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Après cette mésaventure surprenante qui m'a conduit au monstrueux coït évoqué avant et dont je ne demande pas pardon aux pudiques, aux mal torchés, aux chétifs de l'âme, aux rabougris de toutes sortes que tant j'emmerde éperdument, dénie, conchie, refuse, il m'en suit une sorte de grand épuisement m'obligeant à rentrer chez moi pour m'y reposer. Je prétexte un début de grippe pour m'man alarmée. Elle veut appeler le docteur Purgon, un nouveau toubib frais installé dans les grands immeubles (de haut standinge) qui nous cernent, mais je refuse.

Seulement besoin de me reposer. Avant toute chose, bien me laver ! Alors bain chaud, douche froide. Et puis dormir ! Alors cachet de Ténébral. C'est comme une répulsion intense de l'existence. Un besoin de mutation. Chrysalide-papillon ! La bestiole doit connaître ce que je ressens. Le plus cocon des deux n'est pas celui qu'on panse (comme disait une jolie infirmière que j'ai beaucoup baisée).

Je pionce pendant cinq heures, pas davantage. Mais avec une rare application.

N'après quoi je me lève en forme, un peu patochard du bulbe because le cacheton ; un bon caoua de ma Félicie me remettra la pensarde à l'heure.

J'appelle le bureau.

Tombe sur Jérémie.

Il est jubileur tout plein, le Mâchuré ! Si Mathias n'a rien de nouveau à propos du phénomène dont nous fûmes victimes, Alexandre-Benoît et moi, par contre la vieille Pinoche a retrouvé la fille ! Quand je te le disais qu'il était irremplaçable dans certains domaines, mon vieux César branlant !

— Tu es capable de t'annoncer, demande M. Blanc, ou bien devons-nous prendre nous-mêmes des décisions ?

— Pauvre con ! lancé-je en raccrochant.

Prendre des décisions eux-mêmes, ces pafs volants ! Non, mais ils rêvent !

Je me saboule en énarque, dans les teintes sérieuses. Pas de négligeries surtout, comme ils y sont enclins tous les jeunastres d'à présent. Quand je les renouche, je crois rêver. C'est le blouson de faux cuir cradingue, le jean dégueu, plein de pisse par-devant, le tee-shirt Mickey avec des trous de cigarette et des taches abjectes, sans parler des baskets, naturellement, sales et informes, qu'onc clodo n'irait repêcher dans une poubelle !

Cet accoutrement leur est devenu un uniforme. Se croiraient déshonorés s'ils étaient vus en veston avec une vraie chemise et une cravate, des pompes de cuir, la gueule rasée !

Pour ça, le Vieux aura été un exemple pour ma pomme. Sans être, comme lui, tiré à quatorze épingles, j'ai toujours eu le souci de ma mise. L'homme bien loqué jouit d'un capital crédit (si je puis dire). Au départ, il est reçu et écouté.

Quarante minutes plus tard, me voici dans le palais des draupers, sûr de moi et dominateur.

Mon bureau est en état de siège, biscotte le père La Renifle majestueux, dans mon fauteuil pivotant, un mégot rallumé au bec, le bitos à l'horizontale. Vingt collègues sont là qui le harcèlent de questions. Et lui, le Desperados de la Rousse, il en jette comme un diamant entre les flotteurs de la mère Taylor. Son sourire est celui de ces statues de saints très recommandables qu'on trouve dans les églises d'Italie. Y a du céleste là-dedans, de l'infinie mansuétude, une prodigieuse acceptation de tout et du reste !

Comme c'est un subalterne très conscient de sa subalternité, il se lève à mon entrée pour me restituer mon siège. Mais moi, magnanime, je le lui consacre d'un geste si plein de noblesse qu'en le voyant, le bon roi saint Louis aurait déféqué dans son froc.

J'ai mon air des grandes occasions. Il produit un effet taureau (l'effet bœuf, c'est pas mon style) sur l'assistance. Les inspecteurs rassemblés vont se plаquer contre les murs, mués d'instinct en cariatides. Juste Jérémie demeure soi-même, les mains dans les vagues, fredonnant un air Banania de ses contrées bambou.

Je promène sur l'assistance un regard circulaire, décrivant sur mes talons un 360 degrés dont je ne te dis que ça. C'est une étrange faculté de l'homme que de chercher à se guérir de ses souillures par une démonstration de son autorité. Je cède pourtant à cette fâcheuse et conne réaction, si pauvre vraiment, pas besoin de purification, oui, comprenne qui peut ! Sentant confusément qu'en mettant le pied sur la scène de la bêtise universelle, je renonce délibérément à mon statut d'homme intelligent afin de faire amende honorable. Je m'abaisse pour me réprouver moi-même. Con volontaire, je peux mieux endosser la flétrissure de ce sombre coït avec la mère Bérurier. C'est un cilice chargé de mortifier ce qu'il y a de noble en moi.

Alors, va, Sana. Joue les grands chefs minables, soucieux de leur autorité, juchés sur la pyramide fragile de leurs prérogatives. Fais le con, mon con ! Et peut-être, par grande grâce divine, deviendras-tu con à ton tour, enfin incorporé ; délivré des inutiles branchies qui te permettaient, Gribouille gribouilleur, de te croire poisson parmi les gorets.

Amen !

Il s'est fait un grand silence, ignifugé et parfaitement étanche.

Je dépose alors dix-huit centimètres carrés de ma fesse gauche sur l'angle du bureau et dis simplement, m'adressant à Pinocchio :

— Alors ?

Il tète voluptueusement son mégot en papier maïs, d'un jaune de devant de vieux slip. Une certaine combustion s'opère, grésillante. Le vieux expulse une légère bouffée qui le fait larmoyer de son mauvais œil (l'autre n'est que « pas très bon »).

— Je l'ai retrouvée en cinq heures quarante minutes, déclare-t-il.

Sa voix s'en étrangle d'émotion. Comme il est fier de cet exploit, le devin divin ! Et à juste titre, comme disent les courtiers en Bourse. Chéri, va !

— Comment t'y es-tu pris, noble vieillard dont le nom sera inscrit au fronton de tous les édicules publics, afin de rappeler aux prostatiques de France qui tu fus ?

— Je dois reconnaître que la chance m'a beaucoup aidé, déclare loyalement le rat d'égout fumeur. Un vieux dicton assure que, dans notre métier…

Mais je l'interromps gentiment :

— César, mon biquet joli, tu rassembles tous tes vieux dictons, tu les roules serré et tu te les bourres dans le rectum après avoir enduit celui-ci de vaseline. Maintenant, aux faits, l'ancêtre !

Il retire sa relique de clope, prend l'assistance à témoin et jubile en me désignant :

— Il ne changera jamais ! C'est le garçon le plus facétieux que j'aie connu dans la police. A mes débuts, le brigadier Brizardin n'était pas mal non plus ; il se montrait particulièrement doué pour les jeux de mots et les contrepèteries. C'est lui qui, je crois bien, a inventé celui avec « Madame Vigée-Lebrun », qui se traduit par : « Madame, j'ai le vit brun » (rire pinulcien, aigrelet comme le tintement d'une sonnette fêlée).

— Procède avec tes souvenirs comme je t'ai conseillé de faire avec tes vieux dictons, Pinaud, coupé-je, le temps presse.

Il devient grave. Quelques neurones nazes venant de péter dans son disjoncteur, il murmure, penaud :

— De quoi parlions-nous ?

— De la tueuse que tu as su retrouver en cinq heures et quarante minutes.

— Oh ! oui. Je m'étais tenu le raisonnement suivant : si cette fille change fréquemment de studio meublé, elle doit être en cheville avec une agence de location, au lieu de chaque fois se présenter chez d'autres et devoir y établir un nouveau dossier. Alors, mes amis, j'ai pris le Bottin. Il existe plusieurs pages d'agences locatives, vous vous en doutez. Sans me décourager, j'ai commencé par la première. Et j'ai entrepris de téléphoner aux directeurs de chacune d'elles. A tous, j'ai sorti le même baratin : « Ici la Préfecture de police. Nous recherchons une jeune femme d'une trentaine d'années qui loue fréquemment des studios meublés. Cette fille vient à nouveau d'en louer un. » Etc. Je notais les agences qui prétendaient avoir ce genre de cliente. Quand je les ai eu toutes appelées, je disposais d'une liste d'une vingtaine de noms et je me suis mis alors à leur rendre visite. A la seconde où je suis allé, j'ai mis le doigt dessus. Les gens qui y travaillent ont parfaitement reconnu la fille Smurgh sur les photographies que je leur soumettais.

Il me tend un faf.

— Voici l'adresse de l'agence en question, Tonio. Au verso tu trouveras celle du studio qu'habite la fille depuis hier, à la Muette. Elle se fait appeler Hildegarde Staube, se pretend allemande, née à Cologne, et a déclaré comme profession : secrétaire à la Frankfurt Bank, agence de Paris, je ne te réponds pas de l'orthographe car j'ignore l'allemand.

Le vieux constate qu'au cours de ses explications, son clope s'est éteint. Il souffle sur son extrémité pour tenter de le ranimer, mais autant souffler sur sa bitounette pour la faire bander ! Alors, il soupire et sort d'une de ses poches sans fond un vieux briquet que son papa lui a ramené de la guerre de 14 : un truc de cuivre sans couleur, avec une mèche, et qui tire un feu d'artifice lorsque tu en actionnes la molette avant de proposer une flamme de lampe à souder.

L'opération rallumage est si périlleuse que tout le monde retient son souffle. La Fine approche la torche de son visage que cet afflux de lumière sublimise.

Il a beau avancer ses lèvres un max, ça se met à puer les poils du nez carbonisés et le bord de chapeau de feutre roussi. Ayant triomphé dans son entreprise, il rabat le couvercle du briquet, mais la flamme continue de s'échapper, refusant de mourir. Pour éteindre son chalumeau, il est contraint de l'envelopper de son mouchoir. Dernière odeur de brûlé, tout rentre dans l'ordre.

— Je voudrais ajouter encore ceci, déclare Pinaud. Etant allé repérer l'adresse de la fille Smurgh, je l'ai vue qui sortait de l'immeuble. Par un réflexe professionnel que tous, ici présents, comprendrez aisément, je l'ai suivie. Elle s'est rendue pour commencer dans une agence de voyages à la Muette, puis elle a acheté des denrées alimentaires dans un magasin de luxe. Lorsqu'elle est revenue à son domicile, un homme jeune se tenait à la fenêtre. Je parierais qu'il s'agissait de son compagnon, à la manière dont il la suivait du regard. J'ai l'impression qu'il m'a repéré. Sentiment très fugace. J'ai poursuivi ma route mine de rien, mais il est préférable que je ne me montre plus dans le secteur.

Un élan de gratitude me fait lui tendre la main. Il y dépose une demi-livre de viande froide avec os que je presse comme si c'était appétissant.

— Bravo, César !

Et, me tournant vers les cradingues mal fagotés qui nous cernent :

— Que cet homme vous soit un exemple, messieurs ! Il est l'âme de notre ingrat métier !

Pinaud pleure.

Je lui concède une minute d'émotion. N'après quoi je fais front aux troupes rassemblées. Un dur combat se livre en moi. Partagé entre ce que m'a dit Marie-Jeanne, la chère surdouée de bonne rencontre et la bonne vieille tactique policière, j'hésite. Si je fais cerner l'immeuble et saute le couple, comme la logique le commande, je risque de ne pouvoir remonter à la source. Si je laisse les deux meurtriers en liberté surveillée, ils peuvent, à la faveur d'une couillerie imprévisible, se tirer et me laisser marron.

Ah ! combien il est difficile de décider.

Et ma perplexité ne doit pas s'éterniser, car elle dessert mon prestige. Les subalternes ne croient plus aux chefs indécis. Ils ont besoin d'avoir à leur tête des hommes qui tranchent infailliblement.

Un temps mort, ça oui, ça fait même bien dans le paysage, ça montre que le king coordonne ses idées. Mais pas bivouaquer dans le flou, bordel ! Ça, never ! Au grand never !

J'interpelle muettement mon petit lutin à gages.

« Qu'est-ce qu'on décide, Futé ? »

Il me chuchote une propose que moi, franchement, je trouve bath comme un bouquet de violettes.

Un flot brûlant embrase alors mes veines.

— Mes amis, dis-je, je vous mijote une opération comme vous n'en avez encore jamais vu !

En piste !

* * *

— Tu ne crois pas qu'il est un peu tard pour un emménagement ? murmure Jérémie, assis contre moi à l'intérieur du camion.

— Les jours sont longs, objecté-je, et puis notre bidule comporte des plaques néerlandaises. Lorsqu'on vient de loin, on arrive quand on peut !

— La concierge n'est pas prévenue, elle va faire du suif ?

— Monestier va s'occuper d'elle ; c'est un homme très persuasif. D'après les renseignements que j'ai pu obtenir, son mari travaille chez Renault à Funs ; il est justement de l'équipe du soir, en ce moment.

Mathias, qui se tient blotti entre un piano droit et une bergère Louis Trucmuche, assis sur sa marmotte d'ouvrier du Tour de France, murmure :

— Tout ira très vite.

Le lourd camion de déménagement « Transports Internationaux Hiëronymus VAN AEKEN, BOSCH, Pays-Bas » roule pesamment dans le calme seizième. Par un œilleton, je vois défiler un Paname que je connais bien et qui glisse en cette fin de journée dans une langueur bourgeoise. Dans la vaste cabine avant se tiennent quatre inspecteurs vêtus de combinaisons bleues. Aucun ne jacte. Ils sont tendus par l'imminence de l'action. Tu dirais les membres d'un commando chargé de faire sauter le palais de Buckingham.

Je les ai soigneusement choisis. Chacun sait ce qu'il a à faire et s'y prépare. Leur gravité me plaît. A l'exception de Monestier qui a dépassé la quarantaine (il faut un flic qui fasse sérieux pour « s'occuper » de la pipelette, je les ai pris jeunots et costauds : bédame, des déménageurs ! Blonds, aussi : rebédame, des Bataves !

Voilà, on vire dans la rue de la Muette. Le gros zinzin ralentit. Il se range devant l'immeuble des tueurs. Prépusse, un novice, saute du lourd bahut, une chiée de feuillets multicolores à la main, et se met à « vérifier » le numéro de l'immeuble. Tout ça bien ouvertement. Si nos « clients » sont aux aguets, il faut les mettre en confiance, pas qu'ils redoutent un instant un coup tordu, ou que, s'ils le craignent, ils soient vite rassurés par notre comportement.

Prépusse adresse un large acquiescement à ses acolytes. Le chauffeur met le clignotant de panne. Monestier descend à son tour et engouffre l'immeuble pour aller charmer la cerbère. Les deux autres passent à l'arrière du camion dont ils déverrouillent les portes arrière. Le jour poudré d'or, car il décline déjà, nous fait ciller. On devenait hiboux, nous trois autres, au fond de cette putain de caisse. Nous demeurons à notre poste. Prépusse est entré dans la crèche à son tour et, selon un plan convenu, grimpe à l'étage au-dessus du studio. Il sonne à la porte de M. Vergustin, ancien officier des douanes en retraite, que nous avons contacté téléphoniquement et qui est d'accord pour assister la police. Le jeune inspecteur parle allemand. Il dit, en un français choucrouteux comme quoi c'est le déménagement de Hollande qui est là. Qu'ils ont eu du retard à cause de ces chieries de douanes (gueule de ce bon M. Vergustin !). Mais bon, est-ce qu'il est d'accord pour que l'emménagement ait lieu tout de suite, comme ça ils gêneront moins la circulation. Tout cela est aboyé à la teuton. Le retraité répond que « Mais bien sûr, après une journée d'attente dans un appartement vide, c'est la moindre des choses ». Et ça boume !

Moi, je biche comme une puce en apercevant dans l'immense réflecteur extérieur du camion, convenablement orienté, le couple à la fenêtre. « Merde, me dis-je familièrement, on les tient ! Ça n'aura pas été long ». Après ce bout d'enquête décousue, où ça tiraillait à hue et à dia ! Je suis content de moi ! Des autres aussi. De Pinuche surtout, et puis d'Akourdidé qui aura allumé la lanterne. Et de la mignonne Eurasienne si futée qui, elle aussi, m'aura aidé à y voir clair. Content du fils de la femme de ménage portugaise, brave petit baisouilleur précoce.

Le couple ne demeure pas longtemps à la fenêtre : la fille ne tarde pas à s'en retirer. Le type reste encore un moment. Il ne semble pas inquiet. Faut dire qu'il y a déjà tout un bordel sur le trottoir. Une grande glace à trumeau, une armoire hollandaise, des fauteuils de cuir, une machine à laver, des sommiers enveloppés de toile de jute. On fourmille. Les inspecteurs entreprennent de grimper les meubles chez le pauvre père Vergustin, soixante-dix-sept ans, mais tout son chou. Veuf. Une fille religieuse. Des semis dans des petits bacs. Il fait pousser des mousses bizarres, c'est sa marotte, l'ancêtre, comme si lui-même n'était pas suffisamment moisi comme ça ! Mais non : des mômes, tous, patriarches ou pas. Le hobby ! Lui, c'est les lichens du Grand Nord, là que les cormorans ne vont même plus déféquer. Que juste tu peux y trouver, en fait de vie animale, des infusoires rampants, et encore !

L'emménagement commence. La tactique est simple : créer un barrage de meubles au-dessus de studio, et un autre au-dessous, de façon à ce que toute retraite soit coupée aux tueurs.

Prépusse vient prendre un petit bonheur-du-jour dans le camion.

— Opération A terminée, dit-il, à vous de jouer !

Je mate le grand rétro : nobody à la fenêtre des lascars : donc ils ne peuvent nous voir. Nous sautons du bahut.

Le porche. Regard dans la loge. Monestier fait du gringue à la concierge : une petite boulotte pas désagréable à boulotter le jour où ta maîtresse de banlieue a raté le dur pour venir te faire étinceler.

Note que lui ça ne va pas loin. Le côté : « Vous savez que vous n'êtes pas mal du tout dans votre genre ? » Voire encore : « Je donnerais bien mon treizième mois de salaire pour être à la place de votre mari ! » Galantine de volaille, quoi ! De garçons de bains comme on disait jadis, au temps où l'on s'en allait laver, le samedi dans des établissements conçus pour. Savonnette et serviette en sus, comme à l'hôtel Mon Bijou.

Sous le porche, on s'attrape un canapé d'au moins trois mètres cinquante de long, M. Blanc, Mathias, Prépusse et ma pomme. Et on n'est pas trop de quatre pour escalader ce catafalque dans les étages. Arrivé sur le palier des brigands, le jeune Prépusse me désigne leur porte. Alors, bon, ayant bien combiné notre truc, on s'arrange de manière à bloquer le canapé. Il heurte leur lourde. On sacre, on lance des « Mein Got, mein Got » à la noix, vu que seul Mathias qui est polygone jacte le néerlandais. L'effet ne tarde pas à porter ses fruits. L'huis finit par s'écarter légèrement, juste ce que permet la chaîne de sécurité. On défrime un coin de visage femelle. Une voix lance, mauvaise :

— Mais qu'est-ce qui se passe, bon Dieu !

Mathias explique en hollandais que ce putain de canapé ne parvient pas à passer par I'escadrin. La fille nous répond en allemand, car elle est alsaco d'origine et le langage choucroute, ses vieux ont dû le lui apprendre par osmose. Prépusse lui relaie dans la langue de Schiller les explicances bataves du Rouquin. Tout ça fait vrai à ne plus en pouvoir. Mathias balance quelque chose à Prépusse. Prépusse répond que « ja ja » et traduit à la gonzesse :

— Si c'était possible qu'elle ouvre sa porte afin qu'on puisse engager juste l'angle du canapé chez elle manière à pouvoir prendre le virage.

Là-dessus, le mec de la gonzesse ramène sa fraise :

— Qu'est-ce qu'ils veulent, ces branques ?

— Qu'on ouvre pour qu'ils arrivent à virer avec leur monument !

Le type ricane :

— Tu parles de déménageurs de mes deux ! Ils n'ont qu'à le placer à la verticale, ce canapé !

Et puis il n'en casse pas plus vu que Mathias vient d'usiner prompto en vaporisant, presque à bout portant, l'un de ses chers gaz dont il a le secret et qui nous furent si tellement utiles à Harlem dans mon booksif précédent.

Tu verrais si c'est fait de main de maître ! Juste un éclair. Sa main brandie tenant une cartouche métallique « Pchiiiiiiittt, cher ange ». Poum ! Les deux ont quelques halètements à la désespérée. Puis s'écroulent. D'un coup d'épaule je fais sauter la chaîne. Pas diff, il suffit pour ça de ramener la lourde à soi et d'y aller franco.

Mathias se place un petit masque sur le nez et pénètre le premier dans le studio dont il va ouvrir les deux fenêtres en grand, ainsi que le fenestron de la salle de bains, manière d'établir un courant d'air purgeur.

Il revient peu après.

— Attendez quelques minutes avant d'entrer, conseille-t-il.

Je donne des ordres à mon équipe :

— Remportez le matériel, les mecs, mission réussie cinq sur cinq. On arrosera l'exploit demain.

Dociles, ils opèrent en sens inverse. Jérémie, le Rouquemoute et Bibi, prenons possession des lieux. On commence à préparer le réveil des tueurs en leur passant les menottes (c'est bien à leur tour d'y avoir droit !). Ensuite nous les traînons dans le studio même, un coin coquet où il doit faire bon tirer une frangine opérationnelle.

— Sur la lancée, mes chéris, entravez-leur également les pinceaux ! recommandé-je.

J'entreprends une perquise très technique de l'appartement.

J'y déniche deux pétards gros comme ma cuisse, deux paires de menottes, un tas d'osier que je renonce à compter et une trousse de monte-en-l'air sophistiquée.

Ces formalités accomplies, je désigne le couple à Mathias.

— Ils en ont pour longtemps avant de se réveiller ?

— Cela dépend de leur organisme. La fille dormira sûrement plus longtemps que l'homme. Disons une bonne heure.

Je m'approche de l'appareil téléphonique pour tuber au Vieux. Il exulte.

— Bravo, mon cher petit. Et sans effusion de sang !

Un temps, il baisse la voix :

— Justement, à propos de sang…

Je pressens du cacateux en préparation.

Comme il tarde à répondre, je risque un :

— Je vous écoute, monsieur le directeur ?

Ça doit pas être joyce ce qu'il a à me dire. Déplaisant à outrance, même, je le devine à ses raclements de gorge embarrassés.

— Cette affaire touche au milieu diplomatique, San-Antonio. Vous êtes seul ?

— Moi, non, mais mon tympan, oui, vous pouvez parler.

Il se ramone le conduit à grumelances.

— Je viens de tenir un conseil de guerre avec les plus hautes instances… Tout à fait les plus hautes instances, San-Antonio. Il en résulte que, de l'avis unanime, il ne doit pas y avoir de… heu… procès des assassins ; pas de… heu… d'instruction non plus, comprenez-vous ?

Je chique les étourneaux :

— Alors, il faut les remettre en liberté après leur avoir fait promettre de ne plus recommencer, monsieur le directeur ?

Il s'emberluche, le Vioque ! Son ton devient âpre.

— Vous ne me comprenez pas, San-Antonio. Il convient de… d'interroger ces gens au maximum. Vous comprenez ce que je veux dire ? Au maximum. Et ensuite de les faire disparaître sans tapage. Les accidents de voiture ne sont pas faits pour les chiens.

— En somme, ricané-je, il faut que je trouve des tueurs à gages pour supprimer ces tueurs à gages ?

Le Vieux éclate d'un rire qui sonne aussi faux que de la monnaie de plomb !

— Ce que c'est farce ! Quel esprit vous avez, mon petit. Eh bien !.. heu… vous venez en effet de résumer les vœux de notre gouvernement.

— Vœux informulés, bien entendu ? insisté-je.

— Naturellement. Tout à fait informulés !

— Puis-je vous poser une question, patron ?

— Toutes celles que vous voudrez, mon enfant, mon bambin, mon mignon.

— Pour qui me prenez-vous ? laissé-je tomber, juste avant le combiné sur sa fourche.