37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 102

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bonne foi qui trafiquent de richesses équivalentes:

«Monsieur le comte rend justice à ma loyauté, répondit Anzoleto sur le

même ton. Je vais, s'il veut bien le permettre, lui offrir mon bras pour

qu'il puisse venir reprendre son bien où il le retrouve.»

Le comte avança le bras pour s'appuyer sur Anzoleto, dans je ne sais

quelle intention railleuse et méprisante pour lui et leurs communes

maîtresses. Mais le ténor, dévoré de haine, et transporté d'une rage

profonde, s'élança de tout le poids de son corps sur la gondole du

comte, et la fit chavirer en s'écriant d'une voix sauvage:

«Femme pour femme, monsieur le comte; et _gondole pour gondole!_»

Puis, abandonnant ses victimes à leur destinée, ainsi que la Clorinda à

sa stupeur et aux conséquences de l'aventure, il gagna à la nage la rive

opposée, prit sa course à travers les rues sombres et tortueuses, entra

dans son logement, changea de vêtements en un clin d'oeil, emporta tout

l'argent qu'il possédait, sortit, se jeta dans la première chaloupe qui

mettait à la voile; et, cinglant vers Trieste, il fit claquer ses doigts

en signe de triomphe, en voyant les clochers et les dômes de Venise

s'abaisser sous les flots aux premières clartés du matin.

XXII.

Dans la ramification occidentale des monts Carpathes qui sépare la

Bohême de la Bavière, et qui prend dans ces contrées le nom de

Boehmer-Wald (forêt de Bohême), s'élevait encore, il y a une centaine

d'années, un vieux manoir très vaste, appelé, en vertu de je ne sais

quelle tradition, le _Château des Géants_. Quoiqu'il eut de loin

l'apparence d'une antique forteresse, ce n'était plus qu'une maison de

plaisance, décorée à l'intérieur, dans le goût, déjà suranné à cette

époque, mais toujours somptueux et noble, de Louis XIV. L'architecture

féodale avait aussi subi d'heureuses modifications dans les parties de

l'édifice occupées par les seigneurs de Rudolstadt, maîtres de ce riche

domaine.

Cette famille, d'origine bohème, avait germanisé son nom en abjurant la

Réforme à l'époque la plus tragique de la guerre de trente ans. Un noble

et vaillant aïeul, protestant inflexible, avait été massacré sur la

montagne voisine de son château par la soldatesque fanatique. Sa veuve,

qui était de famille saxonne, sauva la fortune et la vie de ses jeunes

enfants, en se proclamant catholique, et en confiant l'éducation des

héritiers de Rudolstadt à des jésuites. Après deux générations, la

Bohême étant muette et opprimée, la puissance autrichienne

définitivement affermie, la gloire et les malheurs de la Réforme

oubliés, du moins en apparence, les seigneurs de Rudolstadt pratiquaient

doucement les vertus chrétiennes, professaient le dogme romain, et

vivaient dans leurs terres avec une somptueuse simplicité, en bons

aristocrates et en fidèles serviteurs de Marie-Thérèse. Ils avaient fait

leurs preuves de bravoure autrefois au service de l'empereur Charles VI.

Mais on s'étonnait que le dernier de cette race illustre et vaillante,

le jeune Albert, fils unique du comte Christian de Rudolstadt, n'eût

point porté les armes dans la guerre de succession qui venait de finir,

et qu'il fut arrivé à l'âge de trente ans sans avoir connu ni recherché

d'autre grandeur que celle de sa naissance et de sa fortune. Cette

conduite étrange avait inspiré à sa souveraine des soupçons de