37407.fb2 Bel ami - ?dition illustr?e - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 41

Bel ami - ?dition illustr?e - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 41

– Parce que M. Laroche-Mathieu, qui est mon voisin, me laisse à ma porte chaque fois que je dîne ici.

– Quand vous verrai-je ?

– Venez déjeuner avec moi, demain. »

Et ils se séparèrent sans rien dire de plus.

Duroy ne resta pas tard, trouvant monotone la soirée.

Comme il descendait l’escalier, il rattrapa Norbert de Varenne qui venait aussi de partir. Le vieux poète lui prit le bras. N’ayant plus de rivalité à redouter dans le journal, leur collaboration étant essentiellement différente, il témoignait maintenant au jeune homme une bienveillance d’aïeul.

« Eh bien, vous allez me reconduire un bout de chemin ? »

dit-il.

Duroy répondit : « Avec joie, cher maître. »

– 188 –

Et ils se mirent en route, en descendant le boulevard Malesherbes, à petits pas.

Paris était presque désert cette nuit-là, une nuit froide, une de ces nuits qu’on dirait plus vastes que les autres, où les étoiles sont plus hautes, où l’air semble apporter dans ses souffles glacés quelque chose venu de plus loin que les astres.

Les deux hommes ne parlèrent point dans les premiers moments. Puis Duroy, pour dire quelque chose, prononça :

« Ce M. Laroche-Mathieu a l’air fort intelligent et fort instruit. »

Le vieux poète murmura : « Vous trouvez ? »

Le jeune homme, surpris, hésitait ; « Mais oui ; il passe d’ailleurs pour un des hommes les plus capables de la Chambre.

– C’est possible. Dans le royaume des aveugles les borgnes sont rois. Tous ces gens-là, voyez-vous, sont des médiocres, parce qu’ils ont l’esprit entre deux murs, – l’argent et la politique. – Ce sont des cuistres, mon cher, avec qui il est impossible de parler de rien, de rien de ce que nous aimons.

Leur intelligence est à fond de vase, ou plutôt à fond de dépotoir, comme la Seine à Asnières.

« Ah ! c’est qu’il est difficile de trouver un homme qui ait de l’espace dans la pensée, qui vous donne la sensation de ces grandes haleines du large qu’on respire sur les côtes de la mer.

J’en ai connu quelques-uns, ils sont morts. »

Norbert de Varenne parlait d’une voix claire, mais retenue, qui aurait sonné dans le silence de la nuit s’il l’avait laissée

– 189 –

s’échapper. Il semblait surexcité et triste, d’une de ces tristesses qui tombent parfois sur les âmes et les rendent vibrantes comme la terre sous la gelée.

Il reprit :

« Qu’importe, d’ailleurs, un peu plus ou un peu moins de génie, puisque tout doit finir ! »

Et il se tut. Duroy, qui se sentait le cœur gai, ce soir-là, dit, en souriant :

« Vous avez du noir, aujourd’hui, cher maître. »

Le poète répondit.

« J’en ai toujours, mon enfant, et vous en aurez autant que moi dans quelques années. La vie est une côte. Tant qu’on monte, on regarde le sommet, et on se sent heureux ; mais, lorsqu’on arrive en haut, on aperçoit tout d’un coup la descente, et la fin qui est la mort. Ça va lentement quand on monte, mais ça va vite quand on descend. À votre âge, on est joyeux. On espère tant de choses, qui n’arrivent jamais d’ailleurs. Au mien, on n’attend plus rien… que la mort. »

Duroy se mit à rire :

« Bigre, vous me donnez froid dans le dos. »

Norbert de Varenne reprit :

– 190 –

« Non, vous ne me comprenez pas aujourd’hui, mais vous vous rappellerez plus tard ce que je vous dis en ce moment. »

« Il arrive un jour, voyez-vous, et il arrive de bonne heure pour beaucoup, où c’est fini de rire, comme on dit, parce que derrière tout ce qu’on regarde, c’est la mort qu’on aperçoit. »

« Oh ! vous ne comprenez même pas ce mot-là, vous, la mort. À votre âge, ça ne signifie rien. Au mien, il est terrible. »

« Oui, on le comprend tout d’un coup, on ne sait pas pourquoi ni à propos de quoi, et alors tout change d’aspect, dans la vie. Moi, depuis quinze ans, je la sens qui me travaille comme si je portais en moi une bête rongeuse. Je l’ai sentie peu à peu, mois par mois, heure par heure, me dégrader ainsi qu’une maison qui s’écroule. Elle m’a défiguré si complètement que je ne me reconnais pas. Je n’ai plus rien de moi, de moi l’homme radieux, frais et fort que j’étais à trente ans. Je l’ai vue teindre en blanc mes cheveux noirs, et avec quelle lenteur

– 191 –

savante et méchante ! Elle m’a pris ma peau ferme, mes muscles, mes dents, tout mon corps de jadis, ne me laissant qu’une âme désespérée qu’elle enlèvera bientôt aussi. »

« Oui, elle m’a émietté, la gueuse, elle a accompli doucement et terriblement la longue destruction de mon être, seconde par seconde. Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. Chaque pas m’approche d’elle, chaque mouvement, chaque souffle hâte son odieuse besogne. Respirer, dormir, boire, manger, travailler, rêver, tout ce que nous faisons, c’est mourir. Vivre enfin, c’est mourir ! »

« Oh ! vous saurez cela ! Si vous réfléchissiez seulement un quart d’heure, vous la verriez. »

« Qu’attendez-vous ? De l’amour ? Encore quelques baisers, et vous serez impuissant. »

« Et puis, après ? De l’argent ? Pour quoi faire ? Pour payer des femmes ? Joli bonheur ? Pour manger beaucoup, devenir obèse et crier des nuits entières sous les morsures de la goutte ? »

« Et puis encore ? De la gloire ? À quoi cela sert-il quand on ne peut plus la cueillir sous forme d’amour ? »

« Et puis, après ? Toujours la mort pour finir. »

Moi, maintenant, je la vois de si près que j’ai souvent envie d’étendre les bras pour la repousser. Elle couvre la terre et emplit l’espace. Je la découvre partout. Les petites bêtes écrasées sur les routes, les feuilles qui tombent, le poil blanc aperçu dans la barbe d’un ami me ravagent le cœur et me crient : « La voilà ! »

– 192 –

« Elle me gâte tout ce que je fais, tout ce que je vois, ce que je mange et ce que je bois, tout ce que j’aime, les clairs de lune, les levers de soleil, la grande mer, les belles rivières, et l’air des soirs d’été, si doux à respirer ! »

Il allait doucement, un peu essoufflé, rêvant tout haut, oubliant presque qu’on l’écoutait.