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— Tu risques de tout extirper, lui répondis-je. N'est-il pas préférable plutôt qu'extirper le mal d'augmenter le bien? Et d'inventer les fêtes qui ennoblissent l'homme? Et de le vêtir de vêtements qui le fassent moins sale? Et de mieux nourrir ses enfants afin qu'ils puissent s'embellir de l'enseignement de la prière sans s'absorber dans la souffrance de leurs ventres?

«Car il ne s'agit point de limites apportées aux biens dus à l'homme mais du sauvetage des champs de force qui gouvernent seuls sa qualité et des visages qui parlent seuls à son esprit et à son cœur.

«Ceux-là qui me peuvent bâtir des barques, je les ferai naviguer sur leurs barques et pêcher le poisson. Mais ceux-là qui me peuvent lancer des navires je leur ferai lancer des navires et conquérir le monde.

— Tu souhaites donc de les pourrir par les richesses!

— Rien de ce qui est provision faite ne m'intéresse et tu n'as rien compris», lui dis-je.

CXL

Car si tu fais appel à tes gendarmes et les charges de te construire un monde, aussi souhaitable soit-il, ce monde ne naîtra point car il n'est point du rôle ni de la qualité du gendarme d'exalter ta religion. Il est de son essence non de peser les hommes mais de faire exécuter tes ordonnances, lesquelles sont d'un code précis, comme de payer des impôts ou de ne point voler ton prochain, ou de te soumettre à telle ou telle règle. Et les rites de ta société sont visage qui te fonde cet homme-ci et non un autre, tel goût du repas du soir parmi les tiens, et non un autre, ce sont lignes du champ de force qui t'anime. Et le gendarme ne se voit point. Il est là comme mur et cadre et armature. Tu n'as point à le rencontrer, aussi impitoyable soit-il, car t'est également impitoyable que la nuit tu ne puisses jouir du soleil ou qu'il te faille attendre un navire pour traverser la mer, ou qu'il te soit, faute de porte vers la gauche, imposé de sortir à droite. Cela est, tout simplement.

Mais si tu renforces son rôle et le charges de peser l'homme, ce que nul au monde ne saurait faire, et de te dépister le mal selon son propre jugement — et non de seulement observer les actes, lesquels actes sont de son ressort — alors comme rien n'est simple, comme la pensée est chose mouvante et difficile à formuler, et qu'en réalité il n'est point de contraires, seuls subsisteront libres et accéderont au pouvoir ceux qu'un puissant dégoût n'écartera point de ta caricature de vie. Car il s'agit d'un ordre qui précède la ferveur d'un arbre que prétendent construire les logiciens et non d'un arbre né d'une graine. Car l'ordre est l'effet de la vie et non sa cause. L'ordre est signe d'une cité forte et non origine de sa force. La vie et la ferveur et la tendance vers, créent l'ordre. Mais l'ordre ne crée ni vie, ni ferveur, ni tendance vers.

Et ceux-là seuls se trouveront grandis qui, par bassesse d'âme, accepteront le petit bazar d'idées qui est du formulaire du gendarme, et troqueront leur âme contre un manuel. Car même si haute est ton image de l'homme et noble ton but, sache qu'il deviendra bas et stupide en s'énonçant par le gendarme. Car il n'est point du rôle du gendarme de charrier une civilisation, mais d'interdire des actes sans comprendre pourquoi.

L'homme entièrement libre dans un champ de force absolu et des contraintes absolues qui sont gendarmes invisibles: voilà la justice de mon empire.

C'est pourquoi j'ai fait venir les gendarmes et leur ai dit:

«Vous ne jugerez que les actes, lesquels se trouvent énumérés dans le manuel. Et j'accepte votre justice car il peut être en effet déchirant que ce mur aujourd'hui ne soit point franchissable, lequel en d'autres occasions protège des voleurs, si la femme assaillie crie de l'autre côté. Mais un mur est un mur et la loi est la loi.

«Mais vous ne porterez point de jugement sur l'homme. Car j'ai appris dans le silence de mon amour qu'il ne fallait point écouter l'homme pour le comprendre. Et parce qu'il m'est impossible de peser le bien et le mal et que je risque pour extirper le mal d'envoyer le bien à la fournaise. Et comment y prétendrais-tu, toi dont précisément j'exige que tu sois aveugle comme un mur?

«Car déjà j'ai appris du supplicié que si je le brûle, je brûle une part qui est belle et se montre seule dans l'incendie. Mais j'accepte ce sacrifice pour sauver l'armature. Car pour sa mort je tends des ressorts que je ne dois point laisser fléchir.»

CXLI

Je commencerai donc mon discours en te disant:

«Toi l'homme, insatisfait dans tes désirs et brimé par la force, toi qu'un autre toujours empêche de croître…»

Et tu ne t'élèveras point contre moi car il est vrai que tu es insatisfait dans tes désirs et brimé par la force et qu'un autre toujours t'empêche de croître.

Et je t'emmènerai combattre le prince au nom de votre égalité.

Ou bien je te dirai:

«Toi l'homme, qui as besoin d'aimer, qui n'existes qu'à travers l'arbre qu'avec les autres tu composes.»

Et tu ne t'élèveras point contre moi car il est vrai que tu te connais le besoin d'aimer et n'existes qu'à travers l'œuvre que tu sers.

Et je t'emmènerai rétablir le prince sur son trône.

Je te puis donc dire n'importe quoi car tout est vrai. Et si tu me demandes comment reconnaître à l'avance laquelle des vérités se fera vivante et germera, je répondrai que c'est celle-là seule qui sera clef de voûte, langage simple et simplification de tes problèmes. Et peu importe la qualité de mes énoncés. Important est d'abord de t'avoir situé ici ou ailleurs. S'il se trouve que ce point de vue éclaire la plupart de tes litiges — et qu'ils ne soient plus — c'est toi-même qui énonceras tes observations et peu importe si, ici ou là, je me suis mal exprimé ou si même je me suis trompé. Tu verras comme je l'ai voulu car ce que je t'ai apporté ce n'est point un raisonnement mais un point de vue d'où raisonner.

Certes, il se peut que plusieurs langages t'expliquent le monde ou toi-même. Et qu'ils se fassent la guerre. Chacun cohérent et solide. Et sans que rien les départage. Sans qu'il soit non plus en ton pouvoir d'argumenter contre ton adversaire car il a raison autant que toi. Car vous luttez au nom de Dieu.

«L'homme est celui qui produit et consomme…»

Et il est vrai qu'il produit et consomme.

«L'homme est celui qui écrit des poèmes et apprend à lire les astres…»

Et il est vrai qu'il écrit des poèmes et étudie les astres.

«L'homme est celui qui trouve en Dieu seul la béatitude…»

Et il est vrai qu'il apprend la joie dans les monastères.

Mais il est à dire quelque chose de l'homme qui contienne tous tes énoncés, lesquels donnent naissance à des haines. A cause que le champ de la conscience est minuscule et que celui qui a trouvé une formule croit que les autres mentent ou sont dans l'erreur. Mais tous ont raison.

Cependant ayant appris avec une évidence souveraine de ma vie de tous les jours que produire et consommer est, comme les cuisines du palais, non le plus important mais seulement le plus urgent, j'en veux le reflet dans mon principe. Car l'urgence ne me sert de rien et je pourrais dire tout aussi bien: «L'homme est celui qui ne vaut qu'en bonne santé…» et en déduire une civilisation où, sous le prétexte de cette urgence j'installe le médecin comme juge des actions et des pensées de l'homme. Mais là encore, ayant appris de moi-même que la santé n'était qu'un moyen et non un but, je veux, de cette hiérarchie, le reflet aussi dans mon principe. Car si ton principe n'est point absurde, il est probable qu'il entraînera la nécessité de favoriser production et consommation, ou le souhait de la discipline pour la santé. Car de même que la graine qui est une se diversifie selon sa croissance, de même que la civilisation de l'image, qui est une, te meut différemment selon ton cadre ou ton état, de même il n'est rien que mon principe en fin de compte ne gouverne.

Je dirai donc de l'homme: «L'homme étant celui qui ne vaut que dans un champ de force, l'homme étant celui qui ne communique qu'à travers les dieux qu'il se conçoit et qui gouvernent lui et les autres, l'homme étant celui qui ne trouve de joie qu'à s'échanger par sa création, l'homme étant celui qui ne meurt heureux que s'il se délègue, l'homme étant celui qu'épuisent les provisions, et pour qui est pathétique tout ensemble montré, l'homme étant celui qui cherche à connaître et s'enivre s'il trouve, l'homme étant aussi celui qui…»

Il me souvient de le formuler de telle façon que ne soient point soumises et détraquées ses aspirations essentielles. Car s'il est de ruiner l'esprit de création pour fonder l'ordre, cet ordre ne me concerne point. S'il est d'effacer le champ de force pour accroître le tour de ventre, ce tour de ventre ne me concerne point. De même que s'il est de le faire pourrir par le désordre pour le grandir dans mon esprit de création, cette sorte d'esprit qui se ruine soi-même ne me concerne point. Et de même que s'il est de le faire périr pour exalter ce champ de force, car il est alors un champ de force mais il n'est plus d'homme et ce champ de force ne me concerne point.

Donc moi le capitaine qui veille sur la ville, j'ai ce soir à parler sur l'homme, et de la pente que je créerai naîtra la qualité du voyage.

CXLII

Sachant d'abord et avant tout que je n'atteindrai point ainsi une vérité absolue et démontrable et susceptible de convaincre mes adversaires, mais une image contenant un homme en puissance et favorisant ce qui de l'homme me paraît noble, en soumettant à ce principe tous les autres.

Or il est bien évident que ne m'intéresse point de soumettre, en faisant de l'homme celui qui consomme et produit, la qualité de ses amours, la valeur de ses connaissances, la chaleur de ses joies, à l'accroissement de son tour de ventre bien que je prétende lui fournir le plus possible sans qu'il y ait là contradiction ni subterfuge, de même que ceux qui s'occupent de son tour de ventre prétendent ne point en mépriser l'esprit.

Car mon image, si elle est forte, se développera comme une graine et, en conséquence, elle est capitale à choisir. Et où as-tu connu pente vers la mer qui ne se transformât point en navire?

De même que les connaissances ne me paraissent point devoir l'emporter, car il est autre chose d'instruire et d'élever, et je n'ai point constaté que, sur la somme des idées, reposât la qualité d'homme, mais sur la qualité de l'instrument qui permet de les acquérir.

Car tes matériaux seront toujours les mêmes et aucun n'est à négliger, et des mêmes matériaux tu peux tirer tous les visages.

Quant à ceux qui reprocheront au visage choisi d'être gratuit et de soumettre les hommes à l'arbitraire, comme de les convier de mourir pour la conquête de quelque oasis inutile sous prétexte que la conquête leur est belle, je répondrai qu'est hors d'atteinte toute justification, car mon visage peut coexister à tous les autres tout aussi vrais, et nous combattons en fin de compte pour des dieux, lesquels sont choix d'une structure à travers les mêmes objets.

Et seule nous départagerait la révélation et apparition d'archanges. Laquelle est de mauvais guignol, car si Dieu me ressemble pour se montrer à moi il n'est point Dieu, et s'il est Dieu mon esprit le peut lire mais non mes sens. Et s'il est de mon esprit de le lire, je ne le reconnaîtrai que par son retentissement sur moi, comme il en est de la beauté du temple. Et c'est à la façon de l'aveugle qui se guide vers le feu avec ses paumes, lequel feu ne lui est point connaissable par autre chose que son propre contentement, que je le chercherai et le trouverai. (Si je dis que Dieu m'ayant sorti de lui, sa gravitation m'y ramène.) Et si tu vois prospérer le cèdre c'est qu'il trempe dans le soleil bien que le soleil n'ai point de signification pour le cèdre.

Car selon la parole du seul géomètre véritable, mon ami, il me semble que nos structures ressemblent à quelque chose puisqu'il n'est point de démarche explicable qui conduise vers ces puits ignorés. Et si je nomme dieu ce soleil inconnu qui gouverne la gravitation de mes démarches, je veux lire sa vérité à l'efficacité du langage.

Moi qui domine la ville, je suis ce soir comme le capitaine d'un navire en mer. Car tu crois que l'intérêt, le bonheur et la raison gouvernent les hommes. Mais je t'ai refusé ton intérêt et ta raison et ton bonheur car il m'a paru que simplement tu dénommais intérêt ou bonheur ce vers quoi les hommes tendaient, et je n'ai que faire des méduses qui changent de forme, quant à la raison qui va où l'on veut, elle m'a paru trace sur le sable de quelque chose qui est au-dessus d'elle.

Car ce n'est jamais la raison qui a guidé le seul géomètre véritable, mon ami. La raison écrit les commentaires, déduit les lois, rédige les ordonnances et tire l'arbre de sa graine, de conséquence en conséquence, jusqu'au jour où l'arbre étant mort, la raison n'est plus efficace et il te faut une autre graine.

Mais moi qui domine la ville et suis comme le capitaine d'un navire en mer, je sais que l'esprit seul gouverne les hommes et qu'il les gouverne absolument. Car si l'homme a entrevu une structure, écrit le poème, et charrié la graine dans le cœur des hommes, alors se soumettent comme des serviteurs, intérêt, bonheur ou raison qui seront expressions dans le cœur ou ombre sur le mur des réalités, du changement en arbre de ta graine.

Et contre l'esprit il n'est point en ton pouvoir de te défendre. Car si je t'installe sur telle montagne et non telle autre, comment vas-tu nier que les villes et les fleuves font tel arrangement et non un autre puisque simplement cela est?

C'est pourquoi je te ferai devenir. Et c'est pourquoi me voici responsable — bien que dorme ma ville et qu'à lire les actes des hommes tu n'y retrouveras que recherche de l'intérêt, du bonheur ou démarche de la raison — de sa direction véritable sous les étoiles.