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Oui.
– Voici les tiennes, que Laroche m’a remises tout à l’heure. »
Elle lui présenta une petite boîte noire qui semblait un écrin à bijoux.
– 472 –
Il l’ouvrit avec indifférence
et aperçut la croix de la Légion
d’honneur.
Il devint un peu pâle, puis
il sourit et déclara :
« J’aurais préféré dix
millions. Cela ne lui coûte pas
cher. »
Elle s’attendait à un
transport de joie, et elle fut
irritée de cette froideur.
« Tu es vraiment incroyable. Rien ne te satisfait maintenant. »
Il répondit tranquillement :
« Cet homme ne fait que payer sa dette. Et il me doit encore beaucoup. »
Elle fut étonnée de son accent, et reprit :
« C’est pourtant beau, à ton âge. »
Il déclara :
« Tout est relatif. Je pourrais avoir davantage, aujourd’hui. »
– 473 –
Il avait pris l’écrin, il le posa tout ouvert sur la cheminée, considéra quelques instants l’étoile brillante couchée dedans.
Puis il le referma, et se mit au lit en haussant les épaules.
L’Officiel du 1er janvier annonça, en effet, la nomination de M. Prosper-Georges Du Roy, publiciste, au grade de chevalier de la Légion d’honneur, pour services exceptionnels. Le nom était écrit en deux mots, ce qui fit à Georges plus de plaisir que la décoration même.
Une heure après avoir lu cette nouvelle devenue publique, il reçut un mot de la Patronne qui le suppliait de venir dîner chez elle, le soir même, avec sa femme, pour fêter cette distinction. Il hésita quelques minutes, puis jetant au feu ce billet écrit en termes ambigus, il dit à Madeleine : Nous dînerons ce soir chez les Walter. »
Elle fut étonnée.
Tiens ! mais je croyais que tu ne voulais plus y mettre les pieds ? »
Il murmura seulement :
« J’ai changé d’avis. »
Quand ils arrivèrent, la Patronne était seule dans le petit boudoir Louis XVI adopté pour ses réceptions intimes. Vêtue de noir, elle avait poudré ses cheveux, ce qui la rendait charmante.
Elle avait l’air, de loin, d’une vieille, de près, d’une jeune, et, quand on la regardait bien, d’un joli piège pour les yeux.
« Vous êtes en deuil ? » demanda Madeleine.
– 474 –
Elle répondit tristement :
« Oui et non. Je n’ai perdu personne des miens. Mais je suis arrivée à l’âge où on fait le deuil de sa vie. Je le porte aujourd’hui pour l’inaugurer. Désormais je le porterai dans mon cœur. »
Du Roy pensa : « Ça tiendra-t-il, cette résolution là ? »
Le dîner fut un peu morne. Seule Suzanne bavardait sans cesse. Rose semblait préoccupée. On félicita beaucoup le journaliste.
Le soir on s’en alla, errant et causant, par les salons et par la serre. Comme Du Roy marchait derrière, avec la Patronne, elle le retint par le bras.
« Écoutez, dit-elle à voix basse… Je ne vous parlerai plus de rien, jamais… Mais venez me voir, Georges. Vous voyez que je ne vous tutoie plus. Il m’est impossible de vivre sans vous, impossible. C’est une torture inimaginable. Je vous sens, je vous garde dans mes yeux, dans mon cœur et dans ma chair tout le jour et toute la nuit. C’est comme si vous m’aviez fait boire un poison qui me rongerait en dedans. Je ne puis pas. Non. Je ne puis pas. Je veux bien n’être pour vous qu’une vieille femme. Je me suis mise en cheveux blancs pour vous le montrer ; mais venez ici, venez de temps en temps, en ami. »
Elle lui avait pris la main et elle la serrait, la broyait, enfonçant ses ongles dans sa chair.
Il répondit avec calme :
– 475 –
C’est entendu. Il est inutile de reparler de ça. Vous voyez bien que je suis venu aujourd’hui, tout de suite, sur votre lettre. »
Walter, qui allait devant avec ses deux filles et Madeleine, attendit Du Roy auprès du Jésus marchant sur les flots.
« Figurez-vous, dit-il en riant, que j’ai trouvé ma femme hier à genoux devant ce tableau comme dans une chapelle. Elle faisait là ses dévotions. Ce que j’ai ri ! »
Mme Walter répliqua d’une voix ferme, d’une voix où vibrait une exaltation secrète :