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On n’avait point encore fini. Le vieux Duroy fut mécontent.
Alors elle se leva et alla s’asseoir sur une chaise, devant la porte, sur la route, en attendant que son beau-père et son mari eussent achevé leur café et leurs petits verres.
Georges la rejoignit bientôt.
« Veux-tu dégringoler jusqu’à la Seine ? » dit-il.
Elle accepta avec joie :
« Oh ! oui. Allons. »
Ils descendirent la montagne, louèrent un bateau à Croisset, et ils passèrent le reste de l’après-midi le long d’une île, sous les
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saules, somnolents tous deux, dans la chaleur douce du printemps, et bercés par les petites vagues du fleuve.
Puis ils remontèrent à la nuit tombante.
Le repas du soir, à la lueur d’une chandelle, fut plus pénible encore pour Madeleine que celui du matin. Le père Duroy, qui avait une demi-soûlerie, ne parlait plus. La mère gardait sa mine revêche.
La pauvre lumière jetait sur les murs gris les ombres des têtes avec des nez énormes et des gestes démesurés. On voyait parfois une main géante lever une fourchette pareille à une fourche vers une bouche qui s’ouvrait comme une gueule de monstre, quand quelqu’un, se tournant un peu, présentait son profil à la flamme jaune et tremblotante.
Dès que le dîner fut achevé, Madeleine entraîna son mari dehors pour ne point demeurer dans cette salle sombre où flottait toujours une odeur âcre de vieilles pipes et de boissons répandues.
Quand ils furent sortis :
« Tu t’ennuies déjà », dit-il.
Elle voulut protester. Il l’arrêta :
« Non. Je l’ai bien vu. Si tu le désires, nous partirons demain. »
Elle murmura :
« Oui. Je veux bien. »
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Ils allaient devant eux doucement. C’était une nuit tiède dont l’ombre caressante et profonde semblait pleine de bruits légers, de frôlements, de souffles. Ils étaient entrés dans une allée étroite, sous des arbres très hauts, entre deux taillis d’un noir impénétrable.
Elle demanda :
« Où sommes-nous ? »
Il répondit :
« Dans la forêt.
– Elle est grande ?
– Très grande, une des plus grandes de la France. »
Une senteur de terre, d’arbres, de mousse, ce parfum frais et vieux des bois touffus, fait de la sève des bourgeons et de l’herbe morte et moisie des fourrés, semblait dormir dans cette allée.
En levant la tête, Madeleine apercevait des étoiles entre les sommets des arbres, et bien qu’aucune brise ne remuât les branches, elle sentait autour d’elle la vague palpitation de cet océan de feuilles.
Un frisson singulier lui passa dans l’âme et lui courut sur la peau ; une angoisse confuse lui serra le cœur. Pourquoi ? Elle ne comprenait pas. Mais il lui semblait qu’elle était perdue, noyée, entourée de périls, abandonnée de tous, seule, seule au monde, sous cette voûte vivante qui frémissait là-haut.
Elle murmura :
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« J’ai un peu peur. Je voudrais retourner.
– Eh bien, revenons.
– Et… nous repartirons pour Paris demain ?
– Oui, demain..
– Demain matin ?
– Demain matin, si tu veux. »
Ils rentrèrent. Les vieux étaient couchés. Elle dormit mal, réveillée sans cesse par tous les bruits nouveaux pour elle de la campagne, les cris des chouettes, le grognement d’un porc enfermé dans une hutte contre le mur, et le chant d’un coq qui claironna dès minuit.
Elle fut levée et prête à partir aux premières lueurs de l’aurore.
Quand Georges annonça aux parents qu’il allait s’en retourner, ils demeurèrent saisis tous deux, puis ils comprirent d’où venait cette volonté.
Le père demanda simplement :
« J ‘te r’verrons-ti bientôt ?
– Mais oui. Dans le courant de l’été.
– Allons, tant mieux. »
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La vieille grogna :
« J’ te souhaite de n’ point regretter c’que t’as fait. »
Il leur laissa deux cents francs en cadeau, pour calmer leur mécontentement ; et le fiacre, qu’un gamin était allé chercher, ayant paru vers dix heures, les nouveaux époux embrassèrent les vieux paysans et repartirent.