37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 208

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En parlant ainsi, avec des yeux égarés et des traits animés par une

exaltation soudaine, Albert tournait autour de Consuelo, et reculait

avec une sorte d'épouvante chaque fois qu'elle faisait un mouvement pour

arrêter cette bizarre conjuration.

Il ne fallut pas à Consuelo de longues réflexions pour comprendre la

tournure que prenait la démence de son hôte. Elle s'était fait assez

souvent raconter l'histoire de Jean Ziska pour savoir qu'une soeur de ce

redoutable fanatique, religieuse avant l'explosion de la guerre hussite,

avait péri de douleur et de honte dans son couvent, outragée par un moine

abominable, et que la vie de Ziska avait été une longue et solennelle

vengeance de ce crime. Dans ce moment, Albert, ramené par je ne sais

quelle transition d'idées, à sa fantaisie dominante, se croyait Jean

Ziska, et s'adressait à elle comme à l'ombre de Wanda, sa soeur

infortunée.

Elle résolut de ne point contrarier brusquement son illusion:

«Albert, lui dit-elle, car ton nom n'est plus Jean, de même que le mien

n'est plus Wanda, regarde-moi bien, et reconnais que j'ai changé, ainsi

que toi, de visage et de caractère. Ce que tu viens de me dire, je venais

pour te le rappeler. Oui, le temps du zèle et de la fureur est passé. La

justice humaine est plus que satisfaite; et c'est le jour de la justice

divine que je t'annonce maintenant; Dieu nous commande le pardon et

l'oubli. Ces souvenirs funestes, cette obstination à exercer en toi

une faculté qu'il n'a point donnée aux autres hommes, cette mémoire

scrupuleuse et farouche que tu gardes de tes existences antérieures, Dieu

s'en offense, et te la retire, parce que tu en as abusé. M'entends-tu,

Albert, et me comprends-tu, maintenant?

--O ma mère! répondit Albert, pâle et tremblant, en tombant sur ses

genoux et en regardant toujours Consuelo avec un effroi extraordinaire,

je vous entends et je comprends vos paroles. Je vois que vous vous

transformez, pour me convaincre et me soumettre. Non, vous n'êtes plus la

Wanda de Ziska, la vierge outragée, la religieuse gémissante. Vous êtes

Wanda de Prachatitz, que les hommes ont appelée comtesse de Rudolstadt,

Et qui a porté dans son sein l'infortuné qu'ils appellent aujourd'hui

Albert.

--Ce n'est point par le caprice des hommes que vous vous appelez ainsi,

reprit Consuelo avec fermeté; car c'est Dieu qui vous a fait revivre dans

d'autres conditions et avec de nouveaux devoirs. Ces devoirs, vous ne les

connaissez pas, Albert, ou vous les méprisez. Vous remontez le cours des

âges avec un orgueil impie; vous aspirez à pénétrer les secrets de la

destinée; vous croyez vous égaler à Dieu en embrassant d'un coup d'oeil

et le présent et le passé. Moi, je vous le dis; et c'est la vérité, c'est

la foi qui m'inspirent: cette pensée rétrograde est un crime et une

témérité. Cette mémoire surnaturelle que vous vous attribuez est une

illusion. Vous avez pris quelques lueurs vagues et fugitives pour la

certitude, et votre imagination vous a trompé. Votre orgueil a bâti un

édifice de chimères, lorsque vous vous êtes attribué les plus grands

rôles dans l'histoire de vos ancêtres. Prenez garde de n'être point ce

que vous croyez. Craignez que, pour vous punir, la science éternelle ne

vous ouvre les yeux un instant, et ne vous fasse voir dans votre vie

antérieure des fautes moins illustres et des sujets de remords moins