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« Voilà, dit-il, je t’avais prévenue. Je n’aurais pas dû te faire connaître M. et Mme du Roy de Cantel, père et mère. »
Elle se mit à rire aussi, et répliqua :
« Je suis enchantée maintenant. Ce sont de braves gens que je commence à aimer beaucoup. Je leur enverrai des gâteries de Paris. »
Puis elle murmura :
« Du Roy de Cantel… Tu verras que personne ne s’étonnera de nos lettres de faire-part. Nous raconterons que nous avons passé huit jours dans la propriété de tes parents. »
Et, se rapprochant de lui, elle effleura d’un baiser le bout de sa moustache : « Bonjour, Geo ! »
Il répondit : « Bonjour, Made », en passant une main derrière sa taille.
On apercevait au loin, dans le fond de la vallée, le grand fleuve déroulé comme un ruban d’argent sous le soleil du matin,
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et toutes les cheminées des usines qui soufflaient dans le ciel leurs nuages de charbon, et tous les clochers pointus dressés sur la vieille cité.
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– II –
Les Du Roy étaient rentrés à Paris depuis deux jours et le journaliste avait repris son ancienne besogne en attendant qu’il quittât le service des échos pour s’emparer définitivement des fonctions de Forestier et se consacrer tout à fait à la politique.
Il remontait chez lui, ce soir-là, au logis de son prédécesseur, le cœur joyeux, pour dîner, avec le désir éveillé d’embrasser tout à l’heure sa femme dont il subissait vivement le charme physique et l’insensible domination. En passant devant un fleuriste, au bas de la rue Notre-Dame-de-Lorette, il eut l’idée d’acheter un bouquet pour Madeleine et il prit une grosse botte de roses à peine ouvertes, un paquet de boutons parfumés.
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À chaque étage de son nouvel escalier il se regardait complaisamment dans cette glace dont la vue lui rappelait sans cesse sa première entrée dans la maison.
Il sonna, ayant oublié sa clef, et le même domestique, qu’il avait gardé aussi sur le conseil de sa femme, vint ouvrir.
Georges demanda :
« Madame est rentrée ?
– Oui, monsieur. »
Mais en traversant la salle à manger il demeura fort surpris d’apercevoir trois couverts ; et, la portière du salon étant soulevée, il vit Madeleine qui disposait dans un vase de la cheminée une botte de roses toute pareille à la sienne. Il fut contrarié, mécontent, comme si on lui eût volé son idée, son attention et tout le plaisir qu’il en attendait.
Il demanda en entrant :
« Tu as donc invité quelqu’un ? »
Elle répondit sans se retourner, en continuant à arranger ses fleurs : « Oui et non. C’est mon vieil ami le comte de Vaudrec qui a l’habitude de dîner ici tous les lundis, et qui vient comme autrefois. »
Georges murmura :
« Ah ! très bien. »
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Il restait debout derrière elle, son bouquet à la main, avec une envie de le cacher, de le jeter. Il dit cependant :
« Tiens, je t’ai apporté des roses ! »
Elle se retourna brusquement, toute souriante, criant :
« Ah ! que tu es gentil d’avoir pensé à ça. »
Et elle lui tendit ses bras et ses lèvres avec un élan de plaisir si vrai qu’il se sentit consolé.
Elle prit les fleurs, les respira, et, avec une vivacité d’enfant ravie, les plaça dans le vase resté vide en face du premier. Puis elle murmura en regardant l’effet :
« Que je suis contente ! Voilà ma cheminée garnie maintenant. »
Elle ajouta, presque aussitôt, d’un air convaincu :
« Tu sais, il est charmant, Vaudrec, tu seras tout de suite intime avec lui. »
Un coup de timbre annonça le comte. Il entra, tranquille, très à l’aise, comme chez lui. Après avoir baisé galamment les doigts de la jeune femme il se tourna vers le mari et lui tendit la main avec cordialité en demandant :
« Ça va bien, mon cher Du Roy ? »
Il n’avait plus son air roide, son air gourmé de jadis, mais un air affable, révélant bien que la situation n’était plus la même. Le journaliste, surpris, tâcha de se montrer gentil pour
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répondre à ces avances. On eût cru, après cinq minutes, qu’ils se connaissaient et s’adoraient depuis dix ans.
Alors Madeleine, dont le visage était radieux, leur dit :
« Je vous laisse ensemble. J’ai besoin de jeter un coup d’œil à ma cuisine. » Et elle se sauva, suivie par le regard des deux hommes.
Quand elle revint, elle les trouva causant théâtre, à propos d’une pièce nouvelle, et si complètement du même avis qu’une sorte d’amitié rapide s’éveillait dans leurs yeux à la découverte de cette absolue parité d’idées.
Le dîner fut charmant, tout intime et cordial ; et le comte demeura fort tard dans la soirée, tant il se sentait bien dans cette maison, dans ce joli nouveau ménage.
Dès qu’il fut parti, Madeleine dit à son mari :
« N’est-ce pas qu’il est parfait ? Il gagne du tout au tout à être connu. En voilà un bon ami, sûr, dévoué, fidèle. Ah ! sans lui… »