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sourire à chaque mot. Il ne lui fallut pas écouter quatre mesures pour
se convaincre que la jeune baronne n'avait aucune notion vraie, aucune
intelligence de la musique. Elle avait le timbre flexible, et pouvait
avoir reçu de bonnes leçons; mais son caractère était trop léger pour
lui permettre d'étudier quoi que ce fût en conscience. Par la même
raison, elle ne doutait pas de ses forces, et sabrait avec un sang-froid
germanique les traits les plus audacieux et les plus difficiles. Elle
les manquait tous sans se déconcerter, et croyait couvrir ses
maladresses en forçant l'intonation, et en frappant l'accompagnement
avec vigueur, rétablissant la mesure comme elle pouvait, en ajoutant des
temps aux mesures qui suivaient celles où elle en avait supprimé, et
changeant le caractère de la musique à tel point que Consuelo eût eu
peine à reconnaître ce qu'elle entendait, si le cahier n'eût été devant
ses yeux.
Cependant le comte Christian, qui s'y connaissait bien, mais qui
supposait à sa nièce la timidité qu'il aurait eue à sa place, disait de
temps en temps pour l'encourager: «Bien, Amélie, bien! belle musique, en
vérité, belle musique!»
La chanoinesse, qui n'y entendait pas grand'chose, cherchait avec
sollicitude dans les yeux de Consuelo à pressentir son opinion; et le
baron, qui n'aimait pas d'autre musique que celle des fanfares de
chasse, s'imaginant que sa fille chantait trop bien pour qu'il pût la
comprendre, attendait avec confiance l'expression du contentement de son
juge. Le chapelain seul était charmé de ces gargouillades, qu'il n'avait
jamais entendues avant l'arrivée d'Amélie au château, et balançait sa
grosse tête ave un sourire de béatitude.
Consuelo vit bien que dire la vérité crûment serait porter la
consternation dans la famille. Elle se réserva d'éclairer son élève en
particulier sur tout ce qu'elle avait à oublier avant d'apprendre
quelque chose, donna des éloges à sa voix, la questionna sur ses études,
approuva le choix des maîtres qu'on lui avait fait étudier, et se
dispensa ainsi de déclarer qu'elle les avait étudiés à contre-sens.
On se sépara fort satisfait d'une épreuve qui n'avait été cruelle que
pour Consuelo. Elle eut besoin d'aller s'enfermer dans sa chambre avec
la musique qu'elle venait d'entendre profaner, et de la lire des yeux,
en la chantant mentalement, pour effacer de son cerveau l'impression
désagréable qu'elle venait de recevoir.
XXX
Lorsqu'on se rassembla de nouveau vers le soir, Consuelo se sentant plus
à l'aise avec toutes ces personnes qu'elle commençait à connaître,
répondit avec moins de réserve et de brièveté aux questions que, de leur
côté, elles s'enhardirent à lui adresser sur son pays, sur son art, et
sur ses voyages. Elle évita soigneusement, ainsi qu'elle se l'était
prescrit, de parler d'elle-même, et raconta les choses au milieu
desquelles elle avait vécu sans jamais faire mention du rôle qu'elle y
avait joué. C'est en vain que la curieuse Amélie s'efforça de l'amener
dans la conversation à développer sa personnalité. Consuelo ne tomba pas
dans ses pièges, et ne trahit pas un seul instant l'incognito qu'elle
s'était promis de garder. Il serait difficile de dire précisément