174692.fb2 Napoleon Pommier - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 4

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Pas le Napoléon du pont d'Arcole ! Plutôt celui de Sainte-Hélène.

Grassouillet, blême et bouffi, le bitos de traviole, le gilet déboutonné. Il avait bédolé dans sa culotte blanche car de brunes traînées la souillaient.

Sa bouche barbouillée de sang l'apparentait à un vampire (si tant est qu'un vampire soit apparentable). Son regard exorbité évoquait les gros phares éteints d'une torpédo des années 30.

Il ne se cramponnait pas à la rampe, aussi ses jambes flageolantes le portaient-elles à peine. Chaque marche dégravie menaçait sa verticalité.

Jérémie s'élança à son secours mais intervint trop tard. L'Empereur, à bout de forces, renonça aux lois de l'équilibre pour céder à celles de la pesanteur. Sa tête heurta un nez de marche. Le bicorne salua la chute en quittant ce chef déplumé. Napo demeura immobile, gueule béante, tête en bas, dans sa fausse gloire et sa vraie déchéance.

Nous le ramassîmes et l'étendâmes sur le tapis du hall où son apparence devint plus noble.

Je l'avais vu en photo ou à la télé, cela m'avait suffi pour être convaincu de sa connerie ; mais je compris, lorsqu'il fut à mes pieds, que mon impression était erronée. Même inconscient, sa physionomie exprimait la suffisance et beaucoup d'autres travers que je n'ai pas le temps d'évoquer en ces pages brillantes.

— Mort ? demandai-je à Jérémie. (Non qu'il fût plus averti que moi en matière médicale, mais il tenait sa main plaquée sur la poitrine de Titan).

— Non, répondit mon ami : le cœur bat.

— Préviens Police Secours !

Jéré dégaina son portable pour composer le numéro.

Pendant qu'il faisait le nécessaire, je grimpis à l'étage, traversis l'antichambre jonchée d'un pantalon et parvins dans l'antre fornicatoire de l'écrivain par contumace. J'y découvris le minet blond décrit par le cher Félix. Le garçon (que je continue d'appeler ainsi), reposait sur le dos ; ses jambes ouvertes rendaient plus évidente la mutilation. Je ne pus m'empêcher d'évoquer une fille mise en congé de baise par ses ragnoches.

Le blondinet se trouvait nu sous une pompeuse robe de chambre, j'étais prêt à parier un kopeck neuf contre un dollar usagé que le futiau de la pièce attenante lui appartenait.

N'étant pas convaincu que l'ablation de sa zézette avait causé son trépas, je m'accroupissas auprès de lui pour effectuer des constatations plus poussées. Ne tardis pas à me rendre compte que son meurtrier lui avait enfoncé la tige d'un poinçon d'acier à la base du cerveau. Un manche de buis formait une étrange excroissance à travers sa longue chevelure décolorée. Le criminel usait d'un matériel varié !

Jérémie me rejoignit, l'air désemparé.

— Quelle pétaudière, murmura-t-il. L'affaire va déclencher un cirque du diable !

On pouvait y compter.

— Ces meurtres ont été exécutés par un familier des deux hommes, notai-je. Il semble évident que les victimes ne furent pas paniquées au moment du crime. J'aimerais qu'on fasse venir Mathias avant le patacaisse médiatique.

— Je viens de le prévenir : il arrive !

— Tu es chiant, grommelai-je, tu penses toujours à tout !

— Parce que j'ai été à bonne école, assura le flatteur.

Un ronflement de moteur deux-temps retentit, venant de l'extérieur. J'allis à la fenêtre et découvris un Arabe en bleu de travail qui commençait à tondre le gazon.

— Examine les lieux pendant que je vais aller discuter le bout de gras avec l'ami Mohamed, ordonnai-je.

L'homme, un ancien harki blanchi sous le harkoi, possédait une gueule mourante de gars consacrant son existence à des valeurs qu'on lui avait certifiées solides. Ses tifs gris restaient drus, ses sourcils ressemblaient à deux brosses à habits et sa moustache était gauloise par excès de fidélité à notre pays. Son regard, brillant malgré l'âge, contenait une gentillesse bouleversante tant on la devinait sincère.

Il me vit approcher d'un œil surpris et, comprenant que je voulais lui parler, arrêta le raffut de son engin. Il n'osait sourire car mon personnage l'intimidait.

Lorsque je fus à lui, je lui tendis spontanément la main.

— Bonjour ! fis-je-t-il avec un enjouage que j'étais loin d'éprouver.

Il m'offrit sa patte calleuse comme une brebis[5].

— Vous êtes le jardinier ? demandai-je, car je ne rechigne jamais à souligner une évidence.

Il me répondit par l'affirmative, ce qui n'est pas fait pour te surprendre.

— Vous venez souvent entretenir le jardin ?

— Trois fois la semaine.

— Depuis longtemps ?

— Dix ans au moins.

Estimant ce préambule suffisant, je lui appris alors qu'il s'était passé « des choses terribles » au château. Le cher homme, qui cependant en avait vu de sévères au cours de son existence militaire ne devint pas gris (il l'était déjà) mais se mit à grincer des dents, manifestation d'autant plus regrettable qu'il s'agissait des siennes, miraculeusement préservées malgré l'âge et les combats.

Je l'entraînai vers la maison. Il avançait mollement, comme lorsque tu affrontes en espadrilles une étendue marécageuse.

Nous parvînmes dans le « hall tragique ». Il se prit à grelotter en découvrant les deux gisants ; la servante surtout l'épouvanta.

— C'est pas moi ! C'est pas moi ! chevrota l'ancien guerrier, sachant combien, en France, on est enclin à accuser le jardinier quand il y a meurtre au château.

J'entrepris avec gentillesse sa rassénération, après lui avoir assuré que je ne doutais point de son innocence. Nous avions besoin de renseignements, les plus précis possibles.

Les corps l'hypnotisant, je le conduisis au salon où une tortue silencieuse consommait mélancoliquement une feuille de laitue dans un parc disneylandien.

J'invitai mon nouvel ami à partager avec moi un siège en forme d'hélice, baptisé « conversation ». Il y déposa gauchement un bout de fesse en alerte et me confia son regard de servitude.

— Comment vous appelez-vous ? attaquai-je.

— Moktar El Djam.

— Eh bien, Moktar, vous allez me parler de cette maison : la manière dont y vivait Ma Gloire, les gens qu'il recevait, les incidents s'y étant produits… Rassemblez bien vos souvenirs et parlez sans crainte, vous avez ma parole d'officier de police que tout ce que vous me direz restera entre nous.

Le bon harki possédait une importante qualité parmi beaucoup d'autres : l'intelligence du cœur. Je m'aperçus rapidement qu'il savait négliger les détails pour aller à l'essentiel. Sa terreur surmontée, il parlait juste et clair. Certes, il venait de façon intermittente au château, pourtant sa besogne l'amenait fréquemment à soigner les plantes d'intérieur et à suivre ainsi le va-et-vient des livreurs et des visiteurs. Ces derniers semblaient de deux ordres : les quémandeurs et les familiers.

Les premiers satisfaisaient la vanité du Maître, car le principal mérite des demandeurs est de flatter. Titan se goinfrait de l'obséquiosité d'autrui. Il se laissait lécher avec volupté. Les louanges les plus suintantes le mettaient en pâmoison. Quand on l'avait bien oint et lubrifié, il congédiait ces sodomites gigognes avec brusquerie et sans leur laisser le moindre espoir.

Hormis ces passereaux de la gloire, l'académicien possédait une petite cour privée réservée à ses fornications. Il ne se cachait pas pour tripoter ouvertement ses minets. Moktar se rappelait notamment un épisode où le châtelain (disons plus justement, le « castelain ») s'était fait tutoyer le pontife à l'ombre du grand cèdre bleu, orgueil du parc.

Le gentil Kabyle me fit bien d'autres récits de ce tonneau, mais Jérémie intervint pour m'avertir que l'ambulance était là. J'interrompis cette première livraison pour accueillir nos croix-rougiens.

Les deux infirmiers s'apprêtaient à charger le Maître sur leur civière lorsque mon fabuleux Mathias, directeur de notre labo, survenit, blousonné de cuir et casqué martien car il venait d'acquérir une impressionnante moto japonaise, au grand dam de sa mégère.

Notre confrère ôta son heaume et sa rousseur emplit le hall comme la lumière d'un projecteur.

Il nous salua à peine.

— Qu'as-tu ? questionnai-je. Tu viens d'apprendre que ton compte à la Banque du Sperme est à découvert ?

— Marthe est ENCORE enceinte !

— Donc, j'ai vu juste : tu es à sec ?

L'éminent garçon en avait un himalaya sur la patate car il maugréa :

— Ça fait plus de deux mois que je ne l'ai pas touchée !

— Et alors ?

— Sa fécondation est récente ; Marthe me trompe.

— Hé, moment ! Ne précipite pas les choses : les dates, en matière d'obstétrique, sont souvent spécieuses !

Il plongea son regard au fond du mien jusqu'à pouvoir déchiffrer la marque de mon slip.

— Ma femme jure qu'il est de toi !

J'en suffoquis. Puis j'éclatis de rire[6].

— La moto ! déclarai-je.

— Comprends pas ?

— Tu viens de la braver avec l'achat d'une ronfleuse, alors elle se venge en prétendant t'avoir cocufié !

Il devint perplexe, me considéra de plus rechef, puis sa mine de constipé chronique se fit presque sociable.

— Penses-tu qu'elle soit capable d'une telle perfidie ?

— Pour une épouse irritée, ce n'est pas de la perfidie ; ta jugeote n'est guère plus haute qu'un bonsaï !

Cette fois, il irradia au point que je faillis chausser mes lunettes de soleil.

— Qu'arrive-t-il ? demanda l'exquis personnage, si prompt à l'inquiétude, mais si facilement rassurable.

— Des choses, rétorquai-je.

Empruntant le geste auguste du semeur, je lui désignas tour à tour, la Martiniquaise et l'écrivain.

Il reconnut ce dernier et tiqua :

— Mais c'est ?…

— En personne ! Commence par l'examiner car il vit encore et il faut le driver à l'hosto ! Pour les autres, il n'y a plus d'urgence.

— « Les » autres ? s'effara-t-il, oubliant qu'il s'agit d'un verbe transitif (je parle d'effarer).

Sous les regards du jardinier et des deux ambulanciers, l'abondant procréateur se livra à un examen à la fois rapide et précis de l'intéressé. Il le mit sur le ventre, sur le côté, ouvrit grande sa gueule de saurien, souleva ses paupières à demi baissées et déclara :

— L'émotion a été trop forte, il a été terrassé par sa panique.

Ce diagnostic posé, on évacua le Mirobolant.

Comme la gent ambulancière s'apprêtait à le charger, un vacarme retentit, composé de cris et de sonneries de clairon. J'écris clairon au singulier car il n'y en avait qu'un seul, mais qui faisait autant de boucan que, jadis, la clique de Pont-de-Chéruy.

Nous gagnâmes le perron, Jérémie and me, et vîmes surgir une vénérable bagnole jaune, aux ailes noires, ressemblant à un énorme hyménoptère aculéate, moins connu sous le nom savant d'abeille.

Deux personnes occupaient la vénérable torpédo, l'une et l'autre vêtues en costume Empire. La conductrice était, sauf erreur, en Joséphine de Beauharnais, son compagnon en maréchal Ney.

— Qui sont ces olibrius ? questionnai-je.

— Les familiers de Monsieur, renseigna le jardinier. C'est aujourd'hui son anniversaire et une petite fête devait avoir lieu.

— Drôle de sauterie !

Je fis signe à Moktar qu'il pouvait partir et laissai la tire stopper près du perron. Les passagers en descendirent, lestés de paquets aux rubans affriolants.

En les regardant approcher, je réalisai que la première épouse de l'Empereur était un travesti.

Ils poussèrent la porte et se ruèrent dans le hall en braillant :

— Joyeux anniversaire ! Joyeux anni…

Ce qu'ils découvrirent alors leur coupa le sifflet.


  1. Ne parle-t-on pas toujours de brebis calleuses ?

  2. Certes, dame Mathias m'a honoré un jour de ses faveurs, mais l'événement est, depuis lurette, assorti de la prescription.