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la plus petite tache d'hérésie sur notre écusson. Même au temps où la

Saxe était protestante, les Rudolstadt aimèrent mieux abandonner leurs

électeurs protestants que le giron de l'église romaine. Mais ma tante ne

s'avisera jamais de vanter ces choses-là en présence du comte Albert,

sans quoi vous entendriez dire à celui-ci les choses les plus

surprenantes que jamais oreilles humaines aient entendues.

--Vous piquez toujours ma curiosité sans la satisfaire. Je comprends

jusqu'ici que je ne dois pas avoir l'air, devant vos nobles parents, de

partager vos sympathies et celle du comte Albert pour la vieille Bohême.

Vous pouvez, chère baronne, vous en rapporter à ma prudence. D'ailleurs

je suis née en pays catholique, et le respect que j'ai pour ma religion,

autant que celui que je dois à votre famille, suffiraient pour m'imposer

silence en toute occasion.

--Ce sera prudent; car je vous avertis encore une fois que nous sommes

terriblement collets-montés à cet endroit-là. Quant à moi, en

particulier, chère Nina, je suis de meilleure composition. Je ne suis ni

protestante ni catholique. J'ai été élevée par des religieuses; leurs

sermons et leurs patenôtres m'ont ennuyée considérablement. Le même

ennui me poursuit jusqu'ici, et ma tante Wenceslawa résume en elle seule

le pédantisme et les superstitions de toute une communauté. Mais je suis

trop de mon siècle pour me jeter par réaction dans les controverses non

moins assommantes des luthériens: et quant aux hussites, c'est de

l'histoire si ancienne, que je n'en suis guère plus engouée que de la

gloire des Grecs ou des Romains. L'esprit français est mon idéal, et je

ne crois pas qu'il y ait d'autre raison, d'autre philosophie et d'autre

civilisation que celle que l'on pratique dans cet aimable et riant pays

de France, dont je lis quelquefois les écrits en cachette, et dont

j'aperçois le bonheur, la liberté et les plaisirs de loin, comme dans un

rêve à travers les fentes de ma prison.

--Vous me surprenez à chaque instant davantage, dit Consuelo avec

simplicité. D'où vient donc que tout à l'heure vous me sembliez pleine

d'héroïsme en rappelant les exploits de vos antiques Bohémiens? Je vous

ai crue Bohémienne et quelque peu hérétique.

--Je suis plus qu'hérétique, et plus que Bohémienne, répondit Amélie en

riant, je suis un peu incrédule, et tout à fait rebelle. Je hais toute

espèce de domination, qu'elle soit spirituelle ou temporelle, et je

proteste tout bas contre l'Autriche, qui de toutes les duègnes est la

plus guindée et la plus dévote.

--Et le comte Albert est-il incrédule de la même manière? A-t-il aussi

l'esprit français? Vous devez, en ce cas, vous entendre à merveille?

--Oh! nous ne nous entendons pas le moins du monde, et voici, enfin,

après tous mes préambules nécessaires, le moment de vous parler de lui:

«Le comte Christian, mon oncle, n'eut pas d'enfants de sa première

femme. Remarié à l'âge de quarante ans, il eut de la seconde cinq fils

qui moururent tous, ainsi que leur mère, de la même maladie née avec

eux, une douleur continuelle et une sorte de fièvre dans le cerveau.

Cette seconde femme était de pur sang bohème et avait, dit-on, une

grande beauté et beaucoup d'esprit. Je ne l'ai pas connue. Vous verrez

son portrait, en corset de pierreries et en manteau d'écarlate, dans le

grand salon. Albert lui ressemble prodigieusement. C'est le sixième et