37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 206

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Avant d'oser approcher de la troisième porte, Consuelo jeta un regard sur

l'arrangement de cet ermitage, afin d'y chercher quelque révélation sur

l'état moral de l'homme qui l'occupait. Elle n'y trouva aucune trace de

démence ni de désespoir. Une grande propreté, une sorte d'ordre y

régnait. Il y avait un manteau et des vêtements de rechange accrochés à

des cornes d'aurochs, curiosités qu'Albert avait rapportées du fond de

la Lithuanie; et qui servaient de porte-manteaux. Ses livres nombreux

étaient bien rangés sur une bibliothèque en planches brutes, que

soutenaient de grosses branches artistement agencées par une main

rustique et intelligente. La table, les deux chaises, étaient de la même

matière et du même travail. Un herbier et des livres de musique anciens,

tout à fait inconnus à Consuelo, avec des titres et des paroles slaves,

achevaient de révéler les habitudes paisibles, simples et studieuses

de l'anachorète. Une lampe de fer curieuse par son antiquité, était

suspendue au milieu de la voûte, et brûlait dans l'éternelle nuit de ce

sanctuaire mélancolique.

Consuelo remarqua encore qu'il n'y avait aucune arme dans ce lieu. Malgré

le goût des riches habitants de ces forêts pour la chasse et pour les

objets de luxe qui en accompagnent le divertissement, Albert n'avait pas

un fusil, pas un couteau; et son vieux chien n'avait jamais appris la

_grande science_, en raison de quoi Cynabre était un sujet de mépris et

de pitié pour le baron Frédérick. Albert avait horreur du sang; et

quoiqu'il parût jouir de la vie moins que personne, il avait pour l'idée

de la vie en général un respect religieux et sans bornes. Il ne pouvait

ni donner ni voir donner la mort, même aux derniers animaux de la

création. Il eût aimé toutes les sciences naturelles; mais il s'arrêtait

à la minéralogie et à la botanique. L'entomologie lui paraissait déjà une

science trop cruelle, et il n'eût jamais pu sacrifier la vie d'un insecte

à sa curiosité.

Consuelo savait ces particularités. Elle se les rappelait en voyant les

attributs des innocentes occupations d'Albert. Non, je n'aurai pas peur,

se disait-elle, d'un être si doux et si pacifique. Ceci est la cellule

d'un saint, et non le cachot d'un fou. Mais plus elle se rassurait sur la

nature de sa maladie mentale, plus elle se sentait troublée et confuse.

Elle regrettait presque de ne point trouver là un aliéné, ou un moribond;

et la certitude de se présenter à un homme véritable la faisait hésiter

de plus en plus.

Elle rêvait depuis quelques minutes, ne sachant comment s'annoncer,

lorsque le son d'un admirable instrument vint frapper son oreille:

c'était un Stradivarius chantant un air sublime de tristesse et de

grandeur sous une main pure et savante. Jamais Consuelo n'avait entendu

un violon si parfait, un virtuose si touchant et si simple. Ce chant lui

était inconnu; mais à ses formes étranges et naïves, elle jugea qu'il

devait être plus ancien que toute l'ancienne musique qu'elle connaissait.

Elle écoutait avec ravissement, et s'expliquait maintenant pourquoi

Albert l'avait si bien comprise dès la première phrase qu'il lui avait

entendu chanter. C'est qu'il avait la révélation de la vraie, de la

grande musique. Il pouvait n'être pas savant à tous égards, il pouvait ne

pas connaître les ressources éblouissantes de l'art; mais il avait en lui

le souffle divin, l'intelligence et l'amour du beau. Quand il eut fini,