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CHAPITRE X

Il est onze heures et des fourmis quand on s’annonce à la ferme du cousin Mathieu. Contrairement aux pronostics que je faisais, les habitants ne sont pas dans les torchons vu qu’ils ont une normande en train de vêler. Les nabus vous le diront : c’est toujours à la nuictée que les apprentis bœufs viennent au monde.

La brave vache appelle sa mère dans sa langue et ce de façon déchirante.

Le Béru s’avance vers l’étable, du pas d’un homme qui a été taureau dans une vie antérieure ou qui est devenu bœuf dans celle-ci.

— Alors ! lance-t-il joyeusement, comment que ça va, le cheptel !

J’aperçois trois personnages assez surprenants. Le cousin Mathieu d’abord, gros, en bras de chemise avec un gilet noir et une moustache dessinée à l’encre de chine. Le gars bien : verrue à aigrette sur le nez aux poils à l’intérieur et calvitie blafarde se découpant au ras du visage hâlé comme un œuf dans son coquetier.

Il est assisté d’un garçon de ferme fourni par l’Assistance Publique, long, creux, roux et qui conserve la bouche ouverte en permanence, ce qui doit être bien commode lorsqu’il a envie de bâiller. La fermière complète le trio. C’est une aimable dame dont la principale caractéristique est le chignon. Elle doit y loger ses économies, c’est pas possible autrement ! Ou alors elle y fait couver des canards de Barbarie ! Elle tient à la main une lanterne qui ne nous a pas entendu venir vu qu’elle est sourde. Sourde mais pas aveugle, aussi répand-elle dans l’étable des reflets à la Rembrandt. Les autres vaches somnolent en rêvassant à un inséminateur qu’elles ont beaucoup aimé. Il y a également une chèvre, dans un coin, avec des cornes plus belles que celles de Béru !

Le fermier dit ce qu’il a à dire en pareilles circonstances, à savoir : « bonjour cousin, quel hasard » et la fermière se tâte le chignon d’un geste peureux pour s’assurer qu’il est présentable et en équilibre. Quant au garçon de ferme idiot, puisqu’il a la bouche en entrée libre, il en profite pour rigoler.

Le chien de la ferme, un délicieux bâtard issu du croisement d’un berger allemand avec une voiture à bras, vient nous renifler les targettes, l’air mécontent qu’on entre sans mugir gare dans la clinique. Il s’appelle Black, étant donné qu’il est jaune et blanc et il porte coquettement un collier en fil de fer barbelé.

Béru me présente en appuyant au maxi sur mon grade. Ça impressionne les accoucheurs qui s’essuient les paluches à leurs futaux avant de m’en serrer cinq.

— Vous prendrez bien quéque chose ? s’inquiète le fermier.

— Un calva, décide le Gros. Mais t’as pas peur que ton bestiau accouche pendant qu’on trinquera ?

— C’est pas pour tout de suite, informe le cousin Mathieu qui s’y connaît.

On rabat à la ferme. Je laisse Béru raconter les varices de sa Berthe, le phlegmon de son ami le coiffeur et sa nouvelle bagnole (une Hardy-Petit 1904 de style gothique à jantes ovales et pneus pleins) avec laquelle il compte réaliser des moyennes époustouflantes.

Pendant qu’il précise, la fermière est allée chercher la boutanche de calva (elle ne l’avait pas dans le chignon) et nous a servi de copieuses rasades. On trinque solennellement, façon Serment du jus de pomme. L’idiot du village avale son verre plus vite que les autres, toujours à cause de cette avance que lui donne l’ouverture constante de sa panoplie à molaires. Là-dessus, ayant déclaré le breuvage excellent, j’attaque les fermiers sur le sujet qui me préoccupe.

— On enquête sur l’affaire Coras, vous vous rappelez ?

Le cousin du Gros hennit (hennit soit qui mal y pense).

— Encore ! C’t’un truc classé, non ?

Sa conjointe qui lit volontiers Détective lorsqu’elle va se faire rectifier la pyramide chez le coiffeur du coin intervient.

— C’est-y que le gars Messonier a eu son pourboire en grâce qu’on l’a pas z’encore guillotiné ?

Elle s’indigne, la vertueuse piétineuse de fumier. Elle est pour la décollation. D’après elle, quand on tue le pauv’monde on ne mérite pas de pitié.

— Vous l’avez connu, ce Messonier, non ? tranché-je, il avait une maison dans la localité, m’a-t-on dit ?

Elle pousse son bonhomme du coude.

— C’est drôle, Pétrus, tu trouves pas ?

Pétrus, qui n’a pas plus d’humour qu’un corbillard en panne, branle le chef. Sans se laisser décourager par cette mimique inexpressive sa bourgeoise explique :

— Il habitait la maison qui touche la nôtre !

Y a des cas où on se sent partant pour acheter des biftons de la Loterie. Notez qu’au tirage on dégode un chouïa vu qu’on passe devant la montre. Vous trouvez pas formide, vous autres, que le hasard, sous les auspices de Béru et de Beaune réunis m’ait guidé tout droit chez les voisins de Messonier ? Eh bien, moi si !

— Elle lui appartenait ?

— Non. C’est un logement qu’est à M. Vermi Fugelune, l’acteur. L’année des crimes, il est allé tourner une pièce de cinéma à Hollivode. Alors, comme Messonier était un de ses amis, y lui avait laissé sa maison pour la saison.

— Et depuis le procès, quelqu’un habite ici ?

— Oui : M. Vermi Fugelune y vient l’été et les véquendes avec d’autres z’acteurs. Si je vous disais que dimanche passé on a eu Mine Derrien, l’actrice. Même qu’elle est entrée ici chercher des œufs frais !

Nous nous exclamons devant une telle manifestation de la Providence. C’est vraiment un cadeau du Ciel, non ? Biner des betteraves, tirer des veaux, et cuire la soupe à longueur d’année et avoir à domicile, en guise de prime, une gloire de l’écran, ça veut bien dire qu’on est un privilégié, non ?

Les Mathieu en ont conscience mais, en gens modestes, n’abusent pas de leurs prérogatives. Des profondeurs de la nuit, la vache lance un S.O.S. à la maison Prénatal. Le cousin Mathieu s’excuse et va aux nouvelles, escorté de son crétin personnel. Nous demeurons avec la cousine Amélie. Le Gros lui sourit et, pour me montrer qu’il a ses aises chez les nabus, il passe une main familière sur la croupe de la pin-up au chignon. La fermière se croit obligée d’émettre un rire à épisode, remboursable par tirage annuel, qui fortifie l’audace de mon coéquipier.

Comme nous ne sommes pas venus là pour batifoler dans le fumier, je romps le silence équivoque qui vient de s’établir :

— Vous souvenez-vous du jour du crime, madame Mathieu ?

L’enchignonnée fronce ses sourcils abondants.

— Quel crime ?

— Je veux parler des meurtres de MM. Coras père et fils ; vous avez dû lire l’affaire dans les journaux, le lendemain ?

— C’était à la première page ! rétorque-t-elle pour montrer qu’elle a une mémoire aussi éléphantesque que sa croupe.

— Bravo ! encouragé-je. Dès le surlendemain, Messonier était en état d’arrestation.

— Xactement !

— C’est pourquoi je fais appel à vos souvenirs, chère madame ! Les meurtres furent perpétrés un samedi. Messonier a donc été arrêté le lundi. Vous rappelez-vous s’il est venu à Neauphle le samedi ?

Elle entrouvre la bouche pour mieux réfléchir. Ça doit être une habitude dans la strass ! Son cervelet fait des bulles. Le garçon de ferme qui est revenu de l’étable assiste à ce numéro mnémonique pour lequel Bruno Coquatrix payerait le cachet des super-galas. Et c’est en somme normal que l’idiot y assiste puisqu’il est de l’Assistance. Ça lui écarquille en outre les yeux et les narines. M’est avis qu’avec ses orifices béants il risque de s’enrhumer.

La fermière, sollicitée par le massage crouptal de Béru, essaie de mettre le paquet. Quand on lui bassine le bassin, ça l’aide à penser.

— Vous dites que ces crimes y z’ont z’été empêtrés le samedi ?

— Si fait, madame !

Alors nous assistons à un miracle plus stupéfiant que celui de Fatima. On attendait Grouchy : c’est Blücher qui se pointe. Entendez par là qu’au lieu d’Amélie, la fermière au chignon à impériale, c’est le demeuré à la bouche végétative qui répond. Il a tout entendu, mes questions ont fait leur chemin jusqu’à son embryon de cervelle. Il y a eu un déclic, quelque chose, j’sais pas quoi, ce que le maréchal Joffre (ma tournée) appelait les impondérables, et voilà mon rouquin qui donne un solo de cordes vocales au moment où on ne s’y attend pas.

— Le m’sieur que vous causez à la patronne, l’est venu l’samedi que vous causez qu’à eu les crimes que vous causez !

Je tourne vers le ramasseur de paille souillée mon fin visage aux yeux expressifs. D’accord, le gars ne sera jamais secrétaire perpétuel à la Cadémie, pourtant son langage dépouillé comme une peau de lapin me va droit au cœur comme si je m’appelais Ney.

— T’es sûr, mon gars ? fait Béru qui sait parler aux hommes en général et aux crétins de village en particulier.

La môme au chignozof prend les patins de son gardien de ruminants.

— Si Célestin le dit c’est que c’est vrai. Il a une mémoire que vous pouvez pas savoir à quel point !

Fort de cette ratification, je biche familièrement le bras de Célestin.

— Comment que tu sais que c’était ce jour-là, mon garçon ?

Alors, le mec, sans avoir ligoté jamais les grands philosophes, me fait cette réponse plus imparable qu’un coup de fleuret de d’Oriola :

— C’était ce jour-là à cause que c’était ce jour-là !

Béru lui-même en a le cerveau qui craque d’admiration. Je n’insiste pas. Il vaudrait mieux essayer de briser Durandal sur un rocher qu’expliquer à Célestin que l’erreur est une chose humaine, possible, admise, avec laquelle il faut compter, surtout lorsqu’on pratique le métier discutable de poulet assermenté.

— Il est venu quand ?

L’autre tomate pas fraîche renifle une étonnante stalactite, imparfaitement d’ailleurs, et en étale le surplus sur la manche de sa veste.

— J’sais pas quand, mais j’allions faire ferrer not’jument, vu que le lendemain c’était la fête z’au village et qu’a devait tirer une écharretée de fleurs !

— C’est vrai ! exulte Amélie Mathieu en repiquant judicieusement une épingle vadrouilleuse dans son chignon. Les crimes ont été pénétrés la veille de la foire d’ici.

Du coup, je commence à faire confiance aux dons mnémoniques du rouquinos. Il rumine un rire lugubre de dément. Là-dessus, Mathieu se pointe, la moustache plus en guidon de course que jamais et se met à enguirlander l’idiot de première vu qu’il y aura de la tête de veau dans les chaumières avant longtemps et qu’il est seulâbre à se farcir la césarienne de Madame ! On sent qu’on l’importune. Ce qui compte, pour lui, ce ne sont pas les vaches de la maison Poule-man, même lorsqu’elles lui sont apparentées, mais celles qui mugissent dans son étable.

— Une seconde, fait sa femme. On cause !

— La Blanchette aussi, cause, riposte le nabus, et a dit même que ça presse vous causerez t’à l’heure.

J’interviens.

— Plus qu’un mot, monsieur Mathieu, si vous permettez.

Et, sans attendre son autorisation, je repars à l’assaut de Célestin.

— Comment sais-tu qu’il était chez lui, Messonier, tu l’as vu ?

— Non, mais j’ai vu son auto dans la cour. Avec deux autres, une rouge et une noire.

— Il avait quoi lui-même, comme voiture ?

Le crétinuche se plonge le doigt dans les fosses nasales, et grume le fruit de ses investigations.

— Une verte, dit-il après une période d’intense délectation.

Pour sa pomme, ce qui compte le plus dans une guindé, c’est sa couleur, preuve qu’il n’est pas daltonien.

Le fermier agacé complète l’information.

— Il avait une Frégate verte.

— Merci. Pardonnez le dérangement. On vous laisse.

— C’est rapport à ma vache, s’excuse civilement Mathieu.

— On sait ce que c’est, affirme Bérurier à qui rien de ce qui touche aux bovins n’est étranger.

Et pour bien montrer à sa famille qu’il a un esprit répertorié par Vermot il lance :

— Quand le veau est tiré, il faut le faire boire.