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Je donne aux hommes, mais reçois tout des hommes. Où loge la préséance de l'un sur l'autre? Si je donne plus, je reçois plus. Je me fais d'un plus noble empire. Tu le vois bien de tes financiers les plus vulgaires. Ils ne peuvent vivre d'eux-mêmes. Ils chargent quelque courtisane de leur fortune d'émeraudes. Elle rayonne. Ils sont, dès lors, de ce rayonnement. Les voilà satisfaits de si bien reluire. Et cependant pauvres ils sont: ils ne sont que d'une courtisane. Tel autre a tout donné au roi. «De qui es-tu? — Je suis du roi.» Le voilà véritablement qui resplendit.
CXCVII
J'ai connu l'homme qui n'était que de soi car il méprisait jusqu'aux courtisanes. Je t'ai parlé de ce ministre, opulent de ventre et lourd de paupières, qui, m'ayant trahi, se parjura et abjura à l'heure du supplice, se trahissant ainsi lui-même. Et comment n'eût-il pas trahi et l'un et l'autre? Si tu es d'une maison, d'un domaine, d'un dieu, d'un empire, tu sauveras par ton sacrifice ce dont tu es. Ainsi de l'avare qui est d'un trésor. Il a fait son dieu d'un diamant rare. Il mourra contre les voleurs. Mais n'est point ainsi l'opulent de ventre. Il se considère comme idole. Ses diamants sont de lui et l'honorent — mais en retour il n'est point d'eux. Il est borne et mur et non chemin. Et si maintenant tu le domines et le menaces, au nom de quel dieu va-t-il mourir? Il n'est rien en lui que ventre.
L'amour qui s'étale est amour vulgaire. Qui aime contemple et communique dans le silence avec son dieu. La branche a trouvé sa racine. La lèvre a trouvé sa mamelle. Le cœur s'emploie à la prière. Je n'ai que faire de l'opinion d'autrui. Ainsi l'avare lui-même cache à tous son trésor.
L'amour se tait. Mais l'opulence fait appel aux tambours. Qu'est-ce qu'une opulence qui n'est point étalée? Qu'est-ce qu'une idole sans adorateurs? N'est rien l'image de bois peint qui dort, sous les détritus, dans le hangar.
Donc mon ministre, opulent de ventre et lourd de paupières, avait coutume de dire: «Mon domaine, mes troupeaux, mes palais, mes candélabres d'or, mes femmes.» Il fallait bien qu'il existât. Il enrichissait l'admirateur qui se prosternait devant lui. Ainsi le vent, qui n'a point de poids ni d'odeur, connaît qu'il existe en creusant les blés. «Je suis, pense-t-il, puisque je courbe.»
Ainsi non seulement mon ministre goûtait-il l'admiration, mais il goûtait tout aussi bien la haine. Elle lui montait aux narines comme une preuve de soi. «Je suis, puisque je fais crier.» C'est pourquoi il passait sur le ventre du peuple, comme un char.
Aussi n'était rien en lui que vent de paroles vulgaires gonflant une outre. Car il importe, pour que tu sois, que monte l'arbre dont tu es. Tu n'es que charroi et voie et passage. Je veux voir ton Dieu pour croire en toi. Et mon ministre n'était que fosse pour empilage de matériaux.
C'est pourquoi je lui tins ce discours:
«De t'avoir si longtemps entendu dire «Moi… moi… moi…» je me suis tourné, dans ma bonté, vers l'invitation de tes tambours et je t'ai regardé. Je n'ai rien vu qu'un entrepôt de marchandises. A quoi te sert-il de posséder? Tu es magasin ou armoire, mais non plus utile ni plus réel qu'une armoire ou un magasin. Te plaît que l'on dise «l'armoire est pleine» mais qui est-elle?
«Si je te fais trancher la tête pour me distraire de ta grimace qu'y aura-t-il de changé dans l'empire? Tes coffres resteront en place. Que donnais-tu à tes richesses qui pourrait leur manquer?»
L'opulent de ventre ne comprenait point la question, mais commençant de s'inquiéter il respirait mal. Je repris donc:
«Ne crois point que je m'inquiète au nom d'une justice difficile à fixer. Le trésor est beau qui pèse dans tes caves et ce n'est point lui qui me scandalise. Certes tu as pillé l'empire. Mais la graine aussi pille la terre pour construire l'arbre. Montre-moi l'arbre que tu as bâti?
«Ne me gêne point que le vêtement de laine ou le pain de blé soit prélevé sur la sueur du berger et du laboureur afin qu'un sculpteur s'habille et mange. Leur sueur se change, si même ils l'ignorent, en visage de pierre. Le poète pille les greniers puisqu'il se nourrit des grains du grenier sans contribuer à la récolte. Mais il sert un poème. J'use du sang des fils de l'empire pour construire des victoires. Mais je fonde un empire dont ils sont fils. Sculpture, arbre, poème, empire? montre-moi qui tu sers. Car tu n'es que véhicule, voie et charroi…
«Quand tu auras répété mille années durant «moi… moi… moi…» qu'aurai-je appris sur ta démarche? Que sont devenus domaines, pierreries et réserves d'or au travers de toi? Ne crois point que je me tourmente contre le glacier au nom des mares. Je n'irai point reprocher à la graine la gloutonnerie de son pillage. Elle n'est que ferment qui s'oublie, et l'arbre qu'elle délivre la pille elle-même. Tu as pillé, mais qui te pille dont tu sois?
«Belle était cette reine d'un royaume lointain. Et les diamants sués par son peuple devenaient diamants de reine. Et les routiers et les vagabonds de son territoire s'ils débarquaient à l'étranger raillaient les routiers et les vagabonds: «Votre reine, disaient-ils, n'est pas endiamantée! La nôtre est couleur de lune et d'étoile…» Mais voici que tes perles, tes diamants et tes domaines se nouent en toi pour ne rien célébrer que l'opulence d'un ventre lourd. De ces matériaux épars tu construis un temple qui est vulgaire et n'augmente point les matériaux. Tu es le nœud de leur diversité et ce nœud les dessert. La perle qui orne ton doigt est moins belle que simple promesse de la mer. Je romprai le nœud qui me scandalise et ferai de ton édifice litière et fumier pour d'autres arbres. Et de toi que ferai-je? Que ferai-je de la semence d'arbre à travers laquelle la terre enlaidit comme la chair à travers l'abcès?»
Cependant je souhaitais que l'on ne confondît point avec une maigre justice la haute justice que je servais. «Le hasard d'une démarche basse, me disais-je, a noué un trésor qui, divisé, ne serait rien. Il augmente qui le possède, mais il importe que qui le possède l'augmente. Je le pourrais diviser, distribuer et changer en pain pour le peuple, mais ceux de mon peuple, car ils sont nombreux, seront peu augmentés par ce surcroît d'un jour de nourriture. L'arbre une fois bâti est beau, je le veux changer en mât de voilier, non distribuer en bûches à tous pour feu d'une heure. Car peu les augmentera une heure de feu. Mais pleinement les embellira tous le lancer à la mer d'un navire.
«Je veux de ce trésor une image dont puissent s'égayer les cœurs. Je veux rendre aux hommes le goût du miracle, car il est bon que les pêcheurs de perles qui vivent pauvres, tant elles sont dures à déchiffrer du fond des mers croient en la perle merveilleuse. Plus riches ils sont d'une perle trouvée par un seul une fois l'an, et qui change sa destinée, que d'un médiocre supplément de nourriture, dû au partage équitable de toutes les perles de la mer, car celle-là seule qui est unique fleurit pour tous le fond des mers.»
CXCVIII
Je cherchais donc dans ma haute justice un usage digne des richesses confisquées, car je ne me prononce point pour les pierres contre le temple. Peu m'intéressait de répandre le glacier en mare, de disperser le temple en matériaux divers et de soumettre le trésor au pillage. Car le seul pillage que j'honore est celui de la terre par la graine qui se pille soi-même aussi, car elle en meurt, au nom de l'arbre. Peu m'intéressait d'enrichir chacun, faiblement, selon son état, augmentant d'un bijou la courtisane, d'un boisseau de blé le laboureur, d'une chèvre le berger, d'une pièce d'or l'avare. Car misérable alors est l'enrichissement. M'importait de sauver l'unité du trésor afin qu'il rayonnât sur tous comme il en est de la perle indivisible. Car il se trouve que, si tu fondes un dieu, tu le donnes à chacun, en totalité, sans le réduire.
Voici donc que s'émeut ta soif de justice:
«Misérables, dis-tu, sont le laboureur et le berger. De quel droit les frustrerais-tu de leur dû, au nom d'un avantage qu'ils ne souhaitent point ou de quelque dieu qu'ils ignoraient. Je prétends disposer du fruit de mon travail. J'en nourrirai, s'il me plaît, les chanteurs. J'épargnerai, s'il me plaît, pour la fête. Mais de quel droit bâtiras-tu, si je la refuse, ta basilique sur ma sueur?»
Vaine, te dirai-je, est ta justice provisoire car elle n'est que d'un étage. Et il faut choisir. Les matériaux changent de signification en passant d'un étage à l'autre. Tu ne demandes point à la terre si elle souhaite former le blé. Car elle ne conçoit point le blé. Elle est terre, tout simplement. Tu ne souhaites point ce qui n'est pas encore conçu. Telle femme t'est indifférente. Tu ne souhaites point de l'aimer, bien que cet amour s'il te brûlait, ferait peut-être ton bonheur.
Nul ne regrette de ne point désirer se faire géomètre. Nul ne regrette de ne point regretter car une telle démarche est absurde. C'est au blé de fonder la signification de la terre. Elle devient une terre à blé. De même tu ne demandes point au blé de souhaiter devenir conscience et lumière des yeux. Car il ne conçoit point la lumière des yeux ni la conscience. Il est blé, tout simplement. C'est à l'homme de se nourrir et de changer en ferveur et prière du soir le pain de blé. Ainsi ne demande point à mon laboureur s'il désire, par sa sueur, devenir poème ou géométrie ou architecture, car mon laboureur ne les conçoit point. Il userait de son travail pour améliorer sa charrue, car il est laboureur, tout simplement.
Mais j'ai refusé de me prononcer pour les pierres contre le temple, pour la terre contre l'arbre, pour la charrue du laboureur contre la connaissance. Je respecte toute création, bien qu'elle se fonde en apparence sur l'injustice car tu nies la pierre pour bâtir le temple. Cependant la création une fois faite, ne dirai-je pas du temple qu'il est signification de la pierre et justice rendue? Ne dirai-je pas de l'arbre qu'il est ascension de la terre? Ne dirai-je pas de la géométrie qu'elle ennoblit le laboureur, lequel est l'homme, bien qu'il l'ignore?
Je ne fonde point le respect de l'homme sur le partage vain de provisions vaines dans une égalité haineuse. Soldat et capitaine sont égaux en l'empire. Et je dirai que les mauvais sculpteurs sont les égaux du bon sculpteur en le chef-d'œuvre qu'il a créé, car ils lui ont servi de terreau pour son ascension. Ils ont été condition de sa vocation. Je dirai que le laboureur ou le berger sont les égaux du bon sculpteur en son chef-d'œuvre car ils auront été condition de sa création.
Cependant te tourmente encore que je pille ce laboureur qui ne reçoit rien en retour. Et tu rêves d'un empire où les casseurs de pierres le long des routes, les débardeurs du port et les soutiers se puissent enivrer de poésie, de géométrie et de sculpture, et s'imposer d'eux-mêmes, librement, un surcroît de travail pour te nourrir tes poètes, tes géomètres et tes sculpteurs.
Ce quoi faisant, tu confonds la route et le but, car certes j'ai en vue l'ascension de mon laboureur. Serait certes beau celui-là qui s'enivrerait de géométrie. Mais myope et le nez contre, tu veux résoudre ton opération dans le cycle d'une seule vie d'homme et tu prétends ne rien entreprendre qui enjambe les individus comme les générations. Ce en quoi tu te mens à toi-même.
Car tu chantes ceux-là qui sont morts contre la mer à bord de fragiles voiliers, ouvrant à leurs fils l'empire des Iles. Tu chantes ceux-là qui sont morts pour leurs inventions sans en tirer profit, afin que d'autres les puissent parfaire. Tu chantes les soldats sacrifiés sur les remparts qui n'ont rien recueilli pour soi du sang versé. Tu chantes celui-là même qui plante un cèdre, bien qu'il soit vieux et n'espère rien d'une ombre lointaine.
Il est d'autres laboureurs et d'autres bergers que tel poème plus tard remboursera. Car le poème colonise lentement et l'ombre de l'arbre sera pour le fils. Il est bon que le sacrifice rembourse au plus tôt, mais je ne souhaite cependant point qu'il cesse trop vite d'être nécessaire. Car il est condition, signe et route de l'ascension. Trois années durant je cloue et je grée mon navire. Je ne suis remboursé ni par l'odeur des planches ni par le bruit des clous. Sera pour plus tard le jour de la fête. Or il est des navires longs à gréer. Si tu n'as plus à solliciter de sacrifices c'est que tu t'estimes satisfait des navires bâtis, des connaissances acquises, des arbres plantés, des sculptures faites et que tu juges venue l'heure de t'installer en sédentaire, pour l'usage des provisions, dans les coquilles d'autrui.
Dès lors j'irai moi m'installer sur la tour la plus haute afin d'observer l'horizon. Car sera proche l'heure du barbare.
Je te l'ai dit: il n'est point de provision faite. Il n'est que direction, ascension et démarche vers. Les laboureurs auront rejoint les géomètres — afin de recevoir leur plaisir en retour de leur sueur — quand les géomètres ne créeront plus. Si tu marches du même pas derrière l'ami, il importe, s'il a quelque avance et désire que tu le rejoignes, qu'il s'interrompe de marcher. Je te l'ai déjà dit: tu trouveras l'égalité, une fois la marche inutile, là seulement où servent les provisions, à l'heure de la mort, quand Dieu engrange.
Donc il me parut équitable de ne point diviser le trésor.
Car il n'est qu'une justice: je sauverai d'abord ce dont tu es. Justice pour les dieux? justice pour les hommes? Mais le dieu est de toi et je te sauverai s'il est possible, si ton sauvetage le grandit. Mais je ne te sauverai point contre tes dieux. Car tu es d'eux.
Je sauverai l'enfant, s'il est nécessaire, contre la mère, car d'abord il a été d'elle. Mais elle est désormais de lui. Et je sauverai le rayonnement de l'empire contre le laboureur de même que le blé contre la terre. Je sauverai la perle noire dont tu seras, si même elle ne t'échoit point, car elle te fleurit toute la mer, contre le ridicule fragment de perle qui serait de toi et qui ne t'enrichirait guère. Je sauverai le sens de l'amour afin que tu puisses en être, contre l'amour qui serait de toi, comme une acquisition ou comme un droit, car alors tu n'y gagnerais point l'amour.
Je sauverai la source qui t'abreuve, contre ta soif elle-même, sinon tu mourras, d'esprit ou de chair.
Et je me moque bien de ce que les mots se tirent la langue et de ce que je paraisse prétendre t'accorder l'amour en le refusant, et te convier à vivre en t'imposant la mort, car les contraires sont invention du langage, lequel embrouille ce qu'il croit saisir. (Et s'ouvre l'ère de la grande injustice, quand tu exiges de l'homme qu'il se prononce pour ou contre, sous peine de mort.)
Donc il me parut équitable de ne point rembourser le trésor en le dispersant en gravats afin de rendre, car ils en furent pillés, son bijou à la courtisane, sa chèvre au berger, son boisseau de blé au laboureur et sa pièce d'or à l'avare, mais de rembourser à l'esprit ce qui fut emprunté à la chair. Ainsi fais-tu quand tu uses tes muscles à tailler la pierre puis, la victoire une fois gagnée, te frappes les mains l'une contre l'autre, pour te délivrer de leur poussière, te recules en plissant les yeux pour mieux voir, penches un peu la tête sur le côté, puis reçois le sourire du dieu comme une brûlure. J'eusse certes pu colorer de quelque lumière la restitution pure et simple. Car autre chose est de posséder un bijou quelconque, une chèvre, un boisseau de blé, une pièce d'or, desquels tu ne tires guère de plaisir, et de les recevoir en conclusion d'un jour de fête et sommet du cérémonial. Car ces humbles présents ont couleur de cadeau du roi et don de l'amour. Et j'ai connu ce propriétaire de champs de rosés innombrables, qui eût préféré s'en voir dépouiller jusqu'au dernier, plutôt que de perdre une seule rose fanée, cousue dans un humble carré de linge, et qu'il portait contre son cœur. Mais tel ou tel d'entre mes sujets eût pu se tromper et croire dans sa stupidité tirer sa joie du blé, de la chèvre, de l'or, ou d'une rose fanée cousue dans un carré de linge. Et je désirais les instruire. J'eusse certes pu changer mon trésor en récompense. Le général vainqueur, tu l'ennoblis face à l'empire, ou celui-là qui t'inventa une fleur nouvelle, ou un remède, ou un navire. Mais il se fût agit là d'un marché et qui se fût justifié de soi-même, logique et équitable, satisfaisant pour ta maison, mais d'un pouvoir nul sur le cœur. Si je te verse ton salaire, une fois le mois révolu, par où vois-tu qu'il puisse rayonner? Donc me parut peu à attendre de la réparation d'une injustice, de la glorification d'un dévouement, d'un hommage rendu au génie. Tu regardes, tu dis: «C'est bien.» Tout est en ordre, simplement, et tu rentres chez toi t'occuper d'autre chose. Et nul ne reçoit sa part de lumière, car la réparation se doit d'aller naturellement à l'injustice, la glorification au dévouement, l'hommage au génie. Et si ta femme te demande, quand tu pousses la porte: «Que se passe-t-il de neuf dans la ville?» tu répondras, ayant oublié, qu'il n'est rien à lui raconter. Car tu ne songes pas non plus à dire que les maisons sont éclairées par le soleil ou que le fleuve coule vers la mer.
Je déclinai donc la proposition de mon ministre de la justice lequel me prétendait avec obstination me faire glorifier et récompenser la vertu, alors que d'une part tu détruis par là même ce que tu prétends célébrer, et que d'autre part je le soupçonnais de s'intéresser à la vertu comme il se fût intéressé à un emballage pour fruits délicats, non qu'il fût exagérément licencieux, mais parce qu'il l'était avec délicatesse, goûtant d'abord la qualité.
«La vertu, lui répondis-je, je la châtie.»
Et comme il paraissait perplexe:
«Je te l'ai dit de mes capitaines dans le désert. Je les récompense de leur sacrifice dans le sable par l'amour du sable qui leur vient au cœur. Et, de les enfermer dans leur misère, je la fais somptueuse.
«Tes vertueuses, si elles goûtent la couronne de carton d'or, les suffrages des admirateurs et la fortune qui leur échoit, où loge donc leur vertu? Les filles du quartier réservé te font payer moins cher un don moins avare.»
Je déclinai enfin les propositions des architectes. «Vois, dirent-ils, tu peux échanger ce trésor stérile contre un seul temple qui serait la gloire de l'empire, et vers lequel, au cours des siècles, s'épuiseront les caravanes de voyageurs.»
Et certes, je hais l'usuel qui ne t'apporte rien. Et respecte le don aux hommes de l'étendue et du silence Plus utile que la possession d'un grenier de plus me paraît être la possession des étoiles du ciel, — et de la mer — bien que tu ne saches me dire en quoi elles cultivent ton cœur. Mais du quartier de la misère où tu meurs étouffé tu les désires. Elles sont appel vers une migration merveilleuse. Peu importe si elle est impossible. Le regret de l'amour, c'est l'amour. Et te voilà sauvé déjà quand tu tentes d'émigrer vers l'amour.
Cependant je ne croyais point en la démarche. Tu n'achètes point la joie, ni la santé ni l'amour véritable. Tu n'achètes point les étoiles. Tu n'achètes point un temple. Je crois au temple qui te pille. Je crois aux temples grandissants qui arrachent leur sueur aux hommes. Ils délèguent au loin leurs apôtres et ceux-ci te vont rançonner, au nom de leur Dieu. Je crois au temple du roi cruel qui fonde son orgueil dans la pierre. Il draine les mâles du territoire vers son chantier. Et les adjudants, munis de fouets, tirent d'eux le charroi des pierres. Je crois au temple qui t'exploite et te dévore. Et, en retour, te convertit. Car celui-là seul te paie en retour. Car le charrieur de pierres du roi cruel reçoit à son tour le droit à l'orgueil. On le voit se croiser les bras devant l'étrave dont le navire de granit commence de menacer les sables dans la lenteur des siècles à venir. Sa majesté est pour lui, comme pour les autres, car un Dieu, une fois fondé, se donne à tous sans se réduire. Je crois au temple né de l'enthousiasme de la victoire. Tu grées un navire vers l'éternité. Et chacun chante en bâtissant le temple. Et le temps chantera en retour.
Je crois en l'amour qui se change en temple. Je crois en l'orgueil qui se change en temple. Et je croirais, si tu savais me les bâtir, aux temples de colère. Car alors je vois l'arbre qui plonge ses racines dans l'amour, ou l'orgueil, ou l'ivresse de la victoire, ou la colère. Il t'arrache ton suc pour se nourrir. Mais voici que tu offres à l'ambition de ses racines une cave misérable, fût-elle comble d'or. Elle ne saura nourrir qu'un entrepôt pour marchandises. Un siècle de vent, de pluie et de sable te l'effondrera.
Donc ayant dédaigné que le trésor fût enrichissement, ayant dédaigné qu'il fût récompense, ayant dédaigné qu'il se transformât en navire de pierre, n'étant point satisfait dans la recherche d'un visage lumineux et qui embellit le cœur des hommes, je m'en fus réfléchir en silence.
«Il n'est là, songeais-je, qu'engrais et fumier. J'ai tort de prétendre tirer de lui une autre signification.»