172587.fb2 Des drag?es sans bapt?me - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 6

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CHAPITRE VIJE FAIS CONNAISSANCE AVEC MONTESQUIEU !

Ma petite artiste est allongée sur le parquet et elle ruisselle de sang. La porte est toute perforée comme la poêle d’un marchand de marrons.

Je l’ouvre et je me rue dans l’escalier ; mais je n’ai pas dévalé la moitié d’un étage que j’entends en bas, dans la rue, le démarrage en trombe d’une bagnole. Inutile de cavaler comme un perdu, le zig qui vient de cracher sa bonne marchandise a trop d’avance.

Je remonte les quelques marches et je m’agenouille devant Claude. Elle a pris une bonne demi-douzaine de dragées. Il y en a une dans son épaule droite, trois dans sa poitrine, deux dans son bras gauche… Elle n’est pas morte et n’a même pas perdu connaissance. Ses yeux sont emplis de larmes.

— Ma petite Claude, je murmure, le salaud ! Je l’aurai, je vous jure…

Je vois, par la porte ouverte, les visages prudents des voisins embusqués dans la montée d’escalier.

— Appelez une ambulance, vite ! je leur crie.

Je sais que je ne puis rien faire d’autre pour la petite ; il faut un toubib, pour la réparer — si elle est réparable — et un fameux, aux poches gonflées de diplômes…

— San-Antonio, bégaie-t-elle.

Elle voudrait me parler, et moi, je donnerais mon costume des dimanches pour l’écouter, mais je sais que le moindre effort peut lui être fatal…

— Taisez-vous, mon petit canard, on parlera plus tard…

L’ambulance s’amène. On y charge la gosse entre une double haie de badauds en pyjama. Comme les flics du commissariat voisin se pointent, je leur montre mes papiers et leur fais un bref résumé du drame.

— Si vous avez du nouveau, téléphonez-moi à Paris.

Je grimpe dans ma bagnole et je mets plein gaz en direction de Pantruche.

Je finis la nuit dans un petit hôtel, près de la Grande Maison. Je me lève de bonne heure et prends une douche glacée. Ensuite, je demande l’hôpital de Versailles pour prendre des nouvelles de Claude.

Un interne me dit qu’elle a été opérée d’urgence cette nuit, que son état est très grave et qu’on ne peut se prononcer encore…

Cette nouvelle équivoque me contriste, mais je me dis qu’après tout, tant qu’il y a de la vie, y a de l’espoir. Claude est jeune et robuste, du moment qu’elle n’a pas mordu la poussière tout de suite, c’est qu’elle s’en tirera.

Je me fringue et je vais manger un morceau dans une brasserie. Un petit coup de calva et je peux vous présenter un homme d’attaque.

J’achète les journaux, histoire de voir à quelle heure les quatre grands doivent se réunir. C’est prévu pour tantôt, sur le coup de quatre heures…

Que pourrais-je bien faire en attendant ? Je décide de laisser choir le bureau du chef. Je ne suis pas d’humeur à lui bonnir des romances en le regardant tirer sur ses manchettes immaculées… Non, je vais aller au Louvre. Une idée, comme ça… J’ai envie de faire la connaissance de Montesquieu, c’est mon droit, non ?

Je crois bien que je n’ai pas remis les pieds dans ce prestigieux musée depuis ma période d’étudiant. Je demande le rayon des statues et un gardien galonné me l’indique : c’est au sous-sol. Me voilà, musardant entre les Diane, les Vénus, les héros, les chérubins, les guerriers antiques, les barbouzards de toutes sortes.

J’arrive au rayon des bustes et il ne me faut pas longtemps pour repérer celui de Montesquieu. Une fois devant lui, je me sens vaguement crétin. Qu’est-ce que j’espérais, en lui rendant cette visite ? Qu’il me raconterait des histoires marseillaises ?

Je lui tapote la joue.

— T’es rien pâlichon, je lui dis. Et froid comme un nez de chien avec ça !

Un type s’arrête pour me regarder faire.

C’est un grand zig qui louche comme une belette. Il me regarde d’un air stupéfait, puis a un imperceptible haussement d’épaules et s’éloigne.

Evidemment, j’ai tout du type dérangé du citron.

Je regarde encore le père Montesquieu. Je ne suis pas fortiche en sculpture, mais je me rends tout de même bien compte que ceci n’est pas une grande œuvre. C’est pompelard comme tout, bien travaillé, bien léché… Jamais un amateur d’art ne voudrait avoir une copie de ce truc-là chez lui… Ça ne peut intéresser qu’un littérateur, à cause du sujet… Je doute que Wolf ait été pote avec des littérateurs. Lui, c’était plutôt le genre Vel’ d’Hiv’…

Décidément, tout ça est bien mystérieux… D’autant plus mystérieux qu’on n’a pas hésité à lâcher une rafale de mitraillette dans la porte de la petite Claude pour lui fermer le bec… Et pourquoi lui a-t-on fait cette sale blague ? Tout bonnement parce que j’étais chez elle et que je pouvais apprendre qu’elle avait fait la copie de ce vilain buste. En poussant plus loin le jeu des « pourquoi », on arrive vite à se demander pourquoi il était dangereux pour quelqu’un que je sois au courant de ce travail. Et, si je lâche le jeu des « pourquoi » pour celui des « comment », je me demande immédiatement : « Comment l’assassin savait que j’étais chez la môme Rynx ? Etait-ce parce qu’on la surveillait, elle, ou bien, au contraire, parce qu’on me surveillait, moi ? »

Si la seconde éventualité est la bonne, cela veut dire que, malgré notre mise en scène, Angelino n’a pas été dupe de « l’accident » survenu à Wolf.

Une vraie bouteille à encre, je vous dis !

J’envoie une seconde tape à Montesquieu, plus forte, c’est presque une mornifle.

Si tu pouvais parler, tu en aurais long à me raconter, pas vrai, mon vieux ?

Il commence à me courir, Montesquieu. Je lui fais une affreuse grimace et je me tire…