171871.fb2 C?r?ales killer - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 4

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Troisième partieJULIETTE(le retour et sa fin)

Chapitre veuf(Histoire de donner le ton funeste de ce chapitre)

Juliette Blondeau, assise dans le noir, frissonna en voyant surgir sur l'écran le visage terrifiant de Scream.

Elle sentit une main lui frôler la cuisse et ne put réprimer un hoquet d'angoisse.

— N'aie pas peur, Juliette, chuchota une voix rassurante. C'est moi.

— Nicolas ! s'exclama la jeune fille, en se tournant vers son voisin.

— Chut ! Retrouve-moi aux toilettes.

— Mais… le film ?

— Tu as déjà vu le 1 et le 2. C'est toujours pareil… Un vieux copain, ou un cousin, qui s'affuble du masque. J'y vais. Je t'attends.

Il s'éloigna dans l'obscurité, ombre plus angoissante encore que le héros fantasmatique qui s'agitait sur la toile blanche. Juliette hésita un instant puis se leva à son tour et rejoignit Nicolas. Elle le trouva plus beau que jamais, fort de cette arrogance qu'elle prenait pour de l'assurance.

— Qu'est-ce que tu as au nez ? demanda la fille.

Nicolas sourit en caressant son sparadrap.

— Je me suis battu avec un flic.

Emerveillée, Juliette lui donna un baiser furtif sur la joue.

— Et tu t'es enfui ! J'ai lu ça dans la presse.

— Tu ne vas pas me dénoncer ?

— Jamais ! Mais comment tu m'as retrouvée ici, dans ce cinoche ?

— Je me suis mis en faction à Saint-Jean-Nivers, devant la ferme de tes parents. J'ai vu partir ta petite Saxo… C'était qui, le type que tu emmenais ?

— José, le commis à mon père.

— De ton père ! ne put s'empêcher de rectifier Nicolas. Tu couches avec lui ?

— Tu déconnes, c'est un Portugais !

— Tu sais que les Portugais se laissent pousser la moustache pour ressembler à leur mère ?

— Il n'a pas de moustache, répondit Juliette, réfractaire à l'humour.

— Je t'ai vue le déposer dans la banlieue de Nogent-le-Rotrou et je t'ai suivie jusqu'ici, poursuivit Nicolas.

— C'est quoi, ton problème ? demanda la gamine.

Nicolas embrassa Juliette avec fougue et avec la langue.

— Il faut que je me planque, dit-il en reprenant son souffle.

— Et tu comptes sur moi ?

— Tu es la seule personne au monde qui puisse m'aider.

Juliette était une fille ravissante, brune tendance « aux-burnes » comme dit Béru, avec des yeux noisette qui donnaient envie de rencontrer son écureuil. Elle avait tout juste dix-neuf ans. Et ne fêterait jamais ses vingt ans[29].

— Tu veux que je fasse quoi ? questionna-t-elle.

— J'ai abandonné ma voiture dans un parking. Tu vas m'emmener chez toi et me cacher dans ta ferme le temps que mes affaires s'arrangent, O.K. ?

— O.K. ! Viens, on va passer par l'issue de secours.

— Attends ! J'aimerais que tu me fasses une petite pipe, comme dans le bon vieux temps…

Nicolas obligea la fille à s'agenouiller.

— Regarde, le cadeau que j'ai pour toi…

— Elle est en forme, admit Juliette, mais on pourrait nous surprendre.

* * *

Martha avait préparé une blanquette de veau, sa spécialité. Juliette l'avait aidée à émincer les oignons et couper les carottes. Selon son habitude, Anatole était rentré tard, après avoir soigné les bêtes et accompli les rudes tâches qui étaient son lot quotidien. Avant de passer à table, il avala d'un trait un pastis presque sans eau et déboucha la bouteille de cidre qui accompagnerait son souper.

Juliette avait toujours su profiter de son statut de fille unique. Ses parents la couvaient avec plus de soins qu'un œuf de dinosaure. Elle leur rendait cette affection en les considérant comme des rescapés du paléolithique. Le conflit des générations n'est pas grave lorsqu'il s'échelonne sur des millénaires.

Après le repas, elle attendit qu'Anatole et Martha fussent couchés, que sa mère commençât à gémir (Blondeau ne badinait pas sur la bagatelle) pour retourner à la cuisine. Elle emplit une gamelle de blanquette et la couvrit de riz. En ajoutant une demi-baguette et un litre de rouge, Nicolas serait rassasié.

Juliette trottina jusqu'à la grange où elle avait installé son copain dans le plus grand secret. Elle fut surprise de ne point l'y trouver. Sans doute avait-il profité de la nuit tombante pour aller se dégourdir les jambes. Elle lui avait pourtant recommandé la plus grande prudence car son père bourlinguait dans la ferme à toute heure. Elle déposa la pitance sur un cageot et ressortit, tracassée. Elle fit quelques pas en direction de la colline, contourna la mare à purin, déclencha les grognements des cochons qui somnolaient dans les stalles de la porcherie. Elle s'apprêtait à rebrousser chemin lorsqu'un craquement dans son dos la fit sursauter.

Juliette se retourna en poussant un cri de surprise. Elle eut l'impression de se retrouver dans l'horrible scène du film qu'elle avait vu l'après-midi même.

— Arrête de déconner, Nico ! souffla-t-elle.

Elle n'eut pas le temps de préciser sa stupeur. Une douleur violente lui arracha un hurlement et une main puissante s'appliqua sur sa bouche tandis qu'un poignard l'éventrait.

* * *

— Juliette Blondeau, une gamine de dix-neuf ans, ablation des ovaires et de l'utérus, les seins lacérés… Toujours le même rituel.

— Où ça ? demandé-je à Roykeau.

— Dans le Perche, à Saint-Jean-Nivers, une petite commune proche de Nogent-le-Rotrou. Le père a découvert sa fille au petit matin, au bord de son champ.

— Des agriculteurs, aussi ?

— Oui, mais pas du même niveau que les Godemiche. Quelques vaches, des cochons, une basse-cour… la petite exploitation familiale.

— Je ramasse Béru et j'arrive, conclus-je avant de raccrocher.

Mes narines explosent lorsque je déboule chez le Gravos. On jurerait que la pompe à merde de sa chanson vient de dégazer dans les parages. Je me précipite à la fenêtre et l'ouvre en grand. Je m'apprête à vilipender le misérable, mais en constatant son abattement, je sursois à mon ire.

Ça ne va pas, Gros ?

— Pire encore !

— Qu'est-ce qui t'arrive ?

Alexandre-Benoît largue une ultime louise, sans conviction.

— Mon patron, l' député…

— Tibère Landoffi ?

— Il est en taule. J' serai jamais payé pour mes cours. Et pourtant, j' répétais fort, crois-moi !

— Ah, ça ! admets-je en évitant de renifler.

— Va falloir que j' rempile chez les matuches, soupire le Mastard.

— Ça tombe bien, parce que j'ai besoin de toi !

* * *

C'est avec mon Audi, enfin ex-fourriérée, que nous regagnons la maison Parapluie de Nogent-le-Rotrou. Le commissaire Lémiche nous reçoit avec les égards dus à notre harangue. Sont également de la partouze Roykeau et sa paluche enrubannée, plus son adjoint Franco Deport. Ces messieurs ont effectué les premières constatations d'usage, mais ils m'ont habilement délégué le soin de diligenter l'enquête. Je leur en sais gré.

Pour la première fois de sa vie, l'immonde Béruroche, plein de vague à l'âne, s'excuse après avoir lâché une perlouze.

— 'mande pardon, j' récitais !

Très vite, on passe aux choses sérieuses. Lémiche débouche une bouteille de champ' qui piétinait dans le frigo et Deport nous fait un rapport circonstancié de la situation. Je vais te la faire brève, car je sais que tu dois aller tirer la blondasse rencontrée avant-hier dans le métro. Ne proteste pas, j'y étais. Je t'ai vu lui frôler les miches à l'occasion d'un freinage un peu brutal. Comme elle a eu l'air d'apprécier, tu lui as franchement carré un doigt dans l'oigne. Je ne t'en fais pas grief, mais ce n'est pas une raison pour ligoter mes bouquins à la va-vite.

En résumé : Juliette Blondeau a été massacrée, mais pas violée, idem la ravissante Suzie. Mélanie, elle, a connu plusieurs rapports sexuels la nuit de sa mort, cependant le viol n'est pas établi. Ces éléments nous incitent à penser que notre serial killer, même s'il effémine[30] ses victimes n'obéit pas à des pulsions sexuelles.

Autre élément d'importance, la Clio blanche d'Aimé, empruntée par Nicolas, a été retrouvée à Nogent-le-Rotrou, c'est-à-dire tout près du lieu de ce nouvel assassinat.

Quant au 4 × 4 de Nicolas, les flics de Saint-Quentin-en-Yvelines l'ont débusqué dans la cour d'une H.L.M. voisine du R.E.R.

Mes collègues se perdent en conjonctivite car je ne leur ai pas dit que selon toute vraisemblance c'était Antoine qui avait chouré la caisse japonaise dans la cour de la Vieille-Nave. Comme n'importe quel père lambda, je suis rassuré à l'idée que mon fils a certainement regagné la capitale et qu'il ne saurait être compromis dans le meurtre de la malheureuse Juliette.

Tu vas voir que j'ai tort de me réjouir.

* * *

La ferme des Blondeau est occupée par une escouade de képis lorsque nous débarquons. Un gradé nous salumilitarise d'importance.

— Maréchal des logis Dalors ! se présente-t-il.

Sa qualité de chef se lit sur sa moustache drue comme un balai de chiottes et dans son regard de fouine enfumée au fond d'un terrier.

Le bourdille nous escorte à travers le modeste domaine qui se compose de trois bâtiments disposés en U. Au centre un corps d'habitation à colombages colombinés par les pigeons, bâtisse d'un étage.

Sur la droite, un hangar encombré d'instruments aratoires divers et rouillés, de fourches, de bêches, de bidons et de toutes les vieilleries qu'on entasse au cours d'une vie agraire. Un tombereau est accroché à un tracteur américain qui devait être neuf le jour du débarquement d'Omaha Beach.

Sur la gauche, l'étable est flanquée d'une grange à foin. Non loin de là, une fosse a été creusée pour stocker le lisier qui constitue un excellent engrais et ne s'en cache pas au niveau olfactif. Je remarque que Béru écrase une larme.

— Tu repenses à ta jeunesse à Saint-Locdu-le-Vieux ? lui demandé-je.

— Non, c'est l'odeur du purin, gémit le Mastard. Ça m' rappelle mes leçons de pétomanie.

Suivant les pas du sergent chef Dalors, nous contournons la mare fécale et empruntons un chemin qui grimpe à l'assaut d'une agréable colline.

— C'est ici que le corps de la petite a été retrouvé, explique le moustachu à œil de fouine.

Les contours du cadavre ont été tracés à la chaux sur le sol. Ce misérable dessin décoré d'une flaque de sang séché me déchire le cœur.

— A quelle heure Juliette a-t-elle été tuée ?

— D'après le légiste, elle venait juste d'achever son dîner. Donc, vers neuf heures du soir. Les parents étaient couchés. Ce n'est que ce matin dès l'aube…

« … à l'heure où blanchit la campagne », récité-je dans l'intimité de ma mémoire.

— … que le père a fait la macabre découverte, achève Omer Dalors, lequel ne recule jamais devant un cliché bien senti.

— Pas d'empreintes de pas, constate Béru.

— Le sol est sec et gelé…

— L'arme du crime ? hasardé-je.

— Une lame courte et large : couteau de cuisine ou poignard.

— Ce céréale enculé ne laisse aucun indice derrière lui ! tempête le Gros.

La moustache du maréchal des logis ondule légèrement et son regard de mustélidé frise.

— Il y a quand même un truc bizarre, fait-il, énigmatique. Suivez-moi.

Nous gagnons la grange à longues enjambées. Dalors pousse la porte et nous désigne des victuailles disposées sur un cageot retourné servant de table basse. Il s'agit d'une platée de viande blanchâtre et figée recouverte de riz, d'un quignon de pain que les mulots ont déjà grignoté et d'une bouteille de vin rouge pleine à ras bord. Emu jusqu'en ses entrailles profondes, Béru se précipite sur l'assiette, chope la fourchette qui est plantée dedans et s'apprête à dévorer le tout.

— Il s'agit d'une pièce à conviction ! s'insurge le gendarme.

— Et alors ? proteste l'Ignoble, on bouffe bien les pièces montées.

Le regard fustigeant que je lui balancetique le dissuade, il repose l'assiette en rigolant.

— Z'aviez pas compris qu' j' blaguais ? N'anmoinsse, un kil de pinard, qu'y soye vide ou plein, ça reste une pièce à conviction valab', non ?

Il attrape la boutanche et se téléphone le litron sans même reprendre sa respiration. Pour signifier la vidange du kilbus, il émet un rot qui a dû être capté par les sismographes jusqu'au Japon.

— J'aurais p't-être dusse vous demander si vous aviassiez soif ? s'excuse-t-il.

Puis il enchaîne aussitôt :

— Selon tout' la vraisemblance de ma certitude, c'est Juliette qu'a z'apporté cette bouffe à un zigoto qu'elle planquait dans c'te grange pour une raison qui est encore inconnue d' mon insu.

— Logique ! acquiesce Omer Dalors. Cela prouve que la malheureuse enfant connaissait son meurtrier.

— Possible, admets-je. A moins que l'assassin et le destinataire de ce repas aient été deux personnes différentes !

* * *

Anatole Blondeau est assis dans l'étable sur un tabouret à un seul pied. Il trait une robuste vache blanche et noire dotée de pis qui n'entreraient pas dans le soutien-gorge de Berthe Bérurier. Le lait gicle en produisant un son métallique contre la paroi du seau.

Je m'approche du paysan et m'accroupis à sa hauteur. C'est à peine s'il remarque ma présence.

— Monsieur Blondeau, murmuré-je, je suis le commissaire San-Antonio.

— Enchanté, répond-il, sans interrompre sa traite.

— Je compatis à votre douleur et je vous donne ma parole que j'arrêterai l'assassin de votre fille.

Le type daigne enfin m'accorder un regard.

— Ça me fera une belle jambe ! soupire-t-il.

Qu'objecter à pareille réplique ? Aucune parole ne peut apaiser le désespoir de cet homme. Je me contente de lui presser l'épaule d'une poigne ferme.

— Acceptez-vous de répondre à quelques questions ?

— Si vous me laissez traire mes bêtes. Je suis déjà en retard.

— Je vous en prie… faites.

Je déniche un second tabouret unijambiste et viens me poser près de lui. Pas facile de tenir sur ses sièges de péquenot. Je m'accroche in extremis aux oreilles d'un veau qui me gratifie d'un coup de langue râpeuse. On m'a déjà roulé des pelles plus bandantes.

Malgré son chagrin, Anatole ne peut réprimer un sourire.

— On voit que vous venez de la ville…

Je rigole de bonne grâce et me réinstalle sur mon tabouret.

— Il est vrai que je prends plutôt les dépositions derrière un bureau qu'au cul des vaches !

La glace est rompue entre nous et je peux y aller de mon interrogatoire.

— Dans la soirée d'hier, votre fille s'est comportée comme d'habitude ? attaqué-je.

— Oui et non, fait le gus, n'ayant pas oublié qu'il était de même souche que son troupeau, normand.

— C'est quoi, le non ?

— Elle avait l'air pressée qu'on alle se coucher, Martha et moi.

— Comme si elle avait un rendez-vous ?

— Pas vraiment. Elle sortait quand elle voulait. Elle avait pas à nous demander notre autorisation.

— Alors comme si elle voulait rejoindre quelqu'un… sans vous le dire.

— P' t' êt' ben !

La queue de la vache joue au balancier entre nos deux visages, me fouettant le tarbouif à chaque passage. Je me recule un peu.

— Et dans la journée, rien de spécial ?

— Je dirais… oui et non.

— Et c'est quoi, le oui ?

Anatole Blondeau change de pis.

— Une voiture blanche qu'est restée garée longtemps au coin de la départementale. Je la voyais depuis mon champ. Je l'ai remarquée, c'était la même que celle à mon frère.

Le pouls s'accélère d'un cran sous mes boutons de manchette.

— Une Clio ?

— Ça même !

— Comment s'appelle votre frère ?

— Ben… Blondeau, c'te blague.

— Je parle de son prénom.

— Aimé. Nos parents nous ont tous donné un prénom commençant par un A…

— Il a un fils un peu simplet qui s'appelle Martial, m'exclamé-je, et il travaille comme contremaître à la ferme du Pinson-Tournan ?

— Vous le connaissez ?

Je me dresse d'un bond. Le siège qui tenait debout par mon poids bascule sur le seau et le renverse. Le bon lait percheron se répand dans la rigole et se mêle au purin.

— Je suis navré ! m'excusé-je.

— Vous tracassez pas, m'sieur le commissaire. Y a des choses pires que ça dans la vie. Le principal, c'est pas que je vende mon lait, mais que mes bestioles ne me fassent pas une mammite.

— Voyons, monsieur Blondeau, ne savez-vous pas que les deux premières victimes vivaient dans la ferme régie par votre frère ?

— Mélanie et Suzie, je sais.

— Et vous n'en avez pas parlé aux flics ?

— Personne m'a rien demandé.

— La mort de Juliette n'est pas une coïncidence, élevé-je le thon (ce qui n'est pas aisé dans le Perche). L'assassin savait le lien qui vous unissait à Aimé. Il connaissait forcément votre fille.

— Ah bon ?

La question subséquente fleurit mes lèvres.

— Juliette a-t-elle participé à la rave-party organisée par Mélanie Godemiche ?

— Bien sûr. C'étaient des copines de toujours…

— Et Nicolas ? Juliette le fréquentait ?

— Je crois même qu'ils fricotaient ensemble. Lui, c'est vraiment un bon p'tit gars !

J'évite de lui dire que le bon p'tit gars a probablement éventré sa gamine.

* * *

Lorsqu'il ressort de la cambuse des Blondeau, Béru a l'œil concupiscent.

— Alors ? le questionné-je avec ce sens de la concision qui aurait pu faire de moi un excellent rabbin.

— M'âme Martha est une femme brisée dans la chair de ses os ! se lamente le Gravos, la voix plus gluante qu'une truite fraîchement pêchée.

— Je me doutais bien qu'elle n'allait pas te raconter la dernière blague d'Olive et Marius, fais-je, agacé.

— Tu sais qu' si elle s'fringuait pas chez Rustica, elle s'rait plutôt dans mon genre ?

— Parle-moi de l'enquête, Goret !

A.-B.B. tire une saucisse séchée de sa fouille et la ratiboise en trois coups de mandibules.

— C'est formidable c'qu'y sont capab' de faire de leurs quat' mains, ces paysans. Y tuent leurs cochons, y fument leurs jambons et y fabriquent même leurs sauciflards. En ville, on a perdu l' sens des véritables valeurs vraies !

— Tu as appris quelque chose d'intéressant, oui ou non ? m'emporté-je.

— L'odeur de son fion ! poursuit l'Horrible. T'imagines qu'après z'un drame de cet accablure, Mme Blondeau est actuellement sous sédatif. L'heure étant venue d' son suppositoire, j'y ai admonesté moi-même son médicament, gentelman comme tu m' connais. Ça m'a permille d'apprécier la senteur de sa babasse, toute en délicatesse : un soupçon de marée, une once de sueur, un rien d' violette à la rose, pour finir sur une note légère d'ail et fines herbes. Même chez Guerlain ou Chanel y z'ont pas su trouver des harmonies qui t'interpellent les hormones tant si mieux.

— C'est ton rapport que je veux ! hurlé-je.

— Fâche-toi pas, San-A. Si je dix-graisse, c'est pour ton bien.

Et d'un coup, Béru m'envoie le paquet. Hier matin, tandis que son mari s'activait dans les champs, un inspecteur est venu trouver Martha. Il lui a sorti une carte de lieutenant de police et prétendu mener une enquête de routine. Il voulait savoir si une jeune fille vivait sous ce toit. La paysanne a répondu que oui, mais que sa fille travaillait à mi-temps comme femme de chambre à l'hôtel du village et qu'elle était présentement absente (joli tour de force). Le flic est aussitôt reparti sur sa mobylette.

— Une mobylette ? m'étonné-je.

— Un matuche seul et sur un vélomoteur, c'est pas banal, reconnais, Grand.

— Elle t'a décrit ce policier ?

— Voui ! Très jeune, beau gosse, bien baraqué, brun aux yeux bleus, blouson de cuir, baskets à la mode… Brèfle. J'y ai montré une photo qui quitte jamais la poche arrière de mon futal.

— Photo en sépia ? trouvé-je la force de plaisanter.

— Regarde ! C'était l' jour d' la communion de mon fils Apollon-Jules.

L'Hénaurme me plante le cliché sous le blair (Tony pour les intimes) et souligne d'un ongle fortement endeuillé un personnage de la photo.

— Martha l'a formellement reconnu.

C'est Antoine que Béru me désigne.

Chapitre vice(Référence à la partie de cul qui va s'ensuivre)

L'hôtel Moncorgé de Saint-Jean-Nivers est tenu par un vieil alcoolique repenti qui attendait l'arrivée de Béru pour replonger.

Vu de loin Gabin Desbois a l'air d'un haltérophile médaillé aux jeux Olympiques de 1928. En gros plan, sa tronche est celle d'un bouledogue castré. Lorsque nous investissons le coin bistrot de son auberge, il est accoudé à son zinc, dans la posture d'un penseur de Rodin hésitant entre un guignolet-kirsch et un picon-grenadine.

— C'est complet ! nous jette-t-il, avec l'amabilité de l'hippopotame qu'un taxidermiste essaie d'empailler à vif.

— Pas pour nous ! gronde Grasdube en lui agitant sa brème de matuche sous la hure.

— Je vais te dire un truc, mon p'tit gars, articule le mastroquet, quand y a plus de couverts pour personne, y en a encore moins pour les lardus !

Je m'enrogne d'un coup et darde mon œil le plus noir sur le zigue.

— On est pas venus pour bouffer, Gros-sac, mais pour que tu te mettes à table !

Vaincu par mon aplomb, le père Desbois exécute un impeccable demi-tour arrière et se fend d'un sourire qui le fait ressembler à un bandonéon usagé.

— Fallait le dire. Qu'est-ce que je vous offre ?

— Des renseignements ! répliqué-je.

— Exact ! renchérit Béru. Moi, j'prendrais bien n'en plus un double-triple pastaga, et très peu d'eau pour pas lʼnoyer.

Avec des gestes de salamandre, Gabin Desbois s'exécute.

— Faut pas m'en vouloir, s'excuse-t-il, on est débordés, ce soir. Le fils du maire qui épouse Miss Alençon.

Il abreuve le Mastard et se retourne vers moi.

— Je vous écoute.

— Juliette Blondeau était votre employée ?

— Une fille formidable.

— Mais morte ! précisé-je.

Le type se renfrogne et sa bouille prend aussitôt l'aspect d'une photo aérienne du Massif Central.

— J'ai pigé. Vous me soupçonnez, à cause de cette vieille histoire ?

Une question me brûle les lèvres : quelle vieille histoire ? Mais comme je suis un poulaga d'exception, j'embraye aussitôt dans sa confession.

— Difficile de faire autrement ! dis-je. Le passé remonte toujours à la surface.

Le patron me désigne les boutanches alignées derrière lui sur des étagères d'acajou.

— Vous avez soif ?

Je montre une cannette d'Orangina rouillée.

— Vous n'auriez pas la même, un peu fraîche ?

Le gars plonge dans son frigo et s'empresse de me servir, Béru en profite pour brandir son glass.

— Tu m'remets la même chose. Et toi, qu'est-ce tu bois ? C'est ma tournée.

— Il y a vingt ans que j'ai arrêté de picoler, fait-il lugubrement, en rechargeant le verre de Béru.

— Depuis… l'affaire, hasardé-je.

La gueule plissée du bistroquet pend comme un suaire. Des larmes plus épaisses que de la vaseline sillonnent ses joues.

— Elle a dit que je l'avais violée !

— Qui ?

— Ma nièce ! Pourtant, à l'époque, je bandais déjà plus, confesse le type. Je lui ai p't'être glissé un doigt, c'est possible, mais je m'en souviens pas, j'étais trop bourré.

Emu, le Gravos vient à son secours.

— Un doigt, c'est pas du viol ! Et pis d'habitude ça fait plaisir à une jeune fille. Tiens ! Bois une gorgée pour te r'monter l'moral !

Gabin chope le verre de Béru et le liquide cul sec.

Puis il se tourne vers moi.

— Si vous m'arrêtez, l'dites pas à ma femme, ça va l'agacer !

Un quart d'heure plus tard, le patron de l'hôtel Moncorgé est allongé ivre mort derrière son rade. Il a eu le temps de nous bonnir, primo que Juliette Blondeau avait une amie dans le personnel de l'hôtel, Lydia, une grande rousse à queue-de-cheval, présentement affectée au service de la noce dont les flonflons s'élèvent jusqu'à nous.

Secondo qu'un jeune flic en mobylette est venu le questionner au sujet de la victime quelques heures avant le meurtre et que ce flic se trouve toujours dans les parages, puisque son vélomoteur est encore là.

A quel endroit ?

Au fond de l'impasse où l'on gare les poubelles.

* * *

La nuit glaciale est tombée sans se fracturer le fémur. Connaissant le zèbre que je traque, j'ai pris des précautions de Sioux. J'ai feint de quitter la bourgade, j'ai planqué ma bagnole dans la cour d'une usine et suis revenu en catimini devant l'hôtel Moncorgé.

Comme la statue d'Eugène Sue, la mobylette est toujours à la même place.

Je m'installe dans une cabane de chantier située juste en face de l'impasse et m'entortille dans une couverture récupérée à l'intérieur de mon coffiot. S'agit d'ouvrir l'œil, et le bon, disaient les braves Dupont et Dupond.

* * *

Lydia avait posé ses chaussures tant ses pieds la faisaient souffrir. Elle gravit les dernières marches et s'engagea dans le couloir, lestée de son plateau sur lequel trônait une bouteille de champagne immergée dans un seau à glace.

Parvenue devant la chambre nuptiale, elle leva un genou pour assurer l'équilibre de l'édifice et libérer une de ses mains pour frapper. Ce fut la jeune mariée, en porte-jarretelles blanc et culotte de dentelle, qui vint lui ouvrir, son futur étant en train de se fourbir le zigodard dans la salle de bains.

— Offert par la maison ! fit Lydia en déposant le plateau dans l'entrée.

Tandis qu'elle refermait la porte, la serveuse sursauta en voyant une tonne de viande cramoisie lui fondre dessus.

— Aye pas peur, ma poulette ! lança Béru. Faut qu'on cause, tous les deux.

— J'ai encore du boulot ! protesta Lydia. Les mariés sont dans leur chambre, mais la noce n'est pas finie.

En effet, la danse des canards sévissait au rez-de-chaussée.

— Juste une p'tite interviouve, Milady, insista le Mastard. J'sus d'la police.

Instinctivement, la môme se rétracta comme une huître qu'on titille avec un filet de citron.

— C'est à propos de Juliette ? demanda la fille, méfiante.

— Tu croives p'têt' qu'j'vais te demander ton pronosticre pour la troisième à Enghien ?

— Qu'est-ce que vous voulez savoir ? dit la gamine, inquiète.

— Tout. La fille Blondeau, c'était ta potesse, non ?

— Oui, et alors ?

— Alors, t'as sûrement une idée de qui t'est-ce qui l'a zigouillée ?

Lydia jeta un œil dans la cage d'escalier d'où montaient des braillements avinés.

— On m'attend, en bas. Si le patron…

— T'occupe pas de ton singe, y t'fera aucune r'montrance, ce soir, j'te promets !

— La servante hésita un instant avant de se lancer.

— Hier au soir, chuchota-t-elle, Juliette m'a appelée de chez ses parents pour me demander de la remplacer aujourd'hui.

— Pour quel leitmotiv ?

— Elle devait planquer un copain qui avait des ennuis avec la police.

— Elle t'a donné le blaze de ce pote ? poursuivit Béru, flairant le scoop.

— Non. Elle causait à demi-mot. Mais j'ai compris qu'il s'agissait de Nicolas.

— Godemiche ?

— Je ne vois pas qui d'autre.

— Parfait ! se réjouit le Gravos. Demain matin, tu répéteras tout ça au juge d'introduction, d'accord ?

— D'accord ! admit Lydia. Mais maintenant, il faut que j'y aille.

La main caleuse d'Alexandre-Benoît flatta sans vergogne les miches de la serveuse.

— Tu sais qu'j'raffole des rouquines ? dit-il, la bave aux commissures.

— Moi aussi ! répliqua la fille. Mais j'aime encore mieux les brunes.

Elle dévala l'escalier, laissant un Béru médusé. Il s'apprêtait à évacuer sa graisse de l'étage quand un grincement de sommier malmené attira son attention. L'Enflure plaqua son oreille contre la porte des jeunes mariés pour profiter au mieux de la saynète qui investissait ses trompes d'Eustache.

— Tiens, tiens, tiens ! grognait le fils du maire.

— Vas-y, vas-y, vas-y ! gémissait Miss Alençon.

— Ho ! Je sens que ça vient…

— Attends, attends, j'y suis pas…

— Trop tard ! Je jouiiiiiis…

S'ensuivit un beuglement de mec en vidange, prolongé d'un long soupir.

— Désolé ! s'excusa le marié après un silence.

— C'est pas grave, répondit la femme, d'un ton qui démentait ses propos. On recommencera demain…

Les yeux hors de la tête, le cou congestionné, le Mastard tenta d'ouvrir la porte de la piaule matrimoniale. Celle-ci étant bouclée à double tour, il se mit à tambouriner contre l'huis.

— Qu'est-ce que c'est ? fit l'organe dépité du futur cocu.

— Groom service ! répondit Béru.

Quelques instants plus tard, le marié déponnait, une serviette de bains autour de la taille. Le Gros pénétra d'autorité dans la chambre. La fille était allongée sur le lit, nue et jambes largement écartées. Elle n'eut aucun geste de pudeur tant sa surprise était vive.

Béru referma la porte et s'approcha du lit à pas lents.

— Mes pauvres enfants, déclara-t-il d'une voix apaisante. Vous z'avez pas honte de gâcher une aussi belle nuit dʼnoces ?

— Mais, mais… bêle le garçon.

— Non, franchement, tu vas renoncer pa'c' qu't'as envoyé la semoule trop vite ? Si Vatel avait eu un peu de patience, la marée s'rait arrivée et y s'rait pas fait Charlie-Hebdo avec son épée. Même qu'à l'heure où j'vous cause, y s'rait p'têt' encore vivant !

L'Immonde s'assoit sur le bord du lit et caresse du pouce un nichon de la mariée. L'époux, abasourdi, le regarde faire sans protester. Béru se veut rassurant.

— Ç'arrive à tout le monde d'cracher la purée avant l'heure. c'est z'humain. Tiens, j'me souviens, quand j'étais jeunâbre, chez la mère Camille qui tenait boxon près d'la sous-préfecture. Ces dames m'avaient bricolé la bitoune toute la soirée et le cidre aidant, j'ai largué l'potage dès les premiers prémices avec la nouvelle pensionnaire. Solange, qué s'appelait. Elle avait quinze ans d'plus que moi, mais ça a dû s'aggraver, depuis.

Il reprend son souffle et laisse glisser sa pogne sur le ventre de la mariée.

— Ç'a z'été l'humiliation d'ma vie. Le lendemain soir, j'y suive retourné because quand j'paume un Paris-Match, j'éguesige qu'on m'accordasse la r'vanche. J'y ai tant fait fumer la turbine qu'à la fin y a phallus qu'on utilise l'extincteur de service.

Les phalanges béruréennes s'égaillent dans la toison de Miss Alençon dont les yeux mi-clos proclament l'allégeance.

— Elle a tellement panardé, la Solange, continue Sa Majesté, qu'elle m'rappelle encore de temps z'à autre pour un p'tit estra. Et pourtant, c'te gonzesse, elle a passé l'hors d'âge. Si un jour elle veut revoir des requins, faudra qu'elle allâsse sur la grande Barrière de corail, en Australopithèque !

Le cornutto commence à la trouver saumâtre et tente d'enrayer les manœuvres du Mastard.

— Monsieur, rouscaille le gars, j'ai l'impression que vous êtes en train de masturber ma femme.

— Râle pas, Dugland ! gronde l'Enflure. J'te donne un cours de maintien textuel ! Estime-toi z'heureux si j't'envoye pas la facture. Si tu voudrerais profiter de la leçon, r'garde bien…

Bérurier glisse son groin entre les cuisses de la jeune épousée et lui prodigue de virulents coups de langue dans la toison.

— Madame néglige son Gillette ! gargouille l'Affreux. Les poils, j'sus pas contre, mais faut quand même pas qu'y contrecarrent la broute. M'enfin… Z'observe comme j'y fais la raie au milieu. L'principal, c'est d'écarter les poils feux follets pour bien dégager l'berlingot.

A.-B.B. crache en l'air à plusieurs reprises.

— Je vois qu't'as arrosé d'abondance ! Mais suffit pas d'être copieux, mec, faut être endurant… Première leçon : en cas d'éjectation précorse, tu t'rabats sur la menteuse. La langue, c'est l'avenir de l'homme ! Attention, ne l'utilise qu'à bon essuyant ! Toute mon enfance, j'm'ai entraîné à lécher des timbres. Seul'ment voilà qui y sont tous pré-enculés, au jour d'aujourd'hui. Je r'grette car en Angleterrie, j'avais du bonheur à humecter l'cul d'la reine avant d'poster une bafouille.

Sous la broutaison de l'Ineffable, la fille hurle de jouissance et frétille sur le lit comme une anguille prise dans une nasse. Satisfait, Béru dégrafe son pantalon et exhibe sa monumentale trompe. Le jeune marié s'étouffe à la vue d'un tel engin.

— Vous n'allez tout de même pas ?…

Le Gravos fait sauter le cobra dans sa main avec le geste d'un boucher appréciant le poids d'un rôti de bœuf.

— Pas de panique, p'tit gars, j'vais pas la baiser, ta p'tite femme. C't'un privilège qui t'revient de droit.

D'un geste ferme, il oblige la môme à se mettre à plat ventre. Il crache dans ses doigts, se lubrifie l'ogive et désigne les fesses de la mariée.

— Tu vois c'p'tit trou ? On jurerait qu'y peut juste en sortir des crottes de bique. Eh ben, tu vas voir…

Le Monstre applique inexorablement son ventre sur les meules de la môme. Le mari beugle.

— Arrêtez ! Elle ne supporte même pas un thermomètre.

— Pa'ce que c'est froid ! répond Béru.

— Je vous interdis… hurle le fils du maire.

— De quoi je me mêle ? rétorque Miss Alençon.

Béru pousse son avantage en même temps que son membre. La fille lâche un cri de délicieuse détresse.

— Voilà ! soupire Alexandre, le plus gros est fait. Quand la locomotive est entrée dans le tunnel, c'est bien rare que les wagons suivent pas !

Epinglée, comme un papillon, la mariée se tortille en griffant et mordant les draps.

Son époux tapote l'épaule de Béru.

— Vous ne pouvez pas jouir dedans ? questionne-t-il.

— Pourquoi j'me gênerais ? bougonne Sa Majesté.

— Et le Sida ?

— T'as raison, on n'est jamais trop prudent !

Le Gros décule d'un coup et largue sa semence en pleine poire du jeune marié. Puis il s'essuie le mandrin avec les rideaux avant de se retirer sur la pointe des pieds.

— Demain, p'tit gars, j'veux qu'tu récite[31] ! exige-t-il d'un air docte.

* * *

Un à un ou par petits groupes, je les ai vus sortir de l'hôtel Moncorgé, les noceurs. Certains titubant, d'autres chahutant, mais tous bramant la liesse obligatoire. La vapeur de leur respiration dans l'air givré les enveloppait d'un brouillard irréel. Quelques-uns ont gerbé alentour. Une fille en mousseline rose est même venue pisser contre le baraquement. L'urine s'échappait de son gros cul en sifflant et giclant sur ses talons aiguilles.

Le beffroi de ma Cartier[32] annonce quatre plombes du mat' et les derniers fêtards se sont évacués après un charivari sous la fenêtre des époux qui s'est achevé par un pot de chambre vidé sur leurs tronches.

Les dernières lumières de l'auberge s'éteignent. Les rayons d'une lune proche de sa plénitude confère à la bâtisse des allures magrittiennes.

Je commence à me dire que je me suis gelé les noix pour rien, lorsque Lydia, la serveuse décrite par le patron, quitte l'établissement. Au lieu de s'engager sur la rue principale, elle rebrousse chemin dans l'impasse et se dirige droit vers le vélomoteur. Elle grimpe dessus, le met en route.

Pour être honnête avec toi, je suis plutôt déconcerté. Cette mobylette, j'espérais qu'un homme viendrait la récupérer et tu sais qui ? Antoine. Maintenant je me demande si le vieux Gabin, intoxiqué par sa sobriété, n'a pas confondu la bécane d'Antoine avec celle de Lydia. Dans le doute, certains s'abstiennent. Pas moi. Je bondis hors de la cabane et cours à la rencontre de la cyclomoteuse.

Croyant à une agression, la rouquine tente de s'enfuir. Je me place sur sa trajectoire pour lui barrer le chemin.

— Police ! Arrêtez-vous !

Paniquée, la fille accélère et me fonce dessus. J'esquive la charge au dernier moment, efface mon corps pour éviter l'engin et jette mes bras en avant pour cueillir la piloteuse.

Nous roulons ensemble à terre, tandis que le vélomoteur va s'écraser contre la cabane de chantier.

— Pas de bobo ? demandé-je à Lydia.

— Vous êtes complètement barge ! gronde-t-elle, en se débattant.

— Tu vas te calmer, ma douce, sinon je t'aligne la baffe du siècle !

Je l'aide à se relever, à se défroisser, à se dépoussiérer. La môme tremble d'une peur rétrospective.

— J'ai cru que c'était lui… fait-elle, agitée de frissons.

— Lui qui ?

— Celui qui a tué Juliette.

— Nicolas Godemiche, n'est-ce pas ?

Lydia se contente d'un hochement de tête.

— C'est loin, chez toi ? questionné-je.

— Un kilomètre.

Je désigne la mobylette complètement ratatinée.

— Un kilomètre à pied, ça use, mais ça réchauffe.

* * *

Antoine n'est vraiment ni manchot ni cul-de-jatte. La cabriole qu'il effectue à mon intrusion dans la piaule de Lydia devrait être homologuée comme record olympique. Il jaillit hors du lit, exécute un saut périlleux et se retrouve face à moi en position de karatéka.

— Tu ne vas tout de même pas cogner ton père ? murmuré-je dans la pénombre.

La rouquine donne la lumière.

— Papa ! s'exclame Antoine.

— En personne. Le moment des explications est venu.

Je me tourne vers la fille interloquée devant cette touchante scène de famille.

— Si tu pouvais nous préparer un peu de café, ce serait sympa.

Lydia s'évacue vers la cuisine dont je claque ostensiblement la porte.

— Alors, fils ?

Mon môme semble désemparé. Je l'attrape par le cou et le serre contre moi.

— Ce n'est pas le flic que tu as devant toi, mais ton père.

— Est-ce que j'y gagne au change ? dit-il avec un large sourire.

— Si tu me racontais ton odyssée ?

— Tu en es resté où ?

— Lorsque tu fais mine de prendre le train à Chartres. Tu te payes des rollers et tu reviens en Beauce. Pourquoi ?

Antoine est péremptoire.

— J'ai toujours suspecté Nicolas d'avoir tué sa cousine. Je voulais le faire parler. Par la radio de mon walkman, j'ai appris qu'il avait tiré sur Roykeau et s'était enfui.

Je le coupe net.

— En plus des rollers, tu n'aurais pas fait aussi l'emplette d'un sac à dos et de quelques haches ?

— Non, pourquoi ? répond-il, intrigué.

— Pour rien. Continue.

— Je me suis planqué dans un logement désaffecté du Château de la Vieille-Nave. Je pensais que Nicolas finirait par revenir au bercail. Le lendemain, j'ai bourlingué dans le secteur sans rien découvrir. Vers 20 heures, j'ai failli me faire repérer par le père Godemiche qui rentrait chez lui. Alors j'ai regagné ma cachette. Je me suis réveillé en sursaut dans la nuit et j'ai constaté que le 4 × 4 était stationné dans la cour. Je suis allé rôder autour, mais quelqu'un m'a aperçu et s'est lancé à mes trousses.

— Le quelqu'un, c'était moi.

— Non ?

— Tu as constaté que les clés étaient au tableau de bord et tu as pris la fuite. Dans la panique, tu as perdu l'un de tes patins à roulettes.

— Si j'avais su…

— Tu aurais fait pareil, dans ta logique de franc-tireur.

Antoine se fend d'un rictus embarrassé.

— C'est possible.

— Ensuite, enchaîné-je, sachant que le véhicule était recherché, tu n'as pas osé circuler longtemps avec. Tu as roulé jusqu'à Saint-Quentin-en-Yvelines et stationné le 4 × 4 en évidence dans un parking jouxtant le R.E.R. en te disant que les poulagas concluraient que tu avais regagné la capitale. En fait, tu as piqué une mobylette.

— Je l'ai achetée, rectifie Toinet, à un jeune beur sympa…

— … qui venait tout juste de la chourer ?

— Ah, ça ! Je te garantis pas qu'elle était de première main.

Lydia rapplique avec une cafetière fumante. Je lui fais signe de retourner à la cuisine, car on en vient aux explications les plus chaudes. Je pose à mon fils la question sans détours.

— Comment es-tu arrivé à Saint-Jean-Nivers avant même le crime ?

Antoine attrape son blouson posé sur le dossier d'une chaise et le fouille. Il en sort une carte routière d'état-major qu'il déplie devant moi.

— Avant d'abandonner le 4 × 4, je l'ai inspecté de fond en comble.

— Ce que j'ai omis de faire, admets-je, un rien dépité.

— Et j'ai trouvé cette carte dans la boîte à gants, poursuit Toinet.

Il me désigne dessus une ferme isolée, située à l'écart de la bourgade de Saint-Jean-Nivers. Elle a été entourée d'un rond de feutre rouge.

— Et ça t'a suffi pour te lancer sur cette piste ?

Antoine développe un nouveau pli de la carte et me montre deux autres cercles rouges.

— C'est ça, qui m'a motivé !

Les traits de feutre entourent la ferme du Pinson-Tournan, ainsi que le bois Gratte-merde, qui s'appelle officiellement « Le Grand Bosquet » sur la carte.

Le regard admiratif que je lance à mon rejeton le console de toutes les engueulades (méritées) que j'ai pu lui prodiguer.

— Tu es donc venu questionner Martha Blondeau. Elle t'a branché sur l'hôtel Moncorgé où sa fille travaillait et tu as fait la connaissance de Lydia. C'est grâce à ton charme qu'elle a accepté de t'héberger ?

Toinet rigole.

— Aucune chance. Elle est tellement gouine qu'elle broute son paillasson tous les matins ! Non. Elle m'a fait confiance. Elle avait des soupçons sur Nicolas et quand je lui ai raconté que j'avais assisté au meurtre de sa copine…

Je manque de m'étouffer.

— Tu as assisté au meurtre de Juliette ?

— Oui. Enfin… presque.

— Ça veut dire quoi, presque ?

— Lydia m'ayant appris que sa copine hébergeait Nicolas, je suis retourné chez les Blondeau, en loucedé, à la nuit tombée. J'ai vu Juliette porter un plateau de bouffe dans la grange. Je me suis approché à pas de loup, c'est alors que j'ai morflé un coup de bambou à la base du cou.

Il écarte sa chemise pour me montrer la vilaine tuméfaction de sa nuque.

— J'ai dû rester un long moment dans le coltard, continue-t-il. Quand je suis revenu à moi, la lune s'était abaissée vers l'horizon. J'ai été dans la grange et découvert la nourriture intacte. Je me suis mis à fureter dans les parages…

— Et tu as trouvé le corps de Juliette ?

Mon fils enfouit ses mains dans son visage.

— Un cauchemar ! Quel jury pourrait m'acquitter ? Pour deux des meurtres, j'étais sur place et pour le troisième, je n'ai pas d'alibi !

— Tu es revenu demander asile à Lydia ?

— Je lui ai tout raconté. Elle m'a cru. C'est une fille bien.

— C'est une fille bien qu'on va mettre au frais durant quelques heures ! décidé-je.

— Pourquoi ?

— Pour avoir les coudées franches. On va le coincer, ce salopard, je te jure qu'on va le coincer !

— Tu as un plan, papa ?

Si tu le voyais, le lieutenant Antoine, il est redevenu petit garçon. Son sort est entre mes pattes et il l'accepte. Un jour, sans doute, prendra-t-il ma succession. Mais pour l'heure, c'est moi le patron.

— Oui, fils, j'ai un plan. Tu en fais partie, Béru aussi. Je vais avoir également besoin de la collaboration d'Anatole Blondeau et de Larronde.

— Larronde, le journaliste ? tique Antoine. Qu'est-ce que tu attends de lui ?

— Qu'il raconte des conneries, comme d'habitude.


  1. Tu le sais déjà, si tu te souviens du début de ce livre somptueux.

  2. Du verbe efféminer, contraire d'émasculer.

  3. Pas de panique pour cette absence de « s ». Correcteur : Béru refuse de décorer la deuxième personne du singulier de cette singulière marque de pluriel !

  4. Micheline et Jo, on se voit peu mais on s'aime.