37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 119

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le dernier de ses enfants, le seul qui ait atteint l'âge de trente ans;

et ce n'est pas sans peine: car, sans être malade en apparence, il a

passé par de rudes épreuves, et d'étranges symptômes de maladie du

cerveau donnent encore à craindre pour ses jours. Entre nous, je ne

crois pas qu'il dépasse de beaucoup ce terme fatal que sa mère n'a pu

franchir. Quoiqu'il fût né d'un père déjà avancé en âge, Albert est doué

pourtant d'une forte constitution; mais, comme il le dit lui-même, le

mal est dans son âme, et ce mal a été toujours en augmentant. Dès sa

première enfance, il eut l'esprit frappé d'idées bizarres et

superstitieuses. A l'âge de quatre ans, il prétendait voir souvent sa

mère auprès de son berceau, bien qu'elle fût morte et qu'il l'eût vu

ensevelir. La nuit il s'éveillait pour lui répondre; et ma tante

Wenceslawa en fut parfois si effrayée, qu'elle faisait toujours coucher

plusieurs femmes dans sa chambre auprès de l'enfant, tandis que le

chapelain usait je ne sais combien d'eau bénite pour exorciser le

fantôme, et disait des messes par douzaines pour l'obliger à se tenir

tranquille. Mais rien n'y fit; car l'enfant n'ayant plus parlé de ces

apparitions pendant bien longtemps, il avoua pourtant un jour en

confidence à sa nourrice qu'il voyait toujours _sa petite mère_, mais

qu'il ne voulait plus le raconter, parce que monsieur le chapelain

disait ensuite dans la chambre de méchantes paroles pour l'empêcher de

revenir.

«C'était un enfant sombre et taciturne. On s'efforçait de le distraire,

on l'accablait de jouets et de divertissements qui ne servirent pendant

longtemps qu'à l'attrister davantage. Enfin on prit le parti de ne pas

contrarier le goût qu'il montrait pour l'étude, et en effet, cette

passion satisfaite lui donna plus d'animation; mais cela ne fit que

changer sa mélancolie calme et languissante en une exaltation bizarre,

mêlée d'accès de chagrin dont les causes étaient impossibles à prévoir

et à détourner. Par exemple, lorsqu'il voyait des pauvres, il fondait en

larmes, et se dépouillait de toutes ses petites richesses, se reprochant

et s'affligeant toujours de ne pouvoir leur donner assez. S'il voyait

battre un enfant, ou rudoyer un paysan, il entrait dans de telles

indignations, qu'il tombait ou évanoui, ou en convulsion pour des heures

entières. Tout cela annonçait un bon naturel et un grand coeur; mais les

meilleures qualités poussées à l'excès deviennent des défauts ou des

ridicules. La raison ne se développait point dans le jeune Albert en

même temps que le sentiment et l'imagination. L'étude de l'histoire le

passionnait sans l'éclairer. Il était toujours, en apprenant les crimes

et les injustices des hommes, agité d'émotions par trop naïves, comme ce

roi barbare qui, en écoutant la lecture de la passion de Notre-Seigneur,

s'écriait en brandissant sa lance: «Ah! si j'avais été là avec mes

hommes d'armes, de telles choses ne seraient pas arrivées! j'aurais

haché ces méchants Juifs en mille pièces!»

«Albert ne pouvait pas accepter les hommes pour ce qu'ils ont été et

pour ce qu'ils sont encore. Il trouvait le ciel injuste de ne les avoir

pas créés tous bons et compatissants comme lui; et à force de tendresse

et de vertu, il ne s'apercevait pas qu'il devenait impie et misanthrope.

Il ne comprenait que ce qu'il éprouvait, et, à dix-huit ans, il était

aussi incapable de vivre avec les hommes et de jouer dans la société le