177558.fb2 Tout le plaisir est pour moi - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 7

Tout le plaisir est pour moi - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 7

CHAPITRE VII

Elle a son regard noyé et pourtant scrutateur, Geneviève. Elle n’ose me questionner et se tient gentiment assise sur la banquette, la jupe en bordure des genoux, le buste droit. Elle attend. Il y a dans toute sa personne quelque chose de prudent, d’anxieux et de soumis aussi.

— Avez-vous une voiture, madame Coras ? demandé-je.

— Oui.

— Qu’est-ce que c’est comme véhicule ?

Elle est surprise, car la question lui paraît nettement hors de propos. Pourtant elle répond, passive :

— Une MG anglaise.

— Il y a longtemps que vous l’avez ?

— Environ deux ans, pourquoi ?

— Ça vous ennuierait de me montrer la carte grise ?

Elle ouvre son sac et farfouille à nouveau dans ses fafs. Elle me présente enfin le document demandé. Je constate que la carte grise a été délivrée par la Préfecture de Versailles le 4 avril de l’autre année.

Je la lui rends et murmure :

— Je commence à avoir l’impression que vous mentez, chère madame.

C’est le genre d’affirmation qui remue toujours une personne de cette classe. Son regard limpide s’assombrit. À la lumière du plafonnier, je vois ses traits harmonieux se crisper.

— Pourquoi ? demande-t-elle seulement, et ce d’un ton qui ressemble au coup de griffe d’un chat.

— Vous affirmez que vous étiez la maîtresse de Messonier, or il le nie, de plus votre ancienne bonne est convaincue du contraire !

— Vous lui avez posé une telle question ? s’indigne Geneviève.

Ses grands airs ne me perturbent pas le circuit vaso-moteur.

— Je suis un flic, madame. Un flic n’a été conçu que pour poser des questions indiscrètes. D’autre part, vous prétendez avoir passé l’après-midi du 4 avril chez Messonier. Là encore, il nie. Votre bonne dit que vous étiez à la préfecture de Versailles pour faire établir la carte grise de votre nouvelle voiture. Et effectivement ladite carte porte bien la date du 4 avril ! Alors ?

Elle hausse les épaules.

— Mais c’est Gilbert ! Gilbert, vous entendez, monsieur le commissaire, qui s’est occupé pour moi de cette formalité le matin afin que je puisse disposer de mon après-midi !

Elle pousse un petit cri.

— Et puis la preuve… Le meurtre a eu lieu un samedi, n’est-ce pas ? Or les préfectures sont fermées le samedi après-midi.

C’est en effet un argument sans bavures. Je n’insiste pas.

« Toujours ce doute », comme disait le monsieur qui surveillait sa femme, au moment où celle-ci, à loilpé dans les bras d’un autre homme, éteignait la lumière.

— Donc, ce samedi-là vous avez pris votre nouvelle voiture pour aller rejoindre Messonier à Neauphle ?

— Oui.

— Allons-y !

— À Neauphle ?

— C’est tout près d’ici, non ?

— En effet !

Le voyage n’a pas l’air de l’emballer. Elle s’imaginait quoi, en venant me voir, cette souris ? Que j’allais dire à M. Samson (et Olida) de remiser sa bécane et d’aller pêcher la moule à gaufre dans le Grand Canon du Colorado ? Les sœurs se font des idées, parfois, grosses comme des maisons de rapport.

— J’ignore ce qu’est devenu son pavillon, dit-elle.

— Oh ! il ne s’est pas envolé, bougonné-je.

Bien que son charme soit toujours aussi prenant, il est moins opérant sur le gars Bibi car je deviens professionnel en diable une fois sur le sentier de la guerre.

Nous ne mettons pas beaucoup de temps à rallier Neauphle-le-Château à notre panache de fumée.

— Où habitait-il ? m’enquiers-je.

Elle fronce les sourcils et mate le patelin avec indécision.

— Il y a tellement longtemps que je n’y suis pas venue, murmure-t-elle.

Mince, il avait raison, l’homme aux étoiles : les Français ont la mémoire courte, et leurs bergères encore plus ! Une dame qui venait se faire — paraît-il — renforcer la durite dans ce bled minuscule et qui ne sait plus, au bout de quelques mois, dans quelle maison ça se passait, voilà qui est étrange, n’est-ce pas ?

— Voyons, était-ce à l’entrée, à la sortie ou au milieu du village ?

— Eh bien…

Je m’emporte autant qu’en emporte le vent.

— En voilà assez, madame Coras ! Vous ignorez tout simplement où habitait votre pseudo-amant ! Avouez que vous m’avez menti, avouez-le avant que je ne me fâche et vous attire les ennuis que vous vaudrait votre conduite inqualifiable.

J’en bafouille ! Mes yeux jettent des éclairs de quoi emplir la boutique d’un pâtissier.

Elle recule, tremblante, contre la portière.

— Je vous en supplie, fait-elle, pardonnez-moi. Oui, oui… J’ai menti. Gilbert n’était pas mon amant, mais j’étais amoureuse de lui. La pensée qu’on allait le guillotiner… Oh ! mon Dieu, si vous saviez. Alors j’ai inventé cela pour tenter de le sauver.

Ma rogue s’accentue. Si je m’écoutais, je lui filerais une avoinée de première, à cette bonne veuve ! Vous vous rendez compte que depuis trois plombes d’horloge je fais le couillon à ses côtés, remuant tout Paris et sa banlieue, encourant des wagons de foudre du Vieux, tracassant un condamné à mort qui se recueille, manquant faire accoucher prématurément une valeureuse Française qui, pour être moyenne, n’en est pas moins à son dernier mois de gestation !

Et dire que, dans le Grand Palais illuminé, une brave fille qui ne me veut que du bien, soupire après moi en ce moment devant un Vérigoud mandarine ! Elle a mis des dessous à fleurs, des dessus à fruits et de l’argent de côté pour ses vieux jours, la chérie. Elle s’est lavé les chailles avec Colgate, les tifs avec Dop et le reste à l’eau parfumée. Et moi, pauvre poire, je suis là à donner la réplique à cette mythomane !

— Vous avez toujours votre maison de Montfort ? demandé-je.

— Oui, pourquoi.

— Je vais vous y déposer. Je ne tiens pas à prolonger cette plaisanterie davantage. Et si j’étais un peu plus mufle, c’est ici que je vous débarquerais, ou au Dépôt pour outrage à magistrat.

La nuit est consternée d’étoiles, comme se plaît à le déclamer Béru lorsqu’il est dans ses jours de gastro-entérite suraiguë. Nous devrions être en train de roucouler des trucs en prose, cette nana et moi, et au lieu de ça on est dans un pétard de tous les Zeus.

Les dents serrées, les mains serrées, le cœur serré, tout serré, je refais le chemin en sens inverse. Geneviève est blême, défaite (ce qui est dommage pour une femme aussi bien faite) et n’ose l’ouvrir.

De retour à Montfort, elle me désigne pourtant sa crèche d’un geste timide et articule péniblement : « C’est ici. »

Je la débarque.

— Entrez un instant, dit-elle, il faut que je vous parle.

Cette invitation me fait tartir. Quand une gonzesse roule sur la jante, je ne m’en ressens pas pour lui tenir le crachoir.

— Faites excuse, répondis-je, j’ai du travail sérieux qui m’attend à Paris.

Mentalement je calcule que, pour peu que ma môme soit patiente et que la route ne soit pas encombrée, j’arriverai à temps pour lui jouer l’acte 4 de Monte-là-dessus.

— Je comprends votre ressentiment, monsieur le commissaire, mais je vous supplie de m’écouter.

Il est dit que je boirai le calice jusqu’à la lie. Prenant une brusque décision, je m’extrais de ma charrue et la rejoins à la grille.

Elle possède une gentille propriété, la petite marchande de vannes. C’est pas du grand bidule, mais c’est pimpant, coquet. Le genre fermette rebecquetée, avec poutres apparentes et portes-fenêtres en veux-tu en voilà quatre ! Un seul étage, des bâtiments formant l’équerre, des murs de pierre grise, une pelouse et des buissons d’écrevisse (ils sont à feuillage rouge).

— Je n’ai pas les clés, balbutie ma compagne en fouillant son sac.

Si elle compte se faire trimbaler jusqu’à Pantruche, elle peut se l’arrondir au compas. Elle le pige à mon air mauvais.

— Il faut que j’aille chez le jardinier, lui les a.

— Eh bien, allez-y ! hurlé-je, excédé.

Elle s’éloigne en direction d’une maisonnette voisine où brille de la lumière. J’attends dans le silence ouaté de mon carrosse. Comme cette aventure est étrange ! Elle me troublerait moins si je ne pensais constamment à Messonier dans sa cellule et au matériel qu’on déballe du fourgon noir dans la cour de la prison. J’avise le sac à main de Geneviève à mes côtés. Un beau réticule en caïman travaillé main. Chez un poulet, les réflexes jouent sans qu’il puisse les contrôler. Du doigt j’actionne la fermeture (pour cause d’inventaire). C’est émouvant un sac à main. L’explorer, pour un homme, constitue une sorte de viol. Il me semble que si un jour j’épouse une bergère, je ne regarderai jamais ce que contient son sac à main.

À la pâle clarté qui tombe du tableau de bord j’examine le contenu de celui-ci : un trousseau de clés, un poudrier d’or, un tube de rouge, un portefeuille avec les papiers et de l’artiche, un bas de soie (comme Talleyrand) de secours, une épingle de sûreté (nationale) et un portemine à tête chercheuse. Je crois que c’est tout et m’apprête à remiser ce petit matériel lorsque, dans une petite pochette latérale du sac, je sens crisser du papier.

Je glisse deux doigts en pince de homard par l’ouverture et je ramène trois petits sachets blancs. J’ai trop l’expérience de ces trucs-là pour ne pas piger du premier coup. Par acquit de conscience — car il ne faut rien laisser au hasard, celui-ci ne méritant pas qu’on lui laisse quoi que ce soit — j’en ouvre un et flaire son contenu. Pas d’erreur : c’est de la blanche. Mme Coras se bourre le pif, c’est ce qui lui donne ce regard étrange, et c’est pourquoi elle se tamponne fréquemment les narines de son mouchoir roulé. Je croyais que c’était l’émotion, en réalité il s’agissait de la drogue. La drogue ! La réflexion du gardien de Messonier me revient en tête. Le condamné à mort se salait les poils du nez avant son arrestation. Vous ne trouvez pas cette coïncidence étrange, vous autres ? Non, parce que vous avez du duvet de canard à la place du cerveau, mais pour un flic bien équilibré elle n’est pas normale.

J’entends le bruit claquant des hauts talons de Geneviève sur le chemin. Précipitamment je glisse les trois sachets de chnouf dans ma poche, je remets les autres objets en place et referme le volet du sac.

Lorsque Geneviève rouvre la portière, elle me trouve dans la position abandonnée d’un type maussade qui en a marre d’attendre.

Elle biche la manette de son sac et me dit qu’elle a les clés. Je la suis sans parler. La maison n’a pas été occupée depuis plusieurs mois et elle sent le bois humide. Une couche de poussière recouvre les meubles. Nous pénétrons dans une grande pièce, toute en longueur, au fond de laquelle se dresse une vaste cheminée à l’âtre gigantesque. En face il y a un grand canapé recouvert de peaux d’ours blancs.

— Nous allons faire une flambée ! décrète mon hôtesse.

C’est tout préparé dans la cheminée. Un vrai bûcher comme si on espérait la visite de Jeanne d’Arc. Il suffit de craquer une suédoise et ça crépite. Le bois fume un chouïa because l’humidité mais il prend tout de même et bientôt de hautes flammes se mettent à danser sous mes yeux fascinés.

— Asseyez-vous, monsieur le Commissaire.

Les meubles anciens brillent à la lueur du feu de bois.

— C’est charmant, chez vous, ne puis-je m’empêcher de murmurer.

L’incohérence de l’instant me frappe. Si je récapitule les dernières heures que je viens de vivre, je dois convenir qu’elles sont effarantes. Une dame me tombe sur le paletot en me disant : l’homme qui a tué mon mari est innocent, j’étais dans ses bras à l’heure du meurtre ! Sauvez-le ! Je me remue le panier pour lui sauver la mise. Je me fais engueuler par mon chef, je vais voir l’intéressé à l’ombre de la guillotine en fleurs, bref, je me livre à une ultime contre-enquête, talonné par le temps. Je fais ça à l’arraché, la lutte pour la vie et contre la montre ! Et puis, brusquement, mise au pied du mur, la dame se déboutonne (ce qui est une façon de parler). Elle susurre : « J’ai menti, j’ai voulu le sauver parce que je m’en ressentais pour ses beaux yeux, mais je ne suis pas de taille à vous faire prendre les helvétiques pour des gens ternes, alors excusez-moi docteur et enlevez votre main de la partie malade ! »

Tout ça n’est pas Franco, comme disent les enfants de puritains. C’est le chaud et froid ! Moi j’aime pas ça. Mais alors pas du tout. Voyez la trajectoire, et convenez qu’elle ressemble à celle d’une fusée ricaine. Premier temps : je me dis que la dame me raconte des salades. Deuxième temps : je crois à ces salades. Troisième temps : je ne crois plus à ces salades. Quatrième temps, des détails troublants, telle la découverte de ces sachets de coco, me font croire que ces salades ne sont peut-être pas que des salades.

— Vous prenez quelque chose ?

Elle roule dans ma direction une cave à liqueur lestée de tout ce qu’il faut pour rire et s’amuser en société. Je montre un flacon de Scotch.

C’est du Haig’s spécial à étoiles.

— Versez-moi un doigt de ce machin-là.

Elle obéit. Elle a posé la veste de son ensemble. Son chemisier sans manches me découvre des bras parfaits et rend sa poitrine plus évidente.

— Vous vouliez ENCORE me parler ! dis-je, pour revenir à nos moutons.

Le encore sur lequel j’ai mis trois kilos cinq cents d’accent tonique la fait tiquer.

— Je voulais vous dire la vérité, oui, monsieur le Commissaire.

— La vraie ou l’autre ?

— Ne m’accablez pas, je suis assez déprimée comme cela.

Pauvre chérie, va ! Elle croise ses jambes sans gaffer que sa jupe a remonté de vingt centimètres. Ce que j’aperçois me fait penser à tout ce que vous voudrez sauf à mon tiers provisionnel.

— En effet, je n’étais pas la maîtresse de Gilbert Messonier, mais j’avais beaucoup d’amitié pour lui. Il me faisait une cour discrète à laquelle j’étais sensible. Je lui disais que j’avais une mentalité un peu spéciale, et que jamais je ne tromperais mon mari. Je ne suis pas une de ces petites coucheuses à la Feydeau qui sortent de chez le coiffeur pour aller dans des studios de Courcelles. Je lui affirmais par contre que si j’étais libre un jour, j’accepterais avec joie de refaire ma vie avec lui…

Compris ! Madame pousse-au-crime, quoi ! J’entends le blabla monté sur inflexions savonnées. « Si un jour les circonstances voulaient que je me retrouve seule, alors, peut-être ! »

Et le fils du général Messonier a pensé que ce jour de gloire pouvait bien arriver.

— Bref, tranché-je, il a tué votre mari par amour pour vous, pour vous libérer de lui ?

Elle hoche la tête.

— Oui, commissaire. J’en suis persuadée. Et il a volé pour donner le change !

« Il pensait faire croire à la police que le meurtrier était un trafiquant de pierres. »

— En ce cas, dis-je, il a été bigrement truffe de les conserver.

— Il ne se doutait pas que l’enquête s’orienterait aussi rapidement sur sa personne. Je sais qu’il a tué pour moi. J’ai ma part de responsabilité dans ce drame, monsieur le commissaire, cette idée s’est développée dans mon esprit. Alors j’ai voulu sauver sa tête et je me suis dit qu’en témoignant en sa faveur de cette manière, j’allais peut-être créer un élément susceptible d’empêcher l’exécution.

Je l’observe. Elle parle les yeux baissés, avec application et humilité. Son index décrit des arabesques sur la peau d’ours étalée entre nous. Dit-elle la vérité ou un second mensinge ?

— Vous l’aimez ? demandé-je.

Et, en moi-même je décide « si elle te répond que oui elle ment ».

Geneviève hoche la tête.

— Non, murmure-t-elle. J’ai agi poussée par le remords. Encore une fois je me sens coupable. Jamais je n’aurais dû faire miroiter les promesses d’un futur possible à ce garçon. Gilbert est un imaginatif, un utopiste.

Il ne l’est plus pour bien longtemps. Cela, je ne le dis pas, mais je le pense intensément ; et j’évoque l’image aperçue par le judas de la cellule : ce profil émouvant, cette nuque délicate…

Un silence mou, à peine troublé par le crépitement des bûches, m’envahit. Je consulte mon subconscient, car c’est un personnage en qui j’ai toute confiance et qui assure le dépannage lorsque — comme c’est le cas — ma gamberge fait du no man’s land. Mais il répond absent à l’appel. Lui non plus ne sait pas comment réagir. Car si je passe les salades de madame au mixer je ne peux en retirer qu’une chose : Messonier n’est peut-être pas coupable !