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toutes les prières de l'Eglise, je trouverais bien à en appliquer
heureusement quelqu'une à la circonstance; mais j'ai à peine compris, à
peine retenu par conséquent quelques phrases du catéchisme, et je ne
sais prier qu'au lutrin. Quelque sensible qu'il soit à la musique, je ne
persuaderai pas ce savant théologien avec une cadence ou avec une phrase
de chant. N'importe! il me semble qu'il y a plus de puissance dans mon
coeur pénétré et résolu, que dans toutes les doctrines étudiées par ses
parents, si bons et si doux, mais indécis et froids comme les
brouillards et les neiges de leur patrie.»
XXXV.
Après bien des détours et des retours dans les inextricables sentiers de
cette forêt jetée sur un terrain montueux et tourmenté, Consuelo se
trouva sur une élévation semée de roches et de ruines qu'il était assez
difficile de distinguer les unes des autres, tant la main de l'homme,
jalouse de celle du temps, y avait été destructive. Ce n'était plus
qu'une montagne de débris, où jadis un village avait été brûlé par
l'ordre du _redoutable aveugle_, le célèbre chef Calixtin Jean Ziska,
dont Albert croyait descendre, et dont il descendait peut-être en effet.
Durant une nuit profonde et lugubre, le farouche et infatigable
capitaine ayant commandé à sa troupe de donner l'assaut à la forteresse
des Géants, alors gardée pour l'Empereur par des Saxons, il avait
entendu murmurer ses soldats, et un entre autres dire non loin de lui:
«Ce maudit aveugle croit que, pour agir, chacun peut, comme lui, se
passer de la lumière.» Là-dessus Ziska, se tournant vers un des quatre
disciples dévoués qui l'accompagnaient partout, guidant son cheval ou
son chariot, et lui rendant compte avec précision de la position
topographique et des mouvements de l'ennemi, il lui avait dit, avec
cette sûreté de mémoire ou cet esprit de divination qui suppléaient en
lui au sens de la vue: «II y a ici près un village?--Oui, père, avait
répondu le conducteur taborite; à ta droite, sur une éminence, en face
de la forteresse.» Alors Ziska avait fait appeler le soldat mécontent
dont le murmure avait fixé son attention: «Enfant, lui avait-il dit, tu
te plains des ténèbres, va-t'en bien vite mettre le feu au village qui
est sur l'éminence, à ma droite; et, à la lueur des flammes, nous
pourrons marcher et combattre.»
L'ordre terrible avait été exécuté. Le village incendié avait éclairé la
marche et l'assaut des Taborites. Le château des Géants avait été
emporté en deux heures, et Ziska en avait pris possession. Le lendemain,
au jour, on remarqua et on lui fit savoir qu'au milieu des décombres du
village, et tout au sommet de la colline qui avait servi de plate-forme
aux soldats pour observer les mouvements de la forteresse, un jeune
chêne, unique dans ces contrées, et déjà robuste, était resté debout et
verdoyant, préservé apparemment de la chaleur des flammes qui montaient
autour de lui par l'eau d'une citerne qui baignait ses racines.
«Je connais bien la citerne, avait répondu Ziska. Dix des nôtres y ont
été jetés par les damnés habitants de ce village, et depuis ce temps la
pierre qui la couvre n'a point été levée. Qu'elle y reste et leur serve
de monument, puisque, aussi bien, nous ne sommes pas de ceux qui croient
les âmes errantes repoussées à la porte des cieux par le patron romain