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Du Roy ne put s’empêcher de rire :
« Comme ça tombe ! »
Elle répondit naïvement :
« Oh ! oui, ça tombe bien. »
« Mais il n’est pas gênant quand il est ici, tout de même. Tu le sais !
– Ça c’est vrai. C’est d’ailleurs un charmant homme.
– Et toi, dit-elle, comment prends-tu ta nouvelle vie ?
– Ni bien ni mal. Ma femme est une camarade, une associée.
– Rien de plus ?
– Rien de plus… Quant au cœur…
– Je comprends bien. Elle est gentille, pourtant.
– Oui, mais elle ne me trouble pas. »
Il se rapprocha de Clotilde, et murmura :
« Quand nous reverrons-nous ?
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– Mais… demain… si tu veux ?
– Oui. Demain, deux heures ?
– Deux heures. »
Il se leva pour partir, puis il balbutia, un peu gêné :
« Tu sais, j’entends reprendre, seul, l’appartement de la rue de Constantinople. Je le veux. Il ne manquerait plus qu’il fût payé par toi. »
Ce fut elle qui baisa ses mains avec un mouvement d’adoration, en murmurant :
« Tu feras comme tu voudras. Il me suffit de l’avoir gardé pour nous y revoir. »
Et Du Roy s’en alla, l’âme pleine de satisfaction.
Comme il passait devant la vitrine d’un photographe, le portrait d’une grande femme aux larges yeux lui rappela Mme Walter : « C’est égal, se dit-il, elle ne doit pas être mal encore. Comment se fait-il que je ne l’aie jamais remarquée. J’ai envie de voir quelle tête elle me fera jeudi. »
Il se frottait les mains, tout en marchant avec une joie intime, la joie du succès sous toutes ses formes, la joie égoïste de l’homme adroit qui réussit, la joie subtile, faite de vanité flattée et de sensualité contente, que donne la tendresse des femmes.
Le jeudi venu, il dit à Madeleine :
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Tu ne viens pas à cet assaut chez Rival ?
– Oh ! non. Cela ne m’amuse guère, moi ; j’irai à la Chambre des députés.
Et il alla chercher Mme Walter, en landau découvert, car il faisait un admirable temps.
Il eut une surprise en la voyant, tant il la trouva belle et jeune.
Elle était en toilette claire dont le corsage un peu fendu laissait deviner, sous une dentelle blonde, le soulèvement gras des seins. Jamais elle ne lui avait paru si fraîche. Il la jugea vraiment désirable. Elle avait son air calme et comme il faut, une certaine allure de maman tranquille qui la faisait passer presque inaperçue aux yeux galants des hommes. Elle ne parlait guère d’ailleurs que pour dire des choses connues, convenues et modérées, ses idées étant sages, méthodiques, bien ordonnées, à l’abri de tous les excès.
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Sa fille Suzanne, tout en rose, semblait un Watteau frais verni ; et sa sœur aînée paraissait être l’institutrice chargée de tenir compagnie à ce joli bibelot de fillette.
Devant la porte de Rival, une file de voitures était rangée.
Du Roy offrit son bras à Mme Walter, et ils entrèrent.
L’assaut était donné au profit des orphelins du sixième arrondissement de Paris, sous le patronage de toutes les femmes des sénateurs et députés qui avaient des relations avec La Vie Française.
Mme Walter avait promis de venir avec ses filles, en refusant le titre de dame patronnesse, parce qu’elle n’aidait de son nom que les œuvres entreprises par le clergé, non pas qu’elle fût très dévote, mais son mariage avec un Israélite la forçait, croyait-elle, à une certaine tenue religieuse ; et la fête organisée par le journaliste prenait une sorte de signification républicaine qui pouvait sembler anticléricale.
On avait lu dans les journaux de toutes les nuances, depuis trois semaines :
« Notre éminent confrère Jacques Rival vient d’avoir l’idée aussi ingénieuse que généreuse d’organiser, au profit des orphelins du sixième arrondissement de Paris, un grand assaut dans sa jolie salle d’armes attenant à son appartement de garçon. »
« Les invitations sont faites par Mmes Laloigne, Remontel, Rissolin, femmes des sénateurs de ce nom, et par Mmes Laroche-Mathieu, Percerol, Firmin, femmes des députés bien connus. Une simple quête aura lieu pendant l’entracte de l’assaut, et le montant sera versé immédiatement entre les
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mains du maire du sixième arrondissement ou de son représentant. »
C’était une réclame monstre que le journaliste adroit avait imaginé à son profit.
Jacques Rival recevait les arrivants à l’entrée de son logis où un buffet avait été installé, les frais devant être prélevés sur la recette.
Puis il indiquait, d’un geste aimable, le petit escalier par où on descendait dans la cave, où il avait installé la salle d’armes et le tir ; et il disait : « Au-dessous, mesdames, au-dessous.
L’assaut a lieu en des appartements souterrains. »
Il se précipita au-devant de la femme de son directeur ; puis, serrant la main de Du Roy :