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Il est extrêmement assidu au travail, et s'en cache avec une modestie
bien rare.
«--Il est donc bien savant? repris-je.
«--Il est extrêmement savant.
«--Et il ne le montre jamais?
«--Il en fait mystère, et ne s'en doute pas lui-même.
«--À quoi cela lui sert-il, en ce cas?
«--Le génie est comme la beauté, répondit ce jésuite courtisan en me
regardant d'un air doucereux: ce sont des grâces du ciel qui ne
suggèrent ni orgueil ni agitation à ceux qui les possèdent.»
«Je compris la leçon, et n'en eus que plus de dépit, comme vous pouvez
croire. On résolut d'attendre, pour sortir, le réveil de mon cousin;
mais lorsqu'au bout de deux heures, je vis qu'il ne bougeait, j'allai
quitter mon riche habit d'amazone, et je me mis à broder au métier, non
sans casser beaucoup de soies, et sans sauter beaucoup de points.
J'étais outrée de l'impertinence d'Albert, qui s'était oublié sur ses
livres la veille d'une promenade avec moi, et qui, maintenant,
s'abandonnait aux douceurs d'un paisible sommeil, pendant que je
l'attendais. L'heure s'avançait, et force fut de renoncer au projet de
la journée. Mon père, bien confiant aux paroles de l'abbé, prit son
fusil, et alla tuer un lièvre ou deux. Ma tante, moins rassurée, monta
les escaliers plus de vingt fois pour écouter à la porte de son neveu,
sans pouvoir entendre même le bruit de sa respiration. La pauvre femme
était désolée de mon mécontentement. Quant à mon oncle, il prit un livre
de dévotion pour se distraire de son inquiétude, et se mit à lire dans
un coin du salon avec une résignation qui me donnait envie de sauter par
les fenêtres. Enfin, vers le soir, ma tante, toute joyeuse, vint nous
dire qu'elle avait entendu Albert se lever et s'habiller. L'abbé nous
recommanda de ne paraître ni inquiets ni surpris, de ne pas adresser de
questions à monsieur le comte, et de tâcher de le distraire s'il
montrait quelque chagrin de sa mésaventure.
«--Mais si mon cousin n'est pas malade, il est donc maniaque?
m'écriai-je avec un peu d'emportement.
«Je vis la figure de mon oncle se décomposer à cette dure parole, et
j'en eus des remords sur-le-champ. Mais lorsque Albert entra sans faire
d'excuses à personne, et sans paraître se douter le moins du monde de
notre contrariété, je fus outrée, et lui fis un accueil très-sec. Il ne
s'en aperçut seulement pas. Il paraissait plongé dans ses réflexions.
Le soir, mon père pensa qu'un peu de musique l'égaierait. Je n'avais pas
encore chanté devant Albert. Ma harpe n'était arrivée que de la veille.
Ce n'est pas devant vous, savante Porporina, que je puis me piquer de
connaître la musique. Mais vous verrez que j'ai une jolie voix, et que
je ne manque pas de goût naturel. Je me fis prier; j'avais plus envie de
pleurer que de chanter; Albert ne dit pas un mot pour m'y encourager.
Enfin je cédai; mais je chantai fort mal, et Albert, comme si je lui
eusse écorché les oreilles, eut la grossièreté de sortir au bout de
quelques mesures. Il me fallut toute la force de mon orgueil pour ne pas
fondre en larmes, et pour achever mon air sans faire sauter les cordes
de ma harpe. Ma tante avait suivi son neveu, mon père s'était endormi,