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cadavres pourrissent dans une terre non bénite par la main des prêtres
de Bélial. Que les os de nos frères reposent en paix dans cette citerne;
leurs âmes sont vivantes. Elles ont déjà revêtu d'autres corps, et ces
martyrs combattent parmi nous, quoique nous ne les connaissions point.
Quant aux habitants du village, ils ont reçu leur paiement; et quant au
chêne, il a bien fait de se moquer de l'incendie: une destinée plus
glorieuse que celle d'abriter des mécréants lui était réservée. Nous
avions besoin d'une potence, et la voici trouvée. Allez-moi chercher ces
vingt moines augustins que nous avons pris hier dans leur couvent, et
qui se font prier pour nous suivre. Courons les pendre haut et court aux
branches de ce brave chêne, à qui cet ornement rendra tout à fait la
santé.»
Aussitôt dit, aussitôt fait. Le chêne, depuis ce temps là, avait été
nommé le _Hussite_, la pierre de la citerne, _Pierre d'épouvante_, et le
village détruit sur la colline abandonnée, _Schreckenstein_.
Consuelo avait déjà entendu raconter dans tous ses détails, par la
baronne Amélie, cette sombre chronique. Mais, comme elle n'en avait
encore aperçu le théâtre que de loin, ou pendant la nuit au moment de
son arrivée au château, elle ne l'eût pas reconnu, si, en jetant les
yeux au-dessous d'elle, elle n'eût vu, au fond du ravin que traversait
la route, les formidables débris du chêne, brisé par la foudre, et
qu'aucun habitant de la campagne, aucun serviteur du château n'avait osé
dépecer ni enlever, une crainte superstitieuse s'attachant encore pour
eux, après plusieurs siècles, à ce monument d'horreur, à ce contemporain
de Jean Ziska.
Les visions et les prédictions d'Albert avaient donné à ce lieu tragique
un caractère plus émouvant encore. Aussi Consuelo, en se trouvant seule
et amenée à l'improviste à la pierre d'épouvante, sur laquelle même elle
venait de s'asseoir, brisée de fatigue, sentit-elle faiblir son courage,
et son coeur se serrer étrangement. Non seulement, au dire d'Albert,
mais à celui de tous les montagnards de la contrée, des apparitions
épouvantables hantaient le Schreckenstein, et en écartaient les
chasseurs assez téméraires pour venir y guetter le gibier. Cette
colline, quoique très-rapprochée du château, était donc souvent le
domicile des loups et des animaux sauvages, qui y trouvaient un refuge
assuré contre les poursuites du baron et de ses limiers. L'impassible
Frédérick ne croyait pas beaucoup, pour son compte, au danger d'y être
assailli par le diable, avec lequel il n'eût pas craint d'ailleurs de se
mesurer corps à corps; mais, superstitieux à sa manière, et dans l'ordre
de ses préoccupations dominantes, il était persuadé qu'une pernicieuse
influence y menaçait ses chiens, et les y atteignait de maladies
inconnues et incurables. Il en avait perdu plusieurs pour les avoir
laissés se désaltérer dans les filets d'eau claire qui s'échappaient des
veines de la colline, et qui provenaient peut-être de la citerne
condamnée, antique tombeau des Hussites. Aussi rappelait-il de toute
l'autorité de son sifflet sa griffonne Pankin ou son _double-nez_
Saphyr, lorsqu'ils s'oubliaient aux alentours du Schreckenstein.
Consuelo, rougissant des accès de pusillanimité qu'elle avait résolu de
combattre, s'imposa de rester un instant sur la pierre fatale, et de ne