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La chambre semblait ravagée par une lutte. Une robe coiffait une chaise, une culotte d’homme restait à cheval sur le
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bras d’un fauteuil. Quatre bottines, deux grandes et deux petites, traînaient au pied du lit, tombées sur le flanc.
C’était une chambre de maison garnie, aux meubles communs, où flottait cette odeur odieuse et fade des appartements d’hôtel, odeur émanée des rideaux, des matelas, des murs, des sièges, odeur de toutes les personnes qui avaient couché ou vécu, un jour ou six mois, dans ce logis public, et laissé là un peu de leur senteur, de cette senteur humaine qui, s’ajoutant à celle des devanciers, formait à la longue une puanteur confuse, douce et intolérable, la même dans tous ces lieux.
Une assiette à gâteaux, une bouteille de chartreuse et deux petits verres encore à moitié pleins encombraient la cheminée.
Le sujet de la pendule de bronze était caché par un grand chapeau d’homme.
Le commissaire se retourna vivement, et regardant Madeleine dans les yeux :
« Vous êtes bien Mme Claire-Madeleine Du Roy, épouse légitime de M. Prosper-Georges Du Roy, publiciste, ici présent ? »
Elle articula, d’une voix étranglée :
« Oui, monsieur.
– Que faites-vous ici ? »
Elle ne répondit pas.
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Le magistrat reprit : « Que faites-vous ici ? Je vous trouve hors de chez vous, presque dévêtue dans un appartement meublé. Qu’êtes-vous venue y faire ? »
Il attendit quelques instants. Puis, comme elle gardait toujours le silence :
– Du moment que vous ne voulez pas l’avouer, madame, je vais être contraint de le constater. »
On voyait dans le lit la forme d’un corps caché sous le drap.
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Le commissaire s’approcha et appela :
« Monsieur ? »
L’homme caché ne remua pas. Il paraissait tourner le dos, la tête enfoncée sous un oreiller.
L’officier toucha ce qui semblait être l’épaule, et répéta :
« Monsieur, ne me forcez pas, je vous prie, à des actes. »
Mais le corps voilé demeurait aussi immobile que s’il eût été mort.
Du Roy, qui s’était avancé vivement, saisit la couverture, la tira et, arrachant l’oreiller, découvrit la figure livide de M. Laroche-Mathieu. Il se pencha vers lui et, frémissant de l’envie de le saisir au cou pour l’étrangler, il lui dit, les dents serrées :
« Ayez donc au moins le courage de votre infamie. »
Le magistrat demanda encore :
« Qui êtes-vous ? » L’amant, éperdu, ne répondant pas, il reprit :
« Je suis commissaire de police et je vous somme de me dire votre nom ! »
Georges, qu’une colère bestiale faisait trembler, cria :
« Mais répondez donc, lâche, ou je vais vous nommer, moi. »
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Alors l’homme couché balbutia :
« Monsieur le commissaire, vous ne devez pas me laisser insulter par cet individu. Est-ce à vous ou à lui que j’ai affaire ?
Est-ce à vous ou à lui que je dois répondre ? »
Il paraissait n’avoir plus de salive dans la bouche.
L’officier répondit :
« C’est à moi, monsieur, à moi seul. Je vous demande qui vous êtes ? »
L’autre se tut. Il tenait le drap serré contre son cou et roulait des yeux effarés. Ses petites moustaches retroussées semblaient toutes noires sur sa figure blême.
Le commissaire reprit :
« Vous ne voulez pas répondre ? Alors je serai forcé de vous arrêter. Dans tous les cas, levez-vous. Je vous interrogerai lorsque vous serez vêtu. »
Le corps s’agita dans le lit, et la tête murmura :
« Mais je ne peux pas devant vous. »
Le magistrat demanda :
« Pourquoi ça ? »
L’autre balbutia :
C’est que je suis… je suis… je suis tout nu. »
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