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«Il était pour moi un visage qui m'éclairait d'un côté et non de l'autre puisqu'il me faisait tourner vers lui. Mais je ne le connais point encore…»

C'est alors qu'à mon géomètre Dieu se montra.

CXXVII

Les actes bas suscitent pour véhicule des âmes basses. Les actes nobles, des âmes nobles.

Les actes bas se formulent par des motifs bas. Les actes nobles par des motifs nobles.

Si je fais trahir je ferai trahir par des traîtres.

Si je fais bâtir je ferai bâtir par des maçons.

Si je fais la paix je la ferai signer par des lâches.

Si je fais mourir je ferai déclarer la guerre par des héros.

Car évidemment, les tendances diverses, si une tendance l'emporte, c'est celui-là qui a crié le plus fort dans cette direction qui en prendra la charge. Et si la direction nécessaire se trouve être humiliante c'est celui-là qui l'a souhaitée même quand elle n'était point nécessaire, par simple bassesse, qui t'y conduira.

Il est difficile de faire décider la reddition par les plus héroïques, comme de faire opter pour le sacrifice par les plus lâches.

Et si un acte est nécessaire bien qu'humiliant d'un certain point de vue, rien n'étant simple, je pousserai en avant celui qui puant le plus fera le moins dégoûté. Je ne les choisis pas délicats de narine, mes ramasseurs de poubelles.

Ainsi des négociations avec mon ennemi s'il vainqueur. Je choisirai pour les conduire l'ami de l'ennemi. Mais ne va pas me reprocher d'estimer l'un ni de me soumettre de bon gré à l'autre.

Car certes, mes ramasseurs de poubelles, si tu leur demandes de s'énoncer, ils te diront qu'ils ramassent les poubelles par goût de l'odeur des ordures.

Et mon bourreau il te dira qu'il décapite par goût du sang.

Mais tu te tromperais si tu me jugeais, moi qui les suscite, selon leur langage. Car c'est mon horreur des ordures et c'est mon amour du seuil lustré qui m'a fait faire appel à des ramasseurs de poubelles. Et c'est mon horreur du sang versé quand il est innocent qui m'a contraint d'inventer un bourreau.

Et maintenant n'écoute point parler les hommes si tu désires les comprendre. Car si j'ai décidé la guerre et le sacrifice de la vie pour sauver les greniers de l'empire, comme se seront poussés en avant, pour prêcher la mort, les plus héroïques, ils te parleront du seul honneur et de la seule gloire de mourir. Car nul ne meurt pour un grenier.

Et ainsi en est-il de l'amour du navire lequel devient amour des clous chez le cloutier.

Et si j'ai décidé la paix pour sauver du pillage total quelque chose des mêmes greniers, avant que le feu n'ait tout détruit et qu'il ne soit donc plus de problème de paix ou de guerre mais sommeil des morts, comme se seront poussés en avant pour signer les moins prévenus contre l'ennemi, ils te parleront de la beauté de ces lois et de la justice de ces décisions. Et ceux-là aussi croiront ce qu'ils disent. Mais il s'agissait de tout autre chose.

Si je fais refuser quelque chose c'est celui qui refuserait tout qui le refusera. Si je fais accorder quelque chose c'est celui qui accorderait tout qui l'accordera.

Car l'empire est chose puissante et lourde qui ne se charrie point dans un vent de paroles. Cette nuit-ci, du haut de ma terrasse, je considère cette terre noire où sont ces milliers de milliers qui dorment ou veillent, heureux ou malheureux, satisfaits ou insatisfaits, confiants ou désespérés. Et il m'est d'abord apparu que l'empire n'avait point de voix car c'est un géant sans langage. Et comment transporterai-je en toi l'empire avec ses désirs, ses ferveurs, ses lassitudes, ses appels si je ne sais même point trouver les mots qui transporteraient la montagne en toi qui n'as jamais connu que la mer?

Ceux-là ils parlent tous au nom de l'empire, les uns les autres différemment. Et ils ont raison d'essayer de parler au nom de l'empire. Car il est bon, ce géant sans langage, de lui trouver un cri à rendre.

Et je te l'ai dit de la perfection. Le beau cantique naît des cantiques manques, car si nul ne s'exerce au cantique il ne naîtra point de beau cantique.

Donc tous ils se contredisent car il n'est point encore de langage pour dire l'empire. Laisse faire. Écoute-les tous. Tous ont raison. Mais ils n'ont point gravi assez haut leurs montagnes pour comprendre chacun que l'autre a raison.

Et s'ils commencent de se déchirer, de s'emprisonner et de s'entre-tuer c'est qu'ils sont désir d'une parole qu'ils ne savent point former encore.

Et moi je leur pardonne s'ils balbutient.

CXXVIII

Tu me demandes: «Pourquoi ce peuple accepte-t-il d'être réduit en esclavage et ne poursuit-il pas sa lutte jusqu'au dernier?»

Mais il convient de distinguer le sacrifice par amour, lequel est noble, du suicide par désespoir, lequel est bas ou vulgaire. Pour le sacrifice il faut un dieu comme le domaine ou la communauté ou le temple, lequel reçoit la part que tu délègues et en laquelle tu t'échanges.

Quelques-uns peuvent accepter de mourir pour tous, même si la mort est inutile. Et elle ne l'est jamais. Car les autres en sont embellis et vont l'œil plus clair et l'esprit plus vaste.

Quel père ne s'arrachera pas à l'étreinte de tes bras pour plonger dans le gouffre où se noie son fils? Tu ne pourras pas le retenir. Mais vas-tu souhaiter qu'ils plongent ensemble? Qui s'enrichira de leurs vies?

L'honneur est rayonnement non du suicide mais du sacrifice.

CXXIX

Si tu juges mon œuvre, je souhaite que tu m'en parles sans m'interposer dans ton jugement. Car si je sculpte un visage, je m'échange en lui et je le sers. Et ce n'est point lui qui me sert. Et en effet j'accepte jusqu'au risque de mort pour achever ma création.

Donc ne ménage point tes critiques par crainte de me blesser dans ma vanité car il n'est point en moi de vanité. La vanité n'a point de sens pour moi puisqu'il s'agit non de moi mais de ce visage.

Mais s'il se trouve que ce visage t'a changé, ayant transporté en toi quelque chose, ne ménage point non plus tes témoignages par crainte d'offenser ma modestie. Car il n'est point en moi de modestie. Il s'agissait d'un tir dont le sens nous domine mais auquel il est bon que nous collaborions. Moi comme flèche, toi comme cible.

CXXX

Quand je mourrai.

«Seigneur, j'arrive à toi car j'ai labouré en ton nom. A toi les semailles.

«Moi j'ai bâti ce cierge. Il est de toi de l'allumer.

«Moi j'ai bâti ce temple. Il est de toi d'habiter son silence.

«Car la capture n'est point pour moi: je n'ai fait que construire le piège. J'ai pris cette attitude pour en être animé. Et j'ai bâti un homme selon tes divines lignes de force afin qu'il marche. A toi d'user du véhicule si tu y trouves ta gloire.»

Ainsi du sommet des remparts je poussai un profond soupir. «Adieu mon peuple, pensais-je. Je me suis vidé de mon amour et vais dormir. Cependant je suis invincible comme est invincible la graine. Je n'ai point dit tous les aspects de mon visage. Mais créer ce n'est point énoncer. Je me suis entièrement exprimé si j'ai rendu un son qui est celui-là et non un autre. Saisi une attitude qui est celle-là et non une autre. Installé dans la pâte un ferment qui est tel ferment et non un autre. Vous êtes tous désormais nés de moi car s'il s'agit pour vous d'un acte à choisir parmi d'autres vous rencontrerez l'invisible pente qui vous fera développer mon arbre, et ainsi selon moi devenir.

«Certes, vous vous sentirez libres, moi mort. Mais comme le fleuve de se diriger vers la mer, ou la pierre lâchée de descendre.

«Faites-vous branches. Faites vos fleurs et faites vos fruits. On vous pèsera à la vendange.

«Mon peuple bien-aimé, sois fidèle de génération en génération si j'ai augmenté ton héritage.»

Et comme je priais, faisait les cent pas la sentinelle. Et je méditais.

«Mon empire me délègue des sentinelles qui veillent. Ainsi j'ai allumé ce feu qui devient dans la sentinelle flamme de vigilance.

«Est beau mon soldat s'il regarde…»

CXXXI