172761.fb2 Du mouron ? se faire - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 16

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CHAPITRE XVI ????[3]

Cette fois, les gars, y a du mou dans la corde à nœuds. Je cesse de numéroter les éléments de mon histoire. Et quand je dis mon histoire, je pousse un peu loin le sentiment de la propriété, car elle m’appartient fort peu.

Voilà maintenant que Miss Tu-me-veux-tu-m’as, autrement dit Germaine Dubeuck, faisait le ménage de la môme Huguette !

On aura tout vu, comme dit la chanson.

Alors, c’est bien elle qui a ouvert the door at the postman, il y a un instant ? Et peut-être l’a-t-elle fait naturellement ?

Non, pourtant, puisqu’elle a affirmé que sa patronne était dans son bain, alors que personne ne se trouvait dans l’appartement lorsque j’y suis entré.

Je consulte une horloge de ville qui m’annonce dix plombes et des poussières. Le temps passe, mes enfants ! Il galope !

Va falloir que je trace bientôt à mon hôtel, pour refaire mes bagages ; seulement, avant, j’ai un vilain turbin à liquider. Voyez-vous, bande de noix, lorsqu’on arrive au pied du mur, il faut avoir la force de se frapper le burlingue et de faire son mea culpa. Tel que vous me voyez, je go to the police afin de m’allonger. Je vais prendre Robierre entre quat’ zyeux et lui déballer mon panier. Avec ce que je lui apporte, il pourra construire son enquête et s’expédier à bon port ; moi, je n’ai plus le temps matériel d’aboutir. Après tout, je ne vais pas compromettre ma situation pour satisfaire une fantaisie ! Or ce serait une fantaisie coûteuse que de m’obstiner à rester à Liège jusqu’à ce que j’aie trouvé le fin mot de l’énigme.

Un nouveau bahut me coltine donc jusqu’aux locaux de la police liégeoise.

Je me fais indiquer le bureau de mon collègue belge et je le gagne de cette allure noble et lente des martyrs marchant au supplice.

Je frappe. Un gnace me dit d’entrer, ce que je fais sans l’ombre d’une hésitation. La pièce est assez vaste et comporte plusieurs tables noircies chargées de paperasses.

Un seul type est làga, et ça n’est pas l’inspecteur Robierre, mais un petit jeunet à lunettes, dont le visage ressemble à un coupe-papier.

Il tape à la machine avec ses deux index d’un air extrêmement pénétré.

— Inspecteur Robierre ? je questionne.

Le petit jeunet arrête de martyriser la pauvre Underwood.

— Il est au rapport !

Voix sèche, œil hostile du flic. Il débute, le chéri, mais il a déjà tout de la peau de vache. Croyez-moi, si les P-38 des truands belges ne le flinguent pas, il fera son chemin.

Ce sera le champion du passage à tabac, donc il aura une belle carrière devant lui.

— Bon, je murmure. Eh bien, je vais l’attendre…

— Allez l’attendre dans le couloir, grince le coupe-papier-dactylographe.

Ce qui indique combien il est inexpérimenté !

Faut manquer de psychologie de façon incroyable pour me parler comme ça en ce moment. Non, mais des fois, il ne le voit pas, le binoclard, que je suis en renaud ? Et ça ne se lit pas sur ma frime que, moi aussi, j’exerce la noble profession de poulaga ?

J’ai un sourire mauvais.

— Fais pas de zèle, gamin, je ronchonne d’un ton tranchant en tirant une cigarette de ma poche.

Il me regarde, va pour gueuler, mais mes yeux lui conseillent de la boucler et il se tait.

Je m’approche de la croisée devant laquelle il frappe son clavier universel. Tout en tirant des bouffées sur ma roulée, je considère le paysage gris qui s’étale devant moi. Brusquement, et pour la première fois depuis mon arrivée dans cette ville, je réalise que je suis malgré tout à l’étranger. J’ai un coup de nostalgie… Insensiblement, mon imagination remplace la Meuse par la Seine et, à la place des docks, j’érige les tours de Notre-Dame.

C’est bath…

Et les quais avec leur verdure, leurs bouquinistes, leurs amoureux… Les chers vieux quais du vieux Paname… Et ce goût sucré de l’air…

Je soupire et me tourne vers le petit coupe-papier qui s’est mis au turbin. Mes yeux se posent sur ses deux index qui dansent la mort du cygne (de Zoro) sur les touches noires.

Je rêvasse. Et brusquement… oui, brusquement je sursaute.

Un détail sur ce clavier de machine vient de me frapper. Un détail important. Je suis familiarisé avec les machines à écrire. Tous les poulets le sont car, sans savoir taper, tous les poulets pondent leurs rapports de cette façon ; mais je n’avais jamais pris garde au fait que le E accent aigu se trouve sur la même touche que le 2 et le E accent grave sur celle du 7. Pour obtenir les chiffres, il faut actionner la touche des majuscules, mais quelqu’un d’inexpérimenté, quelqu’un de pressé qui voudrait écrire 27 et qui omettrait d’appuyer sur le levier « majuscules » écrirait tout bonnement éè.

Je pêche dans mon larfouillet le message trouvé cette nuit chez Van Boren. Je l’avais oublié, celui-là ! Pas Van Boren, le billet laconique :

Georges, je suis au éè

Il ne s’agit pas le moins du monde d’un code quelconque, mais simplement d’une erreur dactylographique, d’une coquille.

Il faut lire :

Georges, je suis au 27.

Je rigole doucement devant cette trouvaille. Du coup, je reprends espoir. Notre Huguette signalait à son amant qu’elle se rendait au 27. Pour employer un langage aussi sommaire, il fallait que le Georges en question (c’est-à-dire Ribens) connût l’endroit où elle allait. Il savait de quel 27 il s’agissait.

Je jette ma cigarette et je m’assieds derrière une pile de dossiers. Je ne prête plus la moindre attention au petit vachard qui s’est arrêté de cogner sur l’Underwood pour mieux me défrimer. Il faut que je me concentre, que je pousse le raisonnement jusqu’au bout.

Ce 27 s’applique à une adresse, évidemment. S’agissait-il du 27 d’une autre rue que la sienne ? Non. Si, moi, je laissais un mot de ce genre à un familier, j’emploierais effectivement le numéro si l’endroit où je me rends se trouve dans ma rue. Ou bien j’emploierais le nom de la rue, mais sans mentionner le numéro, si ledit numéro se trouve ailleurs que dans ma rue…

Donc, conclusion. C’est au 27, rue de l’Etuve que je dois aller faire un viron.

Je me lève.

— Vous partez ? me demande le jeunâbre.

— Je reviendrai plus tard. Dites à Robierre que le commissaire San-Antonio est passé le voir.

Le gars ouvre si grande la bouche que s’il avait une plaque sensible dans sa culotte, elle serait impressionnée. Pour l’heure, c’est lui qui l’est, impressionné.

— Je… Oh ! je ne…

Sans le regarder, je me dirige vers la lourde.

Je n’ai pas la peine — réduite — de l’ouvrir, car Robierre me la propulse sur les naseaux. Il est frais et sent la violette comme un conscrit de village.

Il brame :

— Commissaire ! Je suis ravi de vous voir… J’ai du nouveau !

Du coup, je rengaine mes idées de fuite.

On se serre énergiquement la louche ainsi qu’il sied.

— Asseyez-vous ! dit Robierre. Vous fumez ?

Je puise dans son étui à cigares. Le cornichon à lunettes se fait minuscule derrière sa machine.

— J’arrive de Bruxelles, lance Robierre. Mon voyage n’a pas été inutile… Il sort d’un carnet une enveloppe de cellophane et de cette enveloppe, il extirpe la minuscule photo que j’avais vue naguère dans le boîtier de montre…

— Je sais ce que représente cette photo, dit-il triomphalement.

— Vraiment ?

— Oui, vraiment ! Et je crois que vous allez avoir une surprise.

Il me tend une forte loupe de bureau.

— Si vous voulez essayer de deviner, me propose-t-il.

Histoire de le faire bisquer en lui bouffant la solution du problème, je m’empare de la loupe et j’examine la photo…

Toujours cette foutue idée de la peau de panthère. Ou bien du bouillon de culture… Ça me rappelle de plus en plus ces jeux des hebdomadaires. On trouve la solution écrite à l’envers en bas de page.

Je m’avoue vaincu.

— Je donne ma langue au chat, Robierre.

Il me regarde en souriant, heureux du petit effet qu’il prépare.

— C’est une photographie de l’Europe, dit-il.