37576.fb2 CITADELLE - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 27

CITADELLE - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 27

«Il en est ici comme de la statue. Imaginerais-tu que pour le créateur il s'agisse de la description d'une bouche, d'un nez ou d'un menton? Non, certes. Mais du seul retentissement de tels objets les uns sur les autres, lequel retentissement sera par exemple douleur humaine. Et lequel par ailleurs il est possible de te faire entendre car tu communiques non avec les objets mais avec les nœuds qui les nouent.

«Le sauvage croit seul, ajouta mon père, que le son est dans le tambour. Et il adore le tambour. Un autre croit que le son est dans les baguettes, et il adore les baguettes. Un dernier croit que le son est dans la puissance de son bras et tu le vois qui se pavane le bras en l'air. Tu reconnais, toi, qu'il n'est ni dans le tambour, ni dans les baguettes, ni dans les bras et tu dénommes vérité le tambourinage du tambourineur.

«Je refuse donc à la tête de mon empire les commentateurs des géomètres qui vénèrent comme idole ce qui a servi à bâtir et, de ce que les émeut un temple, adorent son pouvoir dans les pierres. Ceux-là me viendraient gouverner les hommes avec leurs vérités pour triangles.»

Cependant je m'attristai:

«Il n'est donc point de vérité, dis-je à mon père.

— Si tu réussis à me formuler, m'expliqua-t-il en souriant, à quel souhait de la connaissance Une réponse est refusée, je pleurerai aussi sur l'infirmité qui nous entrave. Mais je ne conçois point l'objet que tu me prétendais saisir. Celui-là qui lit une lettre d'amour s'estime comblé quels que soient l'encre et le papier. Il ne cherchait l'amour ni dans le papier ni dans l'encre.»

CV

Il m'apparut donc que les hommes, soumis aux illusions de leur langage et ayant observé qu'est fertile de démontrer l'objet pour acquérir des connaissances, ayant constaté de cette méthode l'efficacité foudroyante, ruinèrent leur patrimoine. Car ce qui est vrai, et sans doute non absolument de la matière, devient faux pour l'esprit. Tu es en effet toi, homme, ainsi bâti que les objets te sont vides et morts s'ils ne sont point d'un royaume spirituel et que même si te voilà épais et ladre tu ne souhaites cet objet-ci plus beau que l'autre qu'à cause du sens qu'il a chez toi, de même que l'or, tu le souhaites comme gonflé de trésors invisibles et que ta femme, si elle souhaite cette parure ce n'est point pour s'en alourdir la chevelure mais à cause qu'elle est convention dans un langage et hiérarchie et message secret et signe de domination.

M'apparut ainsi la seule fontaine où se pussent abreuver l'esprit et le cœur. Le seul aliment qui te convînt. Le seul patrimoine à sauver. Et qu'il te fallait rebâtir là où tu avais dilapidé. Car te voilà assis parmi tes ruines d'objets épars, et si l'animal est satisfait, l'homme est chez toi menacé par la famine et ne connaissant point ce dont il a faim, car tu es de même ainsi bâti que ton besoin de nourriture est le fruit de ta nourriture et que si une part de toi est maintenue chétive et en demi-sommeil faute d'aliment ou d'exercice, tu ne réclames ni cet exercice ni cet aliment.

C'est pourquoi tu ne sauras point, si nul ne descend vers toi de sa montagne et ne t'éclaire, quelle route à suivre te sauvera. De même que tu ne croiras point, aussi savamment que l'on te raisonne, quel homme naîtra de toi ou s'y réveillera puisqu'il n'y est point encore.

C'est pourquoi ma contrainte est puissance de l'arbre et par elle libération de la rocaille.

Et je puis, d'étage en étage, te faire communiquer avec des trésors de plus en plus vastes. Car certes est déjà beau celui de l'amour et de la maison et du domaine et de l'empire et du temple et de la basilique qu'est devenue l'année quand l'ont changée les jours de fête, mais si tu me permets de te guider pour t'aider à gravir la plus haute montagne, j'ai des trésors pour toi si durs à conquérir que beaucoup y renonceront dans leur ascension, car pour bâtir l'image nouvelle, je leur vole les pierres d'autres temples auxquels ils tiennent.

Mais, réussissant pour quelques-uns, je leur suis tellement pathétique que l'âme leur brûle. Car il est des structures si chaudes qu'elles sont comme un feu pour les âmes. Ceux-là je les dirai embrasés par l'amour.

Viens donc chez moi te faire bâtir, tu sortiras resplendissant.

Mais Dieu se perd. Car je te l'ai dit du poème. Si beau qu'il soit il ne peut pas t'alimenter pour tous les jours… Ma sentinelle qui va de long en large ne peut non plus être jour et nuit fervente à l'empire. Se défait souvent dans les âmes le nœud divin qui noue les choses. Va voir chez le sculpteur. Il est triste aujourd'hui. Il hoche la tête devant son marbre. «Pourquoi, se dit-il, ce nez, ce menton, cette oreille…» car il ne voit plus la capture. Et le doute est rançon de Dieu, car il te manque alors et te fait mal.

CVI

Mais tu ne communiques qu'à travers un cérémonial. Car si, distrait, tu écoutes cette musique et considères ce temple, il ne naîtra rien en toi et tu ne seras pas alimenté. C'est pourquoi je n'ai point d'autre moyen de t'expliquer la vie à laquelle je te convie que de t'y engager de force et de t'en allaiter. Comment t'expliquerais-je cette musique quand l'entendre ne te suffit pas, si tu n'es pas préparé pour t'en faire combler? Si prête à mourir en toi l'image du domaine, pour ne laisser d'elle que ses gravats. Le mot d'ironie qui n'est que de cancre, un mauvais sommeil, un bruit qui te gêne et te voilà privé de Dieu. Te voilà refusé. Te voilà assis sur ton seuil avec en arrière ta porte close, et totalement séparé du monde qui n'est plus que somme d'objets vides. Car tu ne communiques point avec les objets mais avec les nœuds qui les nouent.

Comment donc t'y ferai-je accéder quand tu t'en décroches si aisément?

D'où l'importance de mon cérémonial, car il s'agit de te sauver de tout détruire quand il t'arrive d'être à la porte de chez toi.

C'est pourquoi je condamne avant tout le mélangeur de livres.

Et je te bâtis et te maintiens tel, non que tu sois perpétuellement alimenté, ce qui n'est point de la faiblesse de ton cœur, mais que tu sois route bien tracée, porte bien ouverte, temple bien bâti pour recevoir. Je te veux instrument de musique attendant le musicien.

C'est pourquoi je t'ai dit que le poème que je t'ai réservé était ascension de toi-même.

Et ceux-là seuls accèdent à la connaissance véritable qui refont le chemin perdu et retrouvent les êtres qu'ils ont répandus en gravats.

Je veux te montrer ta patrie qui est la seule où ton esprit se puisse mouvoir.

Et c'est pourquoi je dis encore que ma contrainte te délivre et t'apporte la seule liberté qui compte. Car tu appelais liberté ce pouvoir que tu as de démolir ton temple, de mêler les mots du poème, d'égaliser les jours que mon cérémonial avait bâtis en basilique. Liberté de faire le désert. Et où te trouveras-tu?

Moi j'appelle liberté ta délivrance.

C'est pourquoi je t'ai dit autrefois: liberté de l'esclave ou de l'homme, respect de l'ulcère ou de la chair saine? Justice pour l'homme ou pour la pègre? C'est contre toi, à travers toi, pour toi que je suis juste. Et certes je suis injuste pour l'homme de la pègre ou le cancre ou la chenille qui n'a pas mué puisque je les force de se renoncer et de devenir.

CVII

Car t'instruisant je te contrains. Mais telle est la contrainte qu'une fois absolue elle

devient invisible, comme de t'obliger au détour pour chercher la porte à travers le mur, et tu ne me la reproches ni ne t'en lamentes.

Car les règles du jeu de l'enfant sont contraintes. Mais il les souhaite. Car mes notables tu les vois briguer les charges et les devoirs des notables, lesquels sont contraintes. Et les femmes tu les vois qui obéissent à l'usage dans le choix de leurs parures, lesquelles varient chaque année et là aussi il s'agit d'un langage qui est contrainte. Car nul ne souhaite la liberté de ne plus être compris.

Si je dénomme maison tel arrangement de mes pierres tu n'es point libre de changer le mot sous peine d'être seul, faute de savoir te faire entendre.

Si je dis de fête et de joie tel jour de l'année, tu n'es point libre de n'en point tenir compte sous peine d'être seul, faute de communier avec le peuple dont tu sors.

Si je tire un domaine de tel arrangement de mes chèvres, de mes moutons, de mes demeures, de mes montagnes, tu n'es point libre de t'en affranchir sous peine d'être seul, faute de collaborer quand tu travailles à l'embellissement du domaine.

Ta liberté quand elle a fondu tes glaciers en mare te laisse d'abord seul, car tu n'es plus élément du glacier qui gravit le soleil sous son manteau de neige, mais égal à l'autre et au même niveau, sous peine de vous haïr à cause de vos différences, et ayant trouvé l'état de repos que trouvent bientôt les billes mêlées, et n'étant plus soumis à rien qui vous domine, même à l'absolu du langage, voilà désormais interdite toute communication entre vous, et, vous ayant inventé pour chacun votre langage particulier, ayant élu chacun votre jour de fête, vous voilà tranchés les uns d'avec les autres et plus seuls que les astres dans leur infranchissable solitude.

Car de votre fraternité que sauriez-vous attendre si elle n'est point fraternité dans l'arbre dont vous êtes les éléments, lequel vous domine et vous vient de l'extérieur, car je dis cèdre la contrainte de la rocaille, laquelle n'est point fruit de la rocaille mais de la graine.

Comment sauriez-vous devenir cèdre si chacun choisit l'arbre à bâtir ou ne prétend point servir un arbre ou même s'oppose à la montée d'un arbre qu'il dénommera tyrannie, et convoite la même place, il faut bien que l'on vous départage et que vous serviez l'arbre, plutôt que de prétendre vous en faire servir.

C'est pourquoi j'ai jeté ma graine et vous soumets à son pouvoir. Et je me connais comme injuste si justice est égalité. Car je crée des lignes de force et des tensions et des figures. Mais grâce à moi qui vous ai changés en branchages vous vous nourrirez de soleil.

CVIII

De ma visite à la sentinelle endormie.

Car il est bon que celle-là soit punie de mort. Puisque repose sur sa vigilance tant de sommeil au souffle lent, quand la vie t'alimente et se perpétue à travers toi, comme au creux d'une anse ignorée la palpitation des mers. Et les temples fermés, aux richesses sacerdotales lentement récoltées comme un miel, tant de sueur et de coups de ciseau et de coups de marteau et de pierres charriées, et d'yeux usés aux jeux d'aiguille dans les draps d'or, afin de les fleurir, et d'arrangements délicats sous l'invention de mains pieuses. Et les greniers aux provisions afin que l'hiver soit doux à subir. Et les livres sacrés dans les greniers de la sagesse où repose la caution de l'homme. Et les malades dont j'aide la mort en la faisant paisible dans la coutume parmi les leurs, et presque inaperçue de simplement déléguer plus loin l'héritage. Sentinelle, sentinelle, tu es sens des remparts lesquels sont gaine pour le corps fragile de la ville et l'empêchant de se répandre, car si quelque brèche les crève il n'est plus de sang pour le corps. Tu vas de long en large, d'abord ouvert à la rumeur d'un désert qui prépare ses armes et inlassablement te revient frapper comme la houle, et te pétrir et te durcir en même temps que te menacer. Car il n'est point à distinguer ce qui te ravage de ce qui te fonde, car c'est le même vent qui sculpte les dunes et les efface, le même flot qui sculpte la falaise et l'éboulé, la même contrainte qui te sculpte l'âme ou l'abrutit, le même travail qui te fait vivre et t'en empêche, le même amour comblé qui te comble et te vide. Et ton ennemi c'est ta forme même car il t'oblige à te construire à l'intérieur de tes remparts, de même que l'on pourrait dire de la mer qu'elle est ennemie du navire, puisqu'elle est prête à l'absorber et puisque le navire est avant tout lutte contre elle, mais dont on peut dire aussi qu'elle est mur et limite et forme du même navire, puisque au cours des générations c'est la division des flots par l'étrave qui a peu à peu sculpté la carène, laquelle s'est faite plus harmonieuse pour s'y couler, et ainsi l'a fondée et l'a embellie. Puisqu'on peut dire que c'est le vent, lequel déchire les voiles, qui les a dessinées comme il dessina l'aile, et que sans ennemi tu n'as ni forme ni mesure. Et que seraient les remparts s'il n'était point de sentinelle?

C'est pourquoi donc celle-là qui dort fait que la ville est nue. Et c'est pourquoi l'on vient s'en saisir quand on la trouve, afin de la noyer dans son propre sommeil.

Or, voici qu'elle dormait la tête appuyée à la pierre plate et la bouche entrouverte. Et son visage était visage d'un enfant. Elle tenait encore son fusil pressé contre elle à la façon d'un jouet qu'on emporte dans le rêve. Et la considérant j'en eus pitié. Car j'ai pitié, par les nuits chaudes, de la défaillance des hommes.

Défaillance des sentinelles, c'est le barbare qui vous endort. Conquises par le désert et laissant les portes libres de tourner lentement sur leurs gonds d'huile dans le silence, pour que soit fécondée la ville quand elle est épuisée et qu'elle a besoin du barbare.

Sentinelle endormie. Avant-garde des ennemis. Déjà conquise, car ton sommeil est de ne plus être de la ville et bien nouée et permanente, mais d'attendre la mue, et de t'ouvrir à la semence.

Donc me vint l'image de la ville défaite à cause de ton simple sommeil car tout se noue en toi et s'y dénoue. Que tu es belle si tu veilles, oreille et regard de la ville… Et tellement noble de comprendre, dominant par ton simple amour l'intelligence des logiciens, car ils ne comprennent point la ville mais la divisent. Il est pour eux ici une prison, là un hôpital, là une maison de leurs amis et celle-là même ils la décomposent dans leur cœur, y voient cette chambre, puis une autre, puis l'autre. Et non point seulement les chambres mais de chacune cet objet-ci, cet objet-là, cet autre encore. Puis l'objet lui-même ils l'effacent. Et que feront-ils de ces matériaux dont ils ne veulent rien construire?

Mais toi, sentinelle, si tu veilles, tu es en rapport avec la ville livrée aux étoiles. Ni cette maison, ni cette autre, ni cet hôpital, ni ce palais. Mais la ville. Ni cette plainte de mourant, ni ce cri de femme en gésine, ni ce gémissement d'amour, ni cet appel de nouveau-né, mais ce souffle divers d'un corps unique. Mais la ville. Ni cette veille de celui-là, ni ce sommeil de celui-ci, ni ce poème de cet autre, ni cette recherche de ce dernier, mais ce mélange de ferveur et de sommeil, ce feu sous les cendres de la Voie Lactée. Mais la ville. Sentinelle, sentinelle, l'oreille collée à la poitrine d'une bien-aimée, écoutant ce silence, ces repos et ces souffles divers qu'il importe de ne point diviser si l'on désire entendre, car c'est le battement d'un cœur. Lequel est battement du cœur. Et non rien d'autre.

Sentinelle, si tu veilles te voilà mon égale. Car la ville repose sur toi et sur la ville repose l'empire. Certes j'agrée que si je passe tu t'agenouilles, car ainsi vont les choses, et la sève de la racine vers le feuillage. Et il est bon que monte vers moi ton hommage car c'est circulation du sang dans l'empire, comme de l'amour du marié vers la mariée, comme du lait de la mère vers l'enfant, comme du respect de la jeunesse vers la vieillesse, mais où vas-tu me dire que quelqu'un reçoive quelque chose? Car d'abord moi-même je te sers.

C'est pourquoi, de profil, quand tu t'appuies contre ton arme, ô mon égal en Dieu, car qui peut distinguer les pierres de la base et de la clef de voûte, et qui peut se montrer jaloux de l'une ou de l'autre? C'est pourquoi j'ai le cœur qui me bat d'amour à te regarder sans que soit rien qui m'empêche de te faire saisir par mes hommes d'armes.

Car voilà que tu dors. Sentinelle endormie. Sentinelle morte. Et je te regarde avec épouvante car en toi dort et meurt l'empire. Je le vois malade à travers toi, car est mauvais ce signe, qu'il me délègue des sentinelles pour dormir…