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quelqu'un émettait devant lui une de ces pensées d'égoïsme dont notre
pauvre monde fourmille et sans lequel il n'existerait pas, sans se
soucier de la qualité de cette personne, ni des égards que sa famille
pouvait lui devoir, il lui montrait sur-le-champ un éloignement
invincible, et rien ne l'eût décidé à lui faire le moindre accueil. Il
faisait sa société des êtres les plus vulgaires et les plus disgraciés
de la fortune et même de la nature. Dans les jeux de son enfance, il ne
se plaisait qu'avec les enfants des pauvres, et surtout avec ceux dont
la stupidité ou les infirmités n'eussent inspiré à tout autre que
l'ennui et le dégoût. Il n'a pas perdu ce singulier penchant, et vous ne
serez pas longtemps ici sans en avoir la preuve.
«Comme, au milieu de ces bizarreries, il montrait beaucoup d'esprit, de
mémoire et d'aptitude pour les beaux-arts, son père et sa bonne tante
Wenceslawa, qui l'élevaient avec amour, n'avaient point sujet de rougir
de lui dans le monde. On attribuait ses ingénuités à un peu de
sauvagerie, contractée dans les habitudes de la campagne; et lorsqu'il
était disposé à les pousser trop loin, on avait soin de le cacher, sous
quelque prétexte, aux personnes qui auraient pu s'en offenser. Mais,
malgré ses admirables qualités et ses heureuses dispositions, le comte
et la chanoinesse voyaient avec effroi cette nature indépendante et
insensible à beaucoup d'égards, se refuser de plus en plus aux lois de
la bienséance et aux usages du monde.
--Mais jusqu'ici, interrompit Consuelo je ne vois rien qui prouve cette
déraison dont vous parlez.
--C'est que vous êtes vous-même, à ce que je pense, répondit Amélie, une
belle âme tout à fait candide.... Mais peut-être êtes-vous fatiguée de
m'entendre babiller, et voulez-vous essayer de vous endormir.
--Nullement, chère baronne, je vous supplie de continuer, répondit
Consuelo.»
Amélie reprit son récit en ces termes :
XXVI.
«Vous dites, chère Nina, que vous ne voyez jusqu'ici aucune extravagance
dans les faits et gestes de mon pauvre cousin. Je vais vous en donner de
meilleures preuves. Mon oncle et ma tante sont, à coup sûr, les
meilleurs chrétiens et les âmes les plus charitables qu'il y ait au
monde. Ils ont toujours répandu les aumônes autour d'eux à pleines
mains, et il est impossible de mettre moins de faste et d'orgueil dans
l'emploi des richesses que ne le font ces dignes parents. Eh bien, mon
cousin trouvait leur manière de vivre tout à fait contraire à l'esprit
évangélique. Il eût voulu qu'à l'exemple des premiers chrétiens, ils
vendissent leurs biens, et se fissent mendiants, après les avoir
distribués aux pauvres. S'il ne disait pas cela précisément, retenu par
le respect et l'amour qu'il leur portait, il faisait bien voir que telle
était sa pensée, en plaignant avec amertume le sort des misérables qui
ne font que souffrir et travailler, tandis que les riches vivent dans le
bien-être et l'oisiveté. Quand il avait donné tout l'argent qu'on lui
permettait de dépenser, ce n'était, selon lui, qu'une goutte d'eau dans
la mer; et il demandait d'autres sommes plus considérables, qu'on
n'osait trop lui refuser, et qui s'écoulaient comme de l'eau entre ses