37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 113

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aller le rejoindre, tandis qu'Amélie murmurait en joignant les mains:

«II y a ici de la magie, et le Diable demeure avec nous!»

Ces bizarres propos ramenèrent Consuelo au sentiment de terreur

superstitieuse qu'elle avait éprouvé en entrant dans la demeure des

Rudolstadt. La subite pâleur d'Amélie, le silence solennel de ces vieux

valets à culottes rouges, à figures cramoisies, toutes semblables,

toutes larges et carrées, avec ces yeux sans regards et sans vie que

donnent l'amour et l'éternité de la servitude; la profondeur de cette

salle, boisée de chêne noir, où la clarté d'un lustre chargé de bougies

ne suffisait pas à dissiper l'obscurité; les cris de l'effraie qui

recommençait sa chasse après l'orage autour du château; les grands

portraits de famille, les énormes têtes de cerf et de sanglier sculptées

en relief sur la boiserie, tout, jusqu'aux moindres circonstances,

réveillait en elle les sinistres émotions qui venaient à peine de se

dissiper. Les réflexions de la jeune baronne n'étaient pas de nature à

la rassurer beaucoup.

«Ma chère signora, disait-elle en s'apprêtant à la servir, il faut vous

préparer à voir ici des choses inouïes, inexplicables, fastidieuses le

plus souvent, effrayantes parfois; de véritables scènes de roman, que

personne ne voudrait croire si vous les racontiez, et que vous serez

engagée sur l'honneur à ensevelir dans un éternel silence.»

Comme la baronne parlait ainsi, la porte s'ouvrit lentement, et la

chanoinesse Wenceslawa, avec sa bosse, sa figure anguleuse et son

costume sévère, rehaussé du grand cordon de son ordre qu'elle ne

quittait jamais, entra de l'air le plus majestueusement affable qu'elle

eût eu depuis le jour mémorable où l'impératrice Marie-Thérèse, au

retour de son voyage en Hongrie, avait fait au château des Géants

l'insigne honneur d'y prendre, avec sa suite, un verre d'hypocras et une

heure de repos. Elle s'avança vers Consuelo, qui surprise et terrifiée,

la regardait d'un oeil hagard sans songer à se lever, lui fit deux

révérences, et, après un discours en allemand qu'elle semblait avoir

appris par coeur longtemps d'avance, tant il était compassé, s'approcha

d'elle pour l'embrasser au front. La pauvre enfant, plus froide qu'un

marbre, crut recevoir le baiser de la mort, et, prête à s'évanouir,

murmura un remerciement inintelligible.

Quand la chanoinesse eut passé dans le salon, car elle voyait bien que

sa présence intimidait la voyageuse plus qu'elle ne l'avait désiré,

Amélie partit d'un grand éclat de rire.

«Vous avez cru, je gage, dit-elle à sa compagne, voir le spectre de la

reine Libussa? Mais tranquillisez-vous. Cette bonne chanoinesse est ma

tante, la plus ennuyeuse et la meilleure des femmes.»

A peine remise de cette émotion, Consuelo entendit craquer derrière elle

de grosses bottes hongroises. Un pas lourd et mesuré ébranla le pavé, et

une figure massive, rouge et carrée au point que celles des gros

serviteurs parurent pâles et fines à côté d'elle, traversa la salle dans

un profond silence, et sortit par la grande porte que les valets lui

ouvrirent respectueusement. Nouveau tressaillement de Consuelo, nouveau

rire d'Amélie.

«Celui-ci, dit-elle, c'est le baron de Rudolstadt, le plus chasseur, le

plus dormeur, et le plus tendre des pères. Il vient d'achever sa sieste