37407.fb2 Bel ami - ?dition illustr?e - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 89

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– J’ai surpris par hasard, hier soir, quelques mots de mon mari et de Laroche. Ils ne se cachaient pas beaucoup devant moi, d’ailleurs. Mais Walter recommandait au ministre de ne pas te mettre dans le secret parce que tu dévoilerais tout. »

Du Roy avait reposé son chapeau sur une chaise. Il attendait, très attentif.

« Alors, qu’est-ce qu’il y a ?

– Ils vont s’emparer du Maroc !

– Allons donc. J’ai déjeuné avec Laroche qui m’a presque dicté les intentions du cabinet.

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Non, mon chéri, ils t’ont joué parce qu’ils ont peur qu’on connaisse leur combinaison.

– Assieds-toi », dit Georges.

Et il s’assit lui-même sur un fauteuil. Alors elle attira par terre un petit tabouret, et s’accroupit dessus, entre les jambes du jeune homme. Elle reprit, d’une voix câline :

« Comme je pense toujours à toi, je fais attention maintenant à tout ce qu’on chuchote autour de moi. »

Et elle se mit, doucement, à lui expliquer comment elle avait deviné depuis quelque temps qu’on préparait quelque chose à son insu, qu’on se servait de lui en redoutant son concours.

Elle disait :

« Tu sais, quand on aime, on devient rusée. »

Enfin, la veille, elle avait compris. C’était une grosse affaire, une très grosse affaire préparée dans l’ombre. Elle souriait maintenant, heureuse de son adresse ; elle s’exaltait, parlant en femme de financier, habituée à voir machiner les coups de bourse, les évolutions des valeurs, les accès de hausse et de baisse ruinant en deux heures de spéculation des milliers de petits bourgeois, de petits rentiers, qui ont placé leurs économies sur des fonds garantis par des noms d’hommes honorés, respectés, hommes politiques ou hommes de banque.

Elle répétait :

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« Oh ! c’est très fort ce qu’ils ont fait. Très fort. C’est Walter qui a tout mené d’ailleurs, et il s’y entend. Vraiment, c’est de premier ordre. »

Il s’impatientait de ces préparations.

« Voyons, dis vite.

– Eh bien, voilà. L’expédition de Tanger était décidée entre eux dès le jour où Laroche a pris les Affaires étrangères ; et, peu à peu, ils ont racheté tout l’emprunt du Maroc qui était tombé à soixante-quatre ou cinq francs. Ils l’ont racheté très habilement, par le moyen d’agents suspects, véreux, qui n’éveillaient aucune méfiance. Ils ont roulé même les Rothschild, qui s’étonnaient de voir toujours demander du marocain. On leur a répondu en nommant les intermédiaires, tous tarés, tous à la côte. Ça a tranquillisé la grande banque. Et puis maintenant on va faire l’expédition, et dès que nous serons là-bas, l’État français garantira la dette. Nos amis auront gagné cinquante ou soixante millions. Tu comprends l’affaire ? Tu comprends aussi comme on a peur de tout le monde, peur de la moindre indiscrétion. »

Elle avait appuyé sa tête sur le gilet du jeune homme, et les bras posés sur ses jambes, elle se serrait, se collait contre lui, sentant bien qu’elle l’intéressait à présent, prête à tout faire, à tout commettre, pour une caresse, pour un sourire.

Il demanda :

« Tu es bien sûre ? »

Elle répondit avec confiance :

« Oh ! je crois bien ! »

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Il déclara :

« C’est très fort, en effet. Quant à ce salop de Laroche, en voilà un que je repincerai. Oh ! le gredin ! qu’il prenne garde à lui !… qu’il prenne garde à lui… Sa carcasse de ministre me restera entre les doigts ! »

Puis il se mit à réfléchir, et il murmura :

« Il faudrait pourtant profiter de ça.

– Tu peux encore acheter de l’emprunt, dit-elle. Il n’est qu’à soixante-douze francs. »

Il reprit :

« Oui, mais je n’ai pas d’argent disponible. »

Elle leva les yeux vers lui, des yeux pleins de supplication.

« J’y ai pensé, mon chat, et si tu étais bien gentil, bien gentil, si tu m’aimais un peu, tu me laisserais t’en prêter. »

Il répondit brusquement, presque durement :

« Quant à ça, non, par exemple. »

Elle murmura, d’une voix implorante :

« Écoute, il y a une chose que tu peux faire sans emprunter de l’argent. Je voulais en acheter pour dix mille francs de cet emprunt, moi, pour me créer une petite cassette. Eh bien, j’en prendrai pour vingt mille ! Tu te mets de moitié. Tu comprends bien que je ne vais pas rembourser ça à Walter. Il n’y a donc

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rien à payer pour le moment. Si ça réussit, tu gagnes soixante-dix mille francs. Si ça ne réussit pas, tu me devras dix mille francs que tu me paieras à ton gré. »

Il dit encore :

« Non, je n’aime guère ces combinaisons-là. »

Alors, elle raisonna pour le décider, elle lui prouva qu’il engageait en réalité dix mille francs sur parole, qu’il courait des risques, par conséquent, qu’elle ne lui avançait rien puisque les déboursés étaient faits par la Banque Walter.

Elle lui démontra en outre que c’était lui qui avait mené, dans La Vie Française, toute la campagne politique qui rendait possible cette affaire, qu’il serait bien naïf en n’en profitant pas.

Il hésitait encore. Elle ajouta :

« Mais songe donc qu’en vérité c’est Walter qui te les avance, ces dix mille francs, et que tu lui as rendu des services qui valent plus que ça.

– Eh bien, soit, dit-il. Je me mets de moitié avec toi. Si nous perdons, je te rembourserai dix mille francs. »

Elle fut si contente qu’elle se releva, saisit à deux mains sa tête et se mit à l’embrasser avidement.

Il ne se défendit point d’abord, puis comme elle s’enhardissait, l’étreignant et le dévorant de caresses, il songea que l’autre allait venir tout à l’heure et que s’il faiblissait il perdrait du temps, et laisserait aux bras de la vieille une ardeur qu’il valait mieux garder pour la jeune.