37603.fb2
ajouta mille choses incompréhensibles sur la vie éternelle et
perpétuelle, sur la réapparition des hommes sur la terre, se fondant sur
cet article de la croyance hussitique, que Jean Huss devait revenir en
Bohême cent ans après sa mort, et compléter son oeuvre; prédiction qui
s'était accomplie, puisque, selon lui, Luther était Jean Huss
ressuscité. Enfin ses discours furent un mélange d'hérésie, de
superstition, de métaphysique obscure, de délire poétique; et tout cela
fut débité avec une telle apparence de conviction, avec des souvenirs si
détaillés, si précis, et si intéressants, de ce qu'il prétendait avoir
vu, non-seulement dans la personne de Wratislaw, mais encore dans celle
de Jean Ziska, et de je ne sais combien d'autres morts qu'il soutenait
avoir été ses propres apparitions dans la vie du passé, que nous
restâmes tous béants à l'écouter, sans qu'aucun de nous eût la force de
l'interrompre ou de le contredire. Mon oncle et ma tante, qui
souffraient horriblement de cette démence, impie selon eux, voulaient du
moins la connaître à fond; car c'était la première fois qu'elle se
manifestait ouvertement, et il fallait bien en savoir la source pour
tâcher ensuite de la combattre. L'abbé s'efforçait de tourner la chose
en plaisanterie, et de nous faire croire que le comte Albert était un
esprit fort plaisant et fort malicieux, qui prenait plaisir à nous
mystifier par son incroyable érudition.
«--II a tant lu, nous disait-il, qu'il pourrait nous raconter ainsi
l'histoire de tous les siècles, chapitre par chapitre, avec assez de
détails et de précision pour faire accroire à des esprits un peu portés
au merveilleux, qu'il a véritablement assisté aux scènes qu'il raconte.»
«La chanoinesse, qui, dans sa dévotion ardente, n'est pas très-éloignée
de la superstition, et qui commençait à croire son neveu sur parole,
prit très-mal les insinuations de l'abbé, et lui conseilla de garder ses
explications badines pour une occasion plus gaie; puis elle fit un grand
effort pour amener Albert à rétracter les erreurs dont il avait la tête
remplie.
«--Prenez garde, ma tante; s'écria Albert avec impatience, que je ne
vous dise qui vous êtes. Jusqu'ici je n'ai pas voulu le savoir; mais
quelque chose m'avertit en ce moment que la Saxonne Ulrique est auprès
de moi.
«--Eh quoi, mon pauvre enfant, répondit-elle, cette aïeule prudente et
dévouée qui sut conserver à ses enfants la vie, et à ses descendants
l'indépendance, les biens et les honneurs dont ils jouissent, vous
pensez qu'elle revit en moi? Eh bien, Albert, je vous aime tant, que
pour vous je ferais plus encore: je sacrifierais ma vie, si je pouvais,
à ce prix, calmer votre esprit égaré.»
«Albert la regarda quelques instants avec des yeux à la fois sévères et
attendris.
«--Non, non, dit-il enfin en s'approchant d'elle, et en s'agenouillant à
ses pieds, vous êtes un ange, et vous avez communié jadis dans la coupe
de bois des Hussites. Mais la Saxonne est ici, cependant, et sa voix a
frappé mon oreille aujourd'hui à plusieurs reprises.
«--Prenez que c'est moi, Albert, lui dis-je en m'efforçant de l'égayer,
et ne m'en veuillez pas trop de ne pas vous avoir livré aux bourreaux en