37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 21

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personne, je n'ouvrirai pas ma barque à un homme qui a un bel habit pour

se promener et pas un coin pour dormir.

Jusqu'ici, pensa Anzoleto, la protection et les faveurs du comte

Zustiniani m'ont exposé à plus de périls et de désagréments qu'elles ne

m'ont procuré d'avantages. Il est temps que ma fortune réponde à mes

succès, et il me tarde d'avoir quelques sequins dans mes poches pour

soutenir le personnage qu'on me fait jouer.

Plein d'humeur, il se promena au hasard dans les rues désertes, n'osant

s'arrêter de peur de faire rentrer la transpiration que la colère et la

fatigue lui avaient causées. Pourvu qu'à tout ceci je ne gagne pas un

enrouement! se disait-il. Demain monsieur le comte va vouloir faire

entendre son jeune prodige à quelque sot aristarque, qui, si j'ai dans

le gosier le moindre petit chat par suite d'une nuit sans repos, sans

sommeil et sans abri, prononcera que je n'ai pas de voix; et monsieur le

comte, qui sait bien le contraire, dira: Ah! si vous l'aviez entendu

hier!--Il n'est donc pas égal? dira l'autre. Peut-être n'est-il pas

d'une bonne santé?--Ou peut-être, dira un troisième, s'est-il fatigué

hier. Il est bien jeune en effet pour chanter plusieurs jours de suite.

Vous feriez bien d'attendre qu'il fût plus mûr et plus robuste pour le

lancer sur les planches.--Et le comte dira: Diable! s'il s'enroue pour

avoir chanté deux airs, ce n'est pas là mon affaire.--Alors, pour

s'assurer que j'ai de la force et de la santé, ils me feront faire des

exercices tous les jours, jusqu'à perdre haleine, et ils me casseront la

voix pour s'assurer que j'ai des poumons. Au diable la protection des

grands seigneurs! Ah! quand pourrai-je m'en affranchir, et, fort de ma

renommée, de la faveur du public, de la concurrence des théâtres, quand

pourrai-je chanter dans leurs salons par grâce, et traiter de puissance

à puissance avec eux?

En devisant ainsi avec lui-même, Anzoleto arriva dans une de ces petites

places qu'on appelle _corti_ à Venise, bien que ce ne soient pas des

cours, et que cet assemblage de maisons, s'ouvrant sur un espace commun,

corresponde plutôt à ce que nous appelons aujourd'hui à Paris _cité_.

Mais il s'en faut de beaucoup que la disposition de ces prétendues cours

soit régulière, élégante et soignée comme nos _squares_ modernes. Ce

sont plutôt de petites places obscures, quelquefois formant impasse,

d'autres fois servant de passage d'un quartier à l'autre; mais peu

fréquentées, habitées à l'entour par des gens de mince fortune et de

mince condition, le plus, souvent par des gens du peuple, des ouvriers

ou des blanchisseuses qui étendent leur linge sur des cordes tendues en

travers du chemin, inconvénient que le passant supporte avec beaucoup de

tolérance, car son droit de passage est parfois toléré aussi plutôt que

fondé. Malheur à l'artiste pauvre, réduit à ouvrir les fenêtres de son

cabinet sur ces recoins tranquilles, où la vie prolétaire, avec ses

habitudes rustiques, bruyantes et un peu malpropres, reparaît tout à

coup au sein de Venise, à deux pas des larges canaux et des somptueux

édifices. Malheur à lui, si le silence est nécessaire à ses méditations;

car de l'aube à la nuit un bruit d'enfants, de poules et de chiens,

jouant et criant ensemble dans cette enceinte resserrée, les

interminables babillages des femmes rassemblées sur le seuil des portes,

et les chansons des travailleurs dans leurs ateliers, ne lui laisseront