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un arbre de la forêt ne serait resté debout avant de me l'avoir rendu.»
Perdue dans ses pensées, Consuelo était sortie sans bruit de l'oratoire
du comte Christian, et elle avait trouvé, sans savoir comment, une porte
sur la campagne. Elle errait parmi les sentiers de la forêt, et
cherchait les plus sauvages, les plus difficiles, guidée, par un
instinct romanesque et plein d'héroïsme qui lui faisait espérer de
retrouver Albert. Aucun attrait vulgaire, aucune ombre de fantaisie
imprudente ne la portait à ce dessein aventureux. Albert remplissait son
imagination, et occupait tous ses rêves, il est vrai; mais à ses yeux ce
n'était point un jeune homme beau et enthousiasmé d'elle qu'elle allait
cherchant dans les lieux déserts, pour le voir et se trouver seule avec
lui; c'était un noble infortuné qu'elle s'imaginait pouvoir sauver ou
tout au moins calmer par la pureté de son zèle. Elle eût cherché de même
un vénérable ermite malade pour le soigner, ou un enfant perdu pour le
ramener à sa mère. Elle était un enfant elle-même, et cependant il y
avait en elle une révélation de l'amour maternel; il y avait une foi
naïve, une charité brûlante, une bravoure exaltée.
Elle rêvait et entreprenait ce pèlerinage, comme Jeanne d'Arc avait rêvé
et entrepris la délivrance de sa patrie. Il ne lui venait pas seulement
à l'esprit qu'on pût railler ou blâmer sa résolution; elle ne concevait
pas qu'Amélie, guidée par la voix du sang, et, dans le principe, par les
espérances de l'amour, n'eût pas conçu le même projet, et qu'elle n'eût
pas réussi à l'exécuter. Elle marchait avec rapidité; aucun obstacle ne
l'arrêtait. Le silence de ces grands bois ne portait plus la tristesse
ni l'épouvante dans son âme. Elle voyait la piste des loups sur le
sable, et ne s'inquiétait pas de rencontrer leur troupe affamée. Il lui
semblait qu'elle était poussée par une main divine qui la rendait
invulnérable. Elle qui savait le Tasse par coeur, pour l'avoir chanté
toutes les nuits sur les lagunes, elle s'imaginait marcher à l'abri de
son talisman, comme le généreux Ubalde à la reconnaissance de Renaud à
travers les embûches de la forêt enchantée. Elle marchait svelte et
légère, parmi les ronces et les rochers, le front rayonnant d'une
secrète fierté, et les joues colorées d'une légère rougeur. Jamais elle
n'avait été plus belle à la scène dans les rôles héroïques; et pourtant
elle ne pensait pas plus à la scène en cet instant qu'elle n'avait pensé
à elle-même en montant sur le théâtre.
De temps en temps elle s'arrêtait rêveuse et recueillie.
«Et si je venais à le rencontrer tout à coup, se disait-elle, que lui
dirais-je qui pût le convaincre et le tranquilliser? Je ne sais rien de
ces choses mystérieuses et profondes qui l'agitent. Je les comprends à
travers un voile de poésie qu'on a à peine soulevé devant mes yeux,
éblouis de visions si nouvelles. Il faudrait avoir plus que le zèle et
la charité, il faudrait avoir la science et l'éloquence pour trouver des
paroles dignes d'être écoutées par un homme si supérieur à moi, par un
fou si sage auprès de tous les êtres raisonnables au milieu desquels
j'ai vécu. Allons, Dieu m'inspirera quand le moment sera venu; car pour
moi, j'aurais beau chercher, je me perdrais de plus en plus dans les
ténèbres de mon ignorance. Ah! si j'avais lu beaucoup de livres de
religion et d'histoire, comme le comte Christian et la chanoinesse