37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 163

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Un peu honteuse de sa frayeur, Consuelo resta enchaînée à sa place par

le respect, et par la crainte de troubler une si fervente prière. Rien

n'était plus solennel et plus touchant à voir que ce vieillard prosterné

sur la pierre, offrant son coeur à Dieu au lever de l'aube, et plongé

dans une sorte de ravissement céleste qui semblait fermer ses sens à

toute perception du monde physique. Sa noble figure ne trahissait aucune

émotion douloureuse. Un vent frais, pénétrant par la porte que Consuelo

avait laissée entr'ouverte, agitait autour de sa nuque une demi-couronne

de cheveux argentés; et son vaste front, dépouillé jusqu'au sommet du

crâne, avait le luisant jaunâtre des vieux marbres. Revêtu d'une robe de

chambre de laine blanche à l'ancienne mode, qui ressemblait un peu à un

froc de moine, et qui formait sur ses membres amaigris de gros plis

raides et lourds, il avait tout l'air d'une statue de tombeau; et quand

il eut repris son immobilité, Consuelo fut encore obligée de le regarder

à deux fois pour ne pas retomber dans sa première illusion.

Après qu'elle l'eut considéré attentivement, en se plaçant un peu de

côté pour le mieux voir, elle se demanda, comme malgré elle, tout au

milieu de son admiration et de son attendrissement, si le genre de

prière que ce vieillard adressait à Dieu était bien efficace pour la

guérison de son malheureux fils, et si une âme aussi passivement soumise

aux arrêts du dogme et aux rudes décrets de la destinée avait jamais

possédé la chaleur, l'intelligence et le zèle qu'Albert aurait eu besoin

de trouver dans l'âme de son père. Albert aussi avait une âme mystique:

lui aussi avait eu une vie dévote et contemplative, mais, d'après tout

ce qu'Amélie avait raconté à Consuelo, d'après ce qu'elle avait vu de

ses propres yeux depuis quelques jours passés dans le château, Albert

n'avait jamais rencontré le conseil, le guide et l'ami qui eût pu

diriger son imagination, apaiser la véhémence de ses sentiments, et

attendrir la rudesse brûlante de sa vertu. Elle comprenait qu'il avait

dû se sentir isolé, et se regarder comme étranger au milieu de cette

famille obstinée à le contredire ou à le plaindre en silence, comme un

hérétique ou comme un fou; elle le sentait elle-même, à l'espèce

d'impatience que lui causait cette impassible et interminable prière

adressée au ciel, comme pour se remettre à lui seul du soin qu'on eût dû

prendre soi-même de chercher le fugitif, de le rejoindre, de le

persuader, et de le ramener. Car il fallait de bien grands accès de

désespoir, et un trouble intérieur inexprimable, pour arracher ainsi un

jeune homme si affectueux et si bon du sein de ses proches, pour le

jeter dans un complet oubli de soi-même, et pour lui ravir jusqu'au

sentiment des inquiétudes et des tourments qu'il pouvait causer aux

êtres les plus chers.

Celte résolution qu'on avait prise de ne jamais le contrarier, et de

feindre le calme au milieu de l'épouvante, semblait à l'esprit ferme et

droit de Consuelo une sorte de négligence coupable ou d'erreur

grossière. Il y avait là l'espèce d'orgueil et d'égoïsme qu'inspire une

foi étroite aux gens qui consentent à porter le bandeau de

l'intolérance, et qui croient à un seul chemin, rigidement tracé par la

main du prêtre, pour aller au ciel.

«Dieu bon! disait Consuelo en priant dans son coeur; cette grande âme

d'Albert, si ardente, si charitable, si pure de passions humaines,