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Duroy reprit :

« J’ai cherché partout, je n’ai rien découvert. Mais j’ai quelque chose en vue en ce moment, on m’offre d’entrer comme écuyer au manège Pellerin. Là, j’aurai, au bas mot, trois mille francs. »

Forestier s’arrêta net !

« Ne fais pas ça, c’est stupide, quand tu devrais gagner dix mille francs. Tu te fermes l’avenir du coup. Dans ton bureau, au moins, tu es caché, personne ne te connaît, tu peux en sortir, si tu es fort, et faire ton chemin. Mais une fois écuyer, c’est fini.

C’est comme si tu étais maître d’hôtel dans une maison où tout Paris va dîner. Quand tu auras donné des leçons d’équitation aux hommes du monde ou à leurs fils, ils ne pourront plus s’accoutumer à te considérer comme leur égal. »

Il se tut, réfléchit quelques secondes, puis demanda :

« Es-tu bachelier ?

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– Non. J’ai échoué deux fois.

– Ça ne fait rien, du moment que tu as poussé tes études jusqu’au bout. Si on parle de Cicéron ou de Tibère, tu sais à peu près ce que c’est ?

– Oui, à peu près.

– Bon, personne n’en sait davantage, à l’exception d’une vingtaine d’imbéciles qui ne sont pas fichus de se tirer d’affaire.

Ça n’est pas difficile de passer pour fort, va ; le tout est de ne pas se faire pincer en flagrant délit d’ignorance. On manœuvre, on esquive la difficulté, on tourne l’obstacle, et on colle les autres au moyen d’un dictionnaire. Tous les hommes sont bêtes comme des oies et ignorants comme des carpes. »

Il parlait en gaillard tranquille qui connaît la vie, et il souriait en regardant passer la foule. Mais tout d’un coup il se mit à tousser, et s’arrêta pour laisser finir la quinte, puis, d’un ton découragé :

« N’est-ce pas assommant de ne pouvoir se débarrasser de cette bronchite ? Et nous sommes en plein été. Oh ! cet hiver, j’irai me guérir à Menton. Tant pis, ma foi, la santé avant tout. »

Ils arrivèrent au boulevard Poissonnière, devant une grande porte vitrée, derrière laquelle un journal ouvert était collé sur les deux faces. Trois personnes arrêtées le lisaient.

Au-dessus de la porte s’étalait, comme un appel, en grandes lettres de feu dessinées par des flammes de gaz : La Vie Française. Et les promeneurs passant brusquement dans la clarté que jetaient ces trois mots éclatants apparaissaient tout à coup en pleine lumière, visibles, clairs et nets comme au milieu du jour, puis rentraient aussitôt dans l’ombre.

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Forestier

poussa

cette porte : « Entre »,

dit-il. Duroy entra, monta

un escalier luxueux et

sale que toute la rue

voyait, parvint dans une

antichambre, dont les

deux garçons de bureau

saluèrent son camarade,

puis s’arrêta dans une

sorte de salon d’attente,

poussiéreux et fripé,

tendu de faux velours

d’un vert pisseux, criblé

de taches et rongé par

endroits, comme si des

souris l’eussent grignoté.

« Assieds-toi, dit

Forestier, je reviens dans

cinq minutes. »

Et il disparut par une des trois sorties qui donnaient dans ce cabinet.

Une odeur étrange, particulière, inexprimable, l’odeur des salles de rédaction, flottait dans ce lieu. Duroy demeurait immobile, un peu intimidé, surpris surtout. De temps en temps des hommes passaient devant lui, en courant, entrés par une porte et partis par l’autre avant qu’il eût le temps de les regarder.

C’étaient tantôt des jeunes gens, très jeunes, l’air affairé, et tenant à la main une feuille de papier qui palpitait au vent de

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leur course ; tantôt des ouvriers compositeurs, dont la blouse de toile tachée d’encre laissait voir un col de chemise bien blanc et un pantalon de drap pareil à celui des gens du monde ; et ils portaient avec précaution des bandes de papier imprimé, des épreuves fraîches, tout humides. Quelquefois un petit monsieur entrait, vêtu avec une élégance trop apparente, la taille trop serrée dans la redingote, la jambe trop moulée sous l’étoffe, le pied étreint dans un soulier trop pointu, quelque reporter mondain apportant les échos de la soirée.

D’autres encore arrivaient, graves, importants, coiffés de hauts chapeaux à bords plats, comme si cette forme les eût distingués du reste des hommes.

Forestier reparut tenant par le bras un grand garçon maigre, de trente à quarante ans, en habit noir et en cravate blanche, très brun, la moustache roulée en pointes aiguës, et qui avait l’air insolent et content de lui.

Forestier lui dit :

« Adieu, cher maître. »

L’autre lui serra la main :