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« Comme il te plaira. »
Ils entrèrent. Il demanda :
« Que préfères-tu, un collier, un bracelet, ou des boucles d’oreilles ? »
La vue des bibelots d’or et des pierres fines emportait sa froideur voulue, et elle parcourait d’un œil allumé et curieux les vitrines pleines de joyaux.
Et soudain, émue par un désir :
« Voilà un bien joli bracelet. »
C’était une chaîne d’une forme bizarre, dont chaque anneau portait une pierre différente.
Georges demanda :
« Combien ce bracelet ? »
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Le joaillier répondit :
« Trois mille francs, monsieur.
– Si vous me le laissez à deux mille cinq, c’est une affaire entendue. »
L’homme hésita, puis répondit :
« Non, monsieur, c’est impossible. »
Du Roy reprit :
« Tenez, vous ajouterez ce chronomètre pour quinze cents francs, cela fait quatre mille, que je paierai comptant. Est-ce dit ? Si vous ne voulez pas, je vais ailleurs. »
Le bijoutier, perplexe, finit par accepter.
« Eh bien, soit, monsieur. »
Et le journaliste, après avoir donné son adresse, ajouta :
« Vous ferez graver sur le chronomètre mes initiales G.R.C., en lettres enlacées au-dessous d’une couronne de baron. »
Madeleine, surprise, se mit à sourire. Et quand ils sortirent, elle prit son bras avec une certaine tendresse. Elle le trouvait vraiment adroit et fort. Maintenant qu’il avait des rentes, il lui fallait un titre, c’était juste.
Le marchand le saluait :
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« Vous pouvez compter sur moi, ce sera prêt pour jeudi, monsieur le baron. »
Ils passèrent devant le Vaudeville. On y jouait une pièce nouvelle.
« Si tu veux, dit-il, nous irons ce soir au théâtre, tâchons de trouver une loge. »
Ils trouvèrent une loge et la prirent. Il ajouta :
« Si nous dînions au cabaret ?
– Oh ! oui, je veux bien. »
Il était heureux comme un souverain, et cherchait ce qu’ils pourraient bien faire encore.
« Si nous allions chercher Mme de Marelle pour passer la soirée avec nous ? Son mari est ici, m’a-t-on dit. Je serai enchanté de lui serrer la main. »
Ils y allèrent. Georges, qui redoutait un peu la première rencontre avec sa maîtresse, n’était point fâché que sa femme fût présente pour éviter toute explication.
Mais Clotilde parut ne se souvenir de rien et força même son mari à accepter l’invitation.
Le dîner fut gai et la soirée charmante.
Georges et Madeleine rentrèrent fort tard. Le gaz était éteint. Pour éclairer les marches, le journaliste enflammait de temps en temps une allumette-bougie.
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En arrivant sur le palier du premier étage, la flamme subite éclatant sous le frottement fit surgir dans la glace leurs deux figures illuminées au milieu des ténèbres de l’escalier.
Ils avaient l’air de fantômes apparus et prêts à s’évanouir dans la nuit.
Du Roy leva la main pour bien éclairer leurs images, et il dit, avec un rire de triomphe :
« Voilà des millionnaires qui passent. »
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– VII –
Depuis deux mois la conquête du Maroc était accomplie. La France, maîtresse de Tanger, possédait toute la côte africaine de la Méditerranée jusqu’à la régence de Tripoli, et elle avait garanti la dette du nouveau pays annexé.
On disait que deux ministres gagnaient là une vingtaine de millions, et on citait, presque tout haut, Laroche-Mathieu.
Quand à Walter, personne dans Paris n’ignorait qu’il avait fait coup double et encaissé de trente à quarante millions sur l’emprunt, et de huit à dix millions sur des mines de cuivre et de fer, ainsi que sur d’immenses terrains achetés pour rien avant la conquête et revendus le lendemain de l’occupation française à des compagnies de colonisation.
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