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deux malheureux qui ne peuvent presque plus rien l'un pour l'autre!»
Elle se voyait seule, enfermée avec un mourant, mourante elle-même, et ne
pouvant plus attendre de secours pour elle et pour lui que de Zdenko dont
le retour lui semblait encore plus effrayant que désirable.
Sa prière parut frapper Albert d'une émotion inattendue.
«Quelqu'un prie à côté de moi, dit-il en essayant de soulever sa tête
accablée. Je ne suis pas seul! oh non, je ne suis pas seul, ajouta-t-il
en regardant la main de Consuelo enlacée aux siennes. Main secourable,
pitié mystérieuse, sympathie humaine, fraternelle! tu rends mon agonie
bien douce et mon coeur bien reconnaissant!»
Il colla ses lèvres glacées sur la main de Consuelo, et resta longtemps
ainsi.
Une émotion pudique rendit à Consuelo le sentiment de la vie. Elle n'osa
point retirer sa main à cet infortuné; mais, partagée entre son embarras
et son épuisement, ne pouvant plus se tenir debout, elle fut forcée de
s'appuyer sur lui et de poser son autre main sur l'épaule d'Albert.
«Je me sens renaître, dit Albert au bout de quelques instants. Il me
semble que je suis dans les bras de ma mère. O ma tante Wenceslawa! Si
c'est vous qui êtes auprès de moi, pardonnez-moi de vous avoir oubliée,
vous et mon père, et toute ma famille, dont les noms même étaient sortis
de ma mémoire. Je reviens à vous, ne me quittez pas; mais rendez-moi
Consuelo; Consuelo, celle que j'avais tant attendue, celle que j'avais
Enfin trouvée ... et que je ne retrouve plus, et sans qui je ne puis plus
respirer!»
Consuelo voulut lui parler; mais à mesure que la mémoire et la force
d'Albert semblaient se réveiller, la vie de Consuelo semblait s'éteindre.
Tant de frayeurs, de fatigues, d'émotions et d'efforts surhumains
l'avaient brisée, qu'elle ne pouvait plus lutter. La parole expira sur
ses lèvres, elle sentit ses jambes fléchir, ses yeux se troubler. Elle
tomba sur ses genoux à côté d'Albert, et sa tête mourante vint frapper le
sein du jeune homme. Aussitôt Albert, sortant comme d'un songe, la vit,
la reconnut, poussa un cri profond, et, se ranimant, la pressa dans
ses bras avec énergie. A travers les voiles de la mort qui semblaient
s'étendre sur ses paupières, Consuelo vit sa joie, et n'en fut point
effrayée. C'était une joie sainte et rayonnante de chasteté. Elle ferma
les yeux, et tomba dans un état d'anéantissement qui n'était ni le sommeil
ni la veille, mais une sorte d'indifférence et d'insensibilité pour toutes
les choses présentes.
XLIV.
Lorsqu'elle reprit l'usage de ses facultés, se voyant assise sur un lit
assez dur, et ne pouvant encore soulever ses paupières, elle essaya de
rassembler ses souvenirs. Mais la prostration avait été si complète, que
ses facultés revinrent lentement; et, comme si la somme de fatigues et
d'émotions qu'elle avait supportées depuis un certain temps fût arrivée à
dépasser ses forces, elle tenta vainement de se rappeler ce qu'elle était
devenue depuis qu'elle avait quitté Venise. Son départ même de cette
patrie adoptive, où elle avait coulé des jours si doux, lui apparut comme
un songe; et ce fut pour elle un soulagement (hélas! trop court) de
pouvoir douter un instant de son exil et des malheurs qui l'avaient causé.