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Mais il ne lâchait pas son idée.
« Voyons, ma petite Made, sois bien franche, avoue-le ? Tu l’as fait cocu, dis ? Avoue que tu l’as fait cocu ? »
Elle se taisait, choquée comme toutes les femmes le sont par ce mot.
Il reprit, obstiné :
« Sacristi, si quelqu’un en avait la tête, c’est bien lui, par exemple. Oh ! oui, oh ! oui. C’est ça qui m’amuserait de savoir si Forestier était cocu. Hein ! quelle bonne binette de jobard ? »
Il sentit qu’elle souriait à quelque souvenir peut-être, et il insista :
« Voyons, dis-le. Qu’est-ce que ça fait ? Ce serait bien drôle, au contraire, de m’avouer que tu l’as trompé, de m’avouer ça, à moi. »
Il frémissait, en effet, de l’espoir et de l’envie que Charles, l’odieux Charles, le mort détesté, le mort exécré, eût porté ce ridicule honteux. Et pourtant… pourtant une autre émotion, plus confuse, aiguillonnait son désir de savoir.
Il répétait :
« Made, ma petite Made, je t’en prie, dis-le. En voilà un qui ne l’aurait pas volé. Tu aurais eu joliment tort de ne pas lui faire porter ça. Voyons, Made, avoue. »
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Elle trouvait plaisante, maintenant, sans doute, cette insistance, car elle riait, par petits rires brefs, saccadés.
Il avait mis ses lèvres tout près de l’oreille de sa femme :
« Voyons… voyons… avoue-le. »
Elle s’éloigna d’un mouvement sec et déclara brusquement :
« Mais tu es stupide. Est-ce qu’on répond à des questions pareilles ? »
Elle avait dit cela d’un ton si singulier qu’un frisson de froid courut dans les veines de son mari et il demeura interdit, effaré, un peu essoufflé, comme s’il avait reçu une commotion morale.
Le fiacre maintenant longeait le lac, où le ciel semblait avoir égrené ses étoiles. Deux cygnes vagues nageaient très lentement, à peine visibles dans l’ombre.
Georges cria au cocher :
« Retournons, « Et la voiture s’en revint, croisant les autres, qui allaient au pas, et dont les grosses lanternes brillaient comme des yeux dans la nuit du Bois.
Comme elle avait dit cela d’une étrange façon ! Du Roy se demandait : « Est-ce un aveu ? » Et cette presque certitude qu’elle avait trompé son premier mari l’affolait de colère à présent. Il avait envie de la battre, de l’étrangler, de lui arracher les cheveux !
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Oh ! si elle lui eût répondu : « Mais, mon chéri, si j’avais dû le tromper, c’est avec toi que je l’aurais fait. » Comme il l’aurait embrassée, étreinte, adorée !
Il demeurait immobile, les bras croisés, les yeux au ciel, l’esprit trop agité pour réfléchir encore. Il sentait seulement en lui fermenter cette rancune et grossir cette colère qui couvent au cœur de tous les mâles devant les caprices du désir féminin. Il sentait pour la première fois cette angoisse confuse de l’époux qui soupçonne ! Il était jaloux enfin, jaloux pour le mort, jaloux pour le compte de Forestier ! jaloux d’une étrange et poignante façon, où entrait subitement de la haine contre Madeleine.
Puisqu’elle avait trompé l’autre, comment pourrait-il avoir confiance en elle, lui !
Puis, peu à peu, une espèce de calme se fit en son esprit, et se roidissant contre sa souffrance, il pensa : « Toutes les femmes sont des filles, il faut s’en servir et ne rien leur donner de soi. »
L’amertume de son cœur lui montait aux lèvres en paroles de mépris et de dégoût. Il ne les laissa point s’épandre cependant. Il se répétait : « Le monde est aux forts. Il faut être fort. Il faut être au-dessus de tout. »
La voiture allait plus vite. Elle repassa les fortifications. Du Roy regardait devant lui une clarté rougeâtre dans le ciel, pareille à une lueur de forge démesurée ; et il entendait une rumeur confuse, immense, continue, faite de bruits innombrables et différents, une rumeur sourde, proche, lointaine, une vague et énorme palpitation de vie, le souffle de Paris respirant, dans cette nuit d’été, comme un colosse épuisé de fatigue.
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Georges songeait : « Je serais bien bête de me faire de la bile. Chacun pour soi. La victoire est aux audacieux. Tout n’est que de l’égoïsme. L’égoïsme pour l’ambition et la fortune vaut mieux que l’égoïsme pour la femme et pour l’amour. »
L’arc de triomphe de l’Étoile apparaissait debout à l’entrée de la ville sur ses deux jambes monstrueuses, sorte de géant informe qui semblait prêt à se mettre en marche pour descendre la large avenue ouverte devant lui.
Georges et Madeleine se retrouvaient là dans le défilé des voitures ramenant au logis, au lit désiré, l’éternel couple, silencieux et enlacé. Il semblait que l’humanité tout entière glissait à côté d’eux, grise de joie, de plaisir, de bonheur.
La jeune femme, qui avait bien pressenti quelque chose de ce qui se passait en son mari, demanda de sa voix douce :
« À quoi songes-tu, mon ami ? Depuis une demi-heure tu n’as point prononcé une parole. »
Il répondit en ricanant :
« Je songe à tous ces imbéciles qui s’embrassent, et je me dis que, vraiment, on a autre chose à faire dans l’existence. »
Elle murmura :
« Oui… mais c’est bon quelquefois.
– C’est bon… c’est bon… quand on n’a rien de mieux ! »
La pensée de Georges allait toujours, dévêtant la vie de sa robe de poésie, dans une sorte de rage méchante : « Je serais
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bien bête de me gêner, de me priver de quoi que ce soit, de me troubler, de me tracasser, de me ronger l’âme comme je le fais depuis quelque temps. » L’image de Forestier lui traversa l’esprit sans y faire naître aucune irritation. Il lui sembla qu’ils venaient de se réconcilier, qu’ils redevenaient amis. Il avait envie de lui crier : « Bonsoir, vieux. »
Madeleine, que ce silence gênait, demanda :
« Si nous allions prendre une glace chez Tortoni, avant de rentrer. »
Il la regarda de coin. Son fin profil blond lui apparut sous l’éclat vif d’une guirlande de gaz qui annonçait un café-
chantant.
Il pensa : « Elle est jolie ! Eh ! tant mieux. À bon chat bon rat, ma camarade. Mais si on me reprend à me tourmenter pour toi, il fera chaud au pôle Nord. » Puis il répondit : « Mais certainement, ma chérie. » Et, pour qu’elle ne devinât rien, il l’embrassa.
Il sembla à la jeune femme que les lèvres de son mari étaient glacées.
Il souriait cependant de son sourire ordinaire en lui donnant la main pour descendre devant les marches du café.