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toilettes que je prodiguais pour lui plaire.
«Mais j'eus bientôt la mortification de voir qu'il se souciait fort peu
de l'une, et qu'il ne voyait pas seulement les autres. Un jour, ma bonne
tante voulut lui faire remarquer une charmante robe bleu lapis qui
dessinait ma taille à ravir. Il prétendit que la robe était d'un beau
rouge. L'abbé, son gouverneur, qui avait toujours des compliments fort
mielleux au bord des lèvres, et qui voulait lui donner une leçon de
galanterie, s'écria qu'il comprenait fort bien que le comte Albert ne
vît pas seulement la couleur de mon vêtement. C'était pour Albert
l'occasion de me dire quelque chose de flatteur sur les roses de mes
joues, ou sur l'or de ma chevelure. Il se contenta de répondre à l'abbé,
d'un ton fort sec, qu'il était aussi capable que lui de distinguer les
couleurs, et que ma robe était rouge comme du sang.
«Je ne sais pourquoi cette brutalité et cette bizarrerie d'expression me
donnèrent le frisson. Je regardai Albert, et lui trouvai un regard qui
me fit peur. De ce jour-là, je commençai à le craindre plus qu'à
l'aimer. Bientôt je ne l'aimai plus du tout, et aujourd'hui je ne le
crains ni ne l'aime. Je le plains, et c'est tout. Vous verrez pourquoi,
peu à peu, et vous me comprendrez.
«Le lendemain, nous devions aller faire quelques emplettes à Tauss; la
ville la plus voisine. Je me promettais un grand plaisir de cette
promenade; Albert devait m'accompagner à cheval. J'étais prête, et
j'attendais qu'il vînt me présenter la main. Les voitures attendaient
aussi dans la cour. Il n'avait pas encore paru. Son valet de chambre
disait avoir frappé à sa porte à l'heure accoutumée. On envoya de
nouveau savoir s'il se préparait. Albert avait la manie de s'habiller
toujours lui-même, et de ne jamais laisser aucun valet entrer dans sa
chambre avant qu'il en fût sorti. On frappa en vain; il ne répondit pas.
Son père, inquiet de ce silence, monta à sa chambre, et ne put ni ouvrir
la porte, qui était barricadée en dedans, ni obtenir un mot. On
commençait à s'effrayer, lorsque l'abbé dit d'un air fort tranquille que
le comte Albert était sujet à de longs accès de sommeil qui tenaient de
l'engourdissement, et que lorsqu'on voulait l'en tirer brusquement, il
était agité et comme souffrant pendant plusieurs jours.
«--Mais c'est une maladie, cela, dit la chanoinesse avec inquiétude.
«--Je ne le pense pas, répondit l'abbé. Je ne l'ai jamais entendu se
plaindre de rien. Les médecins que j'ai fait venir lorsqu'il dormait
ainsi, ne lui ont trouvé aucun symptôme de fièvre, et ont attribué cet
accablement à quelque excès de travail ou de réflexion. Ils ont
grandement conseillé de ne pas contrarier ce besoin de repos et d'oubli
de toutes choses.
«--Et cela est fréquent? demanda mon oncle.
«--J'ai observé ce phénomène cinq ou six fois seulement durant huit
années, répondit l'abbé; et, ne l'ayant jamais troublé par mes
empressements, je ne l'ai jamais vu avoir de suites fâcheuses.
«--Et cela dure-t-il longtemps? demandai-je à mon tour, fort
impatientée.
«--Plus ou moins, dit l'abbé, suivant la durée de l'insomnie qui précède
ou occasionne ces fatigues: mais nul ne peut le savoir, car monsieur le