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Madeleine disait :

« Surtout n’oublie pas de lui demander si le général Belloncle est envoyé à Oran, comme il en est question. Cela aurait une grande signification. »

Georges, nerveux, répondit :

« Mais je sais aussi bien que toi ce que j’ai à faire. Fiche-moi la paix avec tes rabâchages. »

Elle reprit tranquillement :

« Mon cher, tu oublies toujours la moitié des commissions dont je te charge pour le ministre. »

Il grogna :

« Il m’embête, ton ministre, à la fin ! C’est un serin. »

Elle dit avec calme :

« Ce n’est pas plus mon ministre que le tien. Il t’est plus utile qu’à moi. »

Il s’était tourné un peu vers elle en ricanant :

« Pardon, il ne me fait pas la cour, à moi. »

Elle déclara, lentement :

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« À moi non plus, d’ailleurs ; mais il fait notre fortune. »

Il se tut, puis après quelques instants :

« Si j’avais à choisir parmi tes adorateurs, j’aimerais encore mieux cette vieille ganache de Vaudrec. Qu’est-ce qu’il devient, celui-là ? je ne l’ai pas vu depuis huit jours. »

Elle répliqua, sans s’émouvoir :

« Il est souffrant, il m’a écrit qu’il gardait même le lit avec une attaque de goutte. Tu devrais passer prendre de ses nouvelles. Tu sais qu’il t’aime beaucoup, et cela lui ferait plaisir. »

Georges répondit :

« Oui, certainement, j’irai tantôt. »

Il avait achevé sa toilette, et, son chapeau sur la tête, il cherchait s’il n’avait rien négligé. N’ayant rien trouvé, il s’approcha du lit, embrassa sa femme sur le front :

« À tantôt, ma chérie, je ne serai pas rentré avant sept heures au plus tôt. »

Et il sortit. M. Laroche-Mathieu l’attendait, car il déjeunait à dix heures ce jour-là, le conseil devant se réunir à midi, avant la réouverture du Parlement.

Dès qu’ils furent à table, seuls avec le secrétaire particulier du ministre, Mme Laroche-Mathieu n’ayant pas voulu changer l’heure de son repas, Du Roy parla de son article, il en indiqua la

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ligne, consultant ses notes griffonnées sur des cartes de visite ; puis quand il eut fini :

« Voyez-vous quelque chose à modifier, mon cher ministre ?

– Fort peu, mon cher ami. Vous êtes peut-être un peu trop affirmatif dans l’affaire du Maroc. Parlez de l’expédition comme si elle devait avoir lieu, mais en laissant bien entendre qu’elle n’aura pas lieu et que vous n’y croyez pas le moins du monde.

Faites que le public lise bien entre les lignes que nous n’irons pas nous fourrer dans cette aventure.

– Parfaitement. J’ai compris, et je me ferai bien comprendre. Ma femme m’a chargé de vous demander à ce sujet si le général Belloncle serait envoyé à Oran. Après ce que vous venez de dire, je conclus que non. »

L’homme d’État répondit :

« Non. »

Puis on causa de la session qui s’ouvrait. Laroche-Mathieu se mit à pérorer, préparant l’effet des phrases qu’il allait répandre sur ses collègues quelques heures plus tard. Il agitait sa main droite, levant en l’air tantôt sa fourchette, tantôt son couteau, tantôt une bouchée de pain, et sans regarder personne, s’adressant à l’Assemblée invisible, il expectorait son éloquence liquoreuse de beau garçon bien coiffé. Une très petite moustache roulée redressait sur sa lèvre deux pointes pareilles à des queues de scorpion, et ses cheveux huilés de brillantine, séparés au milieu du front, arrondissaient sur ses tempes deux bandeaux de bellâtre provincial. Il était un peu trop gras, un peu bouffi, bien que jeune ; le ventre tendait son gilet. Le secrétaire particulier mangeait et buvait tranquillement, accoutumé sans doute à ses douches de faconde ; mais Du Roy, que la jalousie

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du succès obtenu mordait au cœur, songeait : « Va donc, ganache ! Quels crétins que ces hommes politiques ! »

Et, comparant sa valeur à lui, à l’importance bavarde de ce ministre, il se disait : « Cristi, si j’avais seulement cent mille francs nets pour me présenter à la députation dans mon beau pays de Rouen, pour rouler dans la pâte de leur grosse malice mes braves Normands finauds et lourdauds, quel homme d’État je ferais, à côté de ces polissons imprévoyants. »

Jusqu’au café, M. Laroche-Mathieu parla, puis, ayant vu qu’il était tard, il sonna pour qu’on fit avancer son coupé, et, tendant la main au journaliste :

« C’est bien compris, mon cher ami ?

– Parfaitement, mon cher ministre, comptez sur moi. »

Et Du Roy s’en alla tout doucement vers le journal, pour commencer son article, car il n’avait rien à faire jusqu’à quatre heures. À quatre heures, il devait retrouver, rue de Constantinople, Mme de Marelle qu’il y voyait toujours régulièrement deux fois par semaine, le lundi et le vendredi.

Mais en rentrant de la rédaction, on lui remit une dépêche fermée ; elle était de Mme Walter, et disait :

« Il faut absolument que je te parle aujourd’hui. C’est très grave, très grave. Attends-moi à deux heures, rue de Constantinople. Je peux te rendre un grand service.

« Ton amie jusqu’à la mort,

« VIRGINIE. »

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Il jura : « Nom de Dieu ! quel crampon. » Et, saisi par un excès de mauvaise humeur, il ressortit aussitôt, trop irrité pour travailler.

Depuis six semaines il essayait de rompre avec elle sans parvenir à lasser son attachement acharné.

Elle avait eu, après sa chute, un accès de remords épouvantable, et, dans trois rendez-vous successifs, avait accablé son amant de reproches et de malédictions. Ennuyé de ces scènes, et déjà rassasié de cette femme mûre et dramatique, il s’était simplement éloigné, espérant que l’aventure serait finie de cette façon. Mais alors elle s’était accrochée à lui éperdument, se jetant dans cet amour comme on se jette dans une rivière avec une pierre au cou. Il s’était laissé reprendre, par faiblesse, par complaisance, par égards ; et elle l’avait emprisonné dans une passion effrénée et fatigante, elle l’avait persécuté de sa tendresse.

Elle voulait le voir tous les jours, l’appelait à tout moment par des télégrammes, pour des rencontres rapides au coin des rues, dans un magasin, dans un jardin public.