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d’une façon profonde et
singulière, comme pour y
lire quelque chose,
comme pour y découvrir
cet inconnu de l’être
qu’on ne pénètre jamais
et qu’on peut à peine
entrevoir en des
secondes rapides, en ces
moments de non-garde,
ou d’abandon, ou
d’inattention, qui sont
comme des portes
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laissées entrouvertes sur les mystérieux dedans de l’esprit. Et elle articula lentement :
« Il me semble pourtant que si… qu’on eût trouvé au moins aussi étrange un legs de cette importance, de lui… à toi. »
Il demanda brusquement :
« Pourquoi ça ? »
Elle dit :
« Parce que… »
Elle hésita, puis reprit :
« Parce que tu es mon mari… que tu ne le connais en somme que depuis peu… parce que je suis son amie depuis très longtemps… moi… parce que son premier testament, fait du vivant de Forestier, était déjà en ma faveur. »
Georges s’était mis à marcher à grands pas. Il déclara :
« Tu ne peux pas accepter ça. »
Elle répondit avec indifférence :
« Parfaitement ; alors, ce n’est pas la peine d’attendre à samedi ; nous pouvons faire prévenir tout de suite maître Lamaneur. »
Il s’arrêta en face d’elle ; et ils demeurèrent de nouveau quelques instants les yeux dans les yeux, s’efforçant d’aller jusqu’à l’impénétrable secret de leurs cœurs, de se sonder
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jusqu’au vif de la pensée. Ils tâchaient de se voir à nu la conscience en une interrogation ardente et muette : lutte intime de deux êtres qui, vivant côte à côte, s’ignorent toujours, se soupçonnent, se flairent, se guettent, mais ne se connaissent pas jusqu’au fond vaseux de l’âme.
Et, brusquement, il lui murmura dans le visage, à voix basse :
« Allons, avoue que tu étais la maîtresse de Vaudrec. »
Elle haussa les épaules :
« Tu es stupide… Vaudrec avait beaucoup d’affection pour moi, beaucoup… mais rien de plus… jamais. »
Il frappa du pied :
« Tu mens. Ce n’est pas possible. »
Elle répondit tranquillement :
« C’est comme ça, pourtant. »
Il se mit à marcher, puis, s’arrêtant encore :
« Explique-moi, alors, pourquoi il te laisse toute sa fortune, à toi… »
Elle le fit avec un air nonchalant et désintéressé :
« C’est tout simple. Comme tu le disais tantôt, il n’avait que nous d’amis, ou plutôt que moi, car il m’a connue enfant. Ma mère était dame de compagnie chez des parents à lui. Il venait
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sans cesse ici, et, comme il n’avait pas d’héritiers naturels, il a pensé à moi. Qu’il ait eu un peu d’amour pour moi, c’est possible. Mais quelle est la femme qui n’a jamais été aimée ainsi ? Que cette tendresse cachée, secrète, ait mis mon nom sous sa plume quand il a pensé à prendre des dispositions dernières, pourquoi pas ? Il m’apportait des fleurs, chaque lundi. Tu ne t’en étonnais nullement et il ne t’en donnait point, à toi, n’est-ce pas ? Aujourd’hui, il me donne sa fortune par la même raison et parce qu’il n’a personne à qui l’offrir. Il serait, au contraire, extrêmement surprenant qu’il te l’eût laissée ?
Pourquoi ? Que lui es-tu ? »
Elle parlait avec tant de naturel et de tranquillité que Georges hésitait.
Il reprit :
« C’est égal, nous ne pouvons accepter cet héritage dans ces conditions. Ce serait d’un effet déplorable. Tout le monde croirait la chose, tout le monde en jaserait et rirait de moi. Les confrères sont déjà trop disposés à me jalouser et à m’attaquer.
Je dois avoir plus que personne le souci de mon honneur et le soin de ma réputation. Il m’est impossible d’admettre et de permettre que ma femme accepte un legs de cette nature d’un homme que la rumeur publique lui a déjà prêté pour amant.
Forestier aurait peut-être toléré cela, lui, mais moi, non. »