n'importe qui peut déblatérer n'importe quoi. Je n'y avais pas prêté attention la première fois, parce qu'il y a souvent des messages bizarres à cet endroit. Écoutez ça, c'est rigoureusement ce qui est noté dans le journal : « On peut lire des choses qu'on ne devrait pas, au Pays de Kirt. Je sais pour NMX-9 et sa fameuse jambe droite, au Coin du Bois. Je sais pour TEX-1 et ARI-2. J'aime l'avoine et je sais que là où poussent les champignons, les cercueils de plomb crépitent encore. » Fin de petite annonce.

Il y eut un long silence. Bellanger demanda à Sharko de répéter, puis demanda :

- Et tu crois vraiment que ça a un rapport ?

- J'en suis presque sûr. On dirait une espèce de message codé. Pour l'avoine, je ne comprends pas, mais tu me dis que Richland est la ville du champignon. « Là où poussent les champignons ». Et puis, il y a cette histoire de plomb, aussi. Le plomb dans le sang des enfants... Ces cercueils, ce ne pourrait pas être les mômes eux-mêmes, condamnés à mourir avec le plomb qu'ils possèdent en eux ? Des cercueils ambulants. Tu vois ce que je veux dire ?

- À peu près, répondit Bellanger. Et... (Un silence). Tu crois que Duprès est l'auteure du message ?

- Ça me paraît évident. Par le « Je sais », elle pointe une cible du doigt, elle la menace. Et elle sait que cette cible lit attentivement "Le Figaro".

- Ça peut coller. Et puis, temporellement, il n'y a pas d'incohérence. Duprès revient du Nouveau-Mexique début octobre, l'annonce passe un mois plus tard, en novembre. Et d'ailleurs, Duprès n'est jamais allée en Inde, comme sa demande de visa le laissait présager. Après le voyage aux États-Unis, ses priorités avaient changé.

Lucie écoutait et notait sur son carnet, Sharko se caressait le menton. Valérie Duprès prenait doucement chair dans sa tête. Ses motivations, ses ambitions s'esquissaient. Un voyage sur les sites pollués. Un livre qui dénonçait l'impact de la pollution sur la santé. Une découverte à Richland ou à Albuquerque, sa dernière destination, qui change soudain ses objectifs et la met finalement en danger. Qui cherchait-elle à atteindre avec la petite annonce ? Quel était le sens de ce curieux message ? Et surtout, quel rapport avec l'enfant de l'hôpital ou une photo de scientifiques des années 1900 ?

Bellanger le coupa dans ses pensées.

- Bon. On va cogiter, laisser reposer toute cette histoire. Pascal va s'amuser ce dimanche avec ce message codé, il adore ça. Faites votre déposition chez ce Chanteloup demain matin et s'il n'y a plus rien à faire dans le coin, vous revenez. Pour ton arme, Franck, je vois ça avec la direction. Ça va encore générer trois kilos de paperasse, cette histoire.

Il les salua et raccrocha. Sharko se dirigea vers la fenêtre en se lissant les cheveux vers l'arrière. Puis il se retourna et fixa Lucie, qui avait les yeux plongés dans les pages du "Figaro".

- Ça te parle ?

- Absolument pas. C'est du chinois.

- Fallait s'y attendre. Tu passes à l'hôtel me chercher des vêtements ?

- Tu veux déjà sortir ? Tu plaisantes, là ?

- Pas du tout. Pour toi l'hôtel, et, de mon côté, je règle le problème de ma sortie avec le médecin. Ensuite, on a le choix. Ou on reste tranquillement à l'hôtel, au chaud dans le lit, ou on va faire un tour à l'hôpital psychiatrique de Rumilly. À ton avis ?

Lucie prit la direction de la porte.

- J'ai vraiment besoin de te répondre ?