37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 12

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passions règnent plus que les attachements, il ne sut point donner à

cette amitié un autre nom que celui d'amour. Consuelo accepta cette

façon de parler; après qu'elle eut fait à Anzoleto l'objection suivante:

«Si tu te dis mon amoureux, c'est donc que tu veux te marier avec moi?»

et qu'il lui eut répondu: «Bien certainement, si tu le veux, nous nous

marierons ensemble.»

Ce fut dès lors une chose arrêtée. Peut-être qu'Anzoleto s'en fit un

jeu, tandis que Consuelo y crut de la meilleure foi du monde. Mais il

est certain que déjà ce jeune coeur éprouvait ces sentiments contraires

et ces émotions compliquées qui agitent et désunissent l'existence des

hommes blasés.

Abandonné à des instincts violents, avide de plaisirs, n'aimant que ce

qui servait à son bonheur, haïssant et fuyant tout ce qui s'opposait à

sa joie, artiste jusqu'aux os, c'est-à-dire cherchant et sentant la vie

avec une intensité effrayante, il trouva que ses maîtresses lui

imposaient les souffrances et les dangers de passions qu'il n'éprouvait

pas profondément. Cependant il les voyait de temps en temps; rappelé par

ses désirs, repoussé bientôt après par la satiété ou le dépit. Et quand

cet étrange enfant avait ainsi dépensé sans idéal et sans dignité

l'excès de sa vie, il sentait le besoin d'une société douce et d'une

expansion chaste et sereine. Il eût put dire déjà, comme Jean-Jacques:

«Tant il est vrai que ce qui nous attache le plus aux femmes est moins

la débauche qu'un certain agrément de vivre auprès d'elles!» Alors, sans

se rendre compte du charme qui l'attirait vers Consuelo, n'ayant guère

encore le sens du beau, et ne sachant si elle était laide ou jolie,

enfant lui-même au point de s'amuser avec elle de jeux au-dessous de son

âge, homme au point de respecter scrupuleusement ses quatorze ans, il

menait avec elle, en public, sur les marbres et sur les flots de Venise,

une vie aussi heureuse, aussi pure, aussi cachée, et presque aussi

poétique que celle de Paul et Virginie sous les pamplemousses du désert.

Quoiqu'ils eussent une liberté plus absolue et plus dangereuse, point de

famille, point de mères vigilantes et tendres pour les former à la

vertu, point de serviteur dévoué pour les chercher le soir et les

ramener au bercail; pas même un chien pour les avertir du danger, ils ne

firent aucun genre de chute. Ils coururent les lagunes en barque

découverte, à toute heure et par tous les temps, sans rames et sans

pilote; ils errèrent sur les paludes sans guide, sans montre, et sans

souci de la marée montante; ils chantèrent devant les chapelles dressées

sous la vigne au coin des rues, sans songer à l'heure avancée, et sans

avoir besoin d'autre lit jusqu'au matin que la dalle blanche encore

tiède des feux du jour. Ils s'arrêtèrent devant le théâtre de

Pulcinella, et suivirent avec une attention passionnée le drame

fantastique de la belle Corisande, reine des marionnettes, sans se

rappeler l'absence du déjeuner el le peu de probabilité du souper. Ils

se livrèrent aux amusements effrénés du carnaval, ayant pour tout

déguisement et pour toute parure, lui sa veste retournée à l'envers,

elle un gros noeud de vieux rubans sur l'oreille. Ils firent des repas

somptueux sur la rampe d'un pont, ou sur les marches d'un palais avec

des fruits de mer[1], des tiges de fenouil cru, ou des écorces de

cédrat. Enfin ils menèrent joyeuse et libre vie, sans plus de caresses