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été promise.
«--Quelle est donc cette consolation, mon fils? dit le comte Christian
mortellement affligé; ne peut-elle venir de nous, et ne pouvons-nous
jamais arriver à nous entendre?
«--Jamais, mon père. Aimons-nous, puisque cela seul nous est permis. Le
ciel m'est témoin que notre désaccord immense, irréparable, n'a jamais
altéré en moi l'amour que je vous porte.
--Et cela ne suffit-il pas? dit la chanoinesse en lui prenant une main,
tandis que son frère pressait l'autre main d'Albert dans les siennes; ne
peux-tu oublier tes idées étranges, tes bizarres croyances, pour vivre
d'affection au milieu de nous?
«Je vis d'affection, répondit Albert. C'est un bien qui se communique et
s'échange délicieusement ou amèrement, selon que la foi religieuse est
commune ou opposée. Nos coeurs communient ensemble, ô ma tante
Wenceslawa! mais nos intelligences se font la guerre, et c'est une
grande infortune pour nous tous! Je sais qu'elle ne cessera point avant
plusieurs siècles, voilà pourquoi j'attendrai dans celui-ci un bien qui
m'est promis, et qui me donnera la force d'espérer.
«--Quel est ce bien, Albert? ne peux-tu me le dire?
«--Non, je ne puis le dire, parce que je l'ignore; mais il viendra. Ma
mère n'a point passé une semaine sans me l'annoncer dans mon sommeil, et
toutes les voix de la forêt me l'ont répété chaque fois que je les ai
interrogées. Un ange voltige souvent, et me montre sa face pâle et
lumineuse au-dessus de la pierre d'épouvante; à cet endroit sinistre,
sous l'ombrage de ce chêne, où, lorsque les hommes mes contemporains
m'appelaient Ziska, je fus transporté de la colère du Seigneur, et
devins pour la première fois l'instrument de ses vengeances; au pied de
cette roche où, lorsque je m'appelais Wratislaw, je vis rouler d'un coup
de sabre la tête mutilée et défigurée de mon père Withold, redoutable
expiation qui m'apprit ce que c'est que la douleur et la pitié, jour de
rémunération fatale, où le sang luthérien lava le sang catholique, et
qui fit de moi un homme faible et tendre, au lieu d'un homme de
fanatisme et de destruction que j'avais été cent ans auparavant....
--Bonté divine, s'écria ma tante en se signant, voilà sa folie qui le
reprend!
--Ne le contrariez point, ma soeur, dit le comte Christian en faisant un
grand effort sur lui-même; laissez-le s'expliquer. Parle, mon fils,
qu'est-ce que l'ange t'a dit sur la pierre d'épouvante?
«--Il m'a dit que ma consolation était proche, répondit Albert avec un
visage rayonnant d'enthousiasme, et qu'elle descendrait dans mon coeur
lorsque j'aurais accompli ma vingt-neuvième année.
«Mon oncle laissa retomber sa tête sur son sein. Albert semblait faire
allusion à sa mort en désignant l'âge où sa mère était morte, et il
paraît qu'elle avait souvent prédit, durant sa maladie, que ni elle ni
ses fils n'atteindraient l'âge de trente ans. Il paraît que ma tante
Wanda était aussi un peu illuminée pour ne rien dire de plus; mais je
n'ai jamais pu rien savoir de précis à cet égard. C'est un souvenir trop
douloureux pour mon oncle, et personne n'ose le réveiller autour de lui.
«Le chapelain tenta d'éloigner la funeste pensée que cette prédiction