37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 217

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lui, ni à moi, ni à toi-même. Dieu t'a réservé une existence à part, dont

je ne cherche ni ne prévois les circonstances; mais dont je connais le but

et la fin. Esclave et victime de ta grandeur d'âme, tu n'en recueilleras

jamais d'autre récompense en cette vie que la conscience de ta force et

le sentiment de ta bonté. Malheureuse au dire du monde, tu seras, en dépit

de tout, la plus calme et la plus heureuse des créatures humaines, parce

que tu seras toujours la plus juste et la meilleure. Car les méchants et

les lâches sont seuls à plaindre, ô ma soeur chérie, et la parole du

Christ sera vraie, tant que l'humanité sera injuste et aveugle:

_Heureux ceux qui sont persécutés!_ heureux ceux qui pleurent et qui

travaillent dans la peine!»

La force et la dignité qui rayonnaient sur le front large et majestueux

d'Albert exercèrent en ce moment une si puissante fascination sur

Consuelo, qu'elle oublia ce rôle de fière souveraine et d'amie austère

qui lui était imposé, pour se courber sous la puissance de cet homme

inspiré par la foi et l'enthousiasme. Elle se soutenait à peine, encore

brisée par la fatigue, et toute vaincue par l'émotion. Elle se laissa

glisser sur ses genoux, déjà pliés par l'engourdissement de la lassitude,

et, joignant les mains, elle se mit à prier tout haut avec effusion.

«Si c'est toi, mon Dieu, s'écria-t-elle, qui mets cette prophétie dans la

bouche d'un saint, que ta volonté soit faite et qu'elle soit bénie! Je

t'ai demandé le bonheur dans mon enfance, sous une face riante et puérile,

tu me le réservais sous une face rude et sévère, que je ne pouvais pas

comprendre. Fais que mes yeux s'ouvrent et que mon coeur se soumette.

Cette destinée qui me semblait si injuste et qui se révèle peu à peu, je

saurai l'accepter, mon Dieu, et ne te demander que ce que l'homme a le

droit d'attendre de ton amour et de ta justice: la foi, l'espérance et la

charité.»

En priant ainsi, Consuelo se sentit baignée de larmes. Elle ne chercha

point à les retenir. Après tant d'agitation et de fièvre, elle avait

besoin de cette crise, qui la soulagea en l'affaiblissant encore. Albert

pria et pleura avec elle, en bénissant ces larmes qu'il avait si longtemps

versée dans la solitude, et qui se mêlaient enfin à celles d'un être

généreux et pur.

«Et maintenant, lui dit Consuelo en se relevant, c'est assez penser à

nous-mêmes. Il est temps de nous occuper des autres, et de nous rappeler

nos devoirs. J'ai promis de vous ramener à vos parents, qui gémissent

dans la désolation, et qui déjà prient pour vous comme pour un mort. Ne

voulez-vous pas leur rendre le repos et la joie, mon cher Albert? Ne

voulez-vous pas me suivre?

--Déjà! s'écria le jeune comte avec amertume; déjà nous séparer! Déjà

quitter cet asile sacré où Dieu seul est entre nous, cette cellule que je

chéris depuis que tu m'y es apparue, ce sanctuaire d'un bonheur que je ne

retrouverai peut-être jamais, pour rentrer dans la vie froide et fausse

des préjugés et des convenances! Ah! pas encore, mon âme, ma vie! Encore

un jour, encore un siècle de délices. Laisse-moi oublier ici qu'il existe

un monde de mensonge et d'iniquité, qui me poursuit comme un rêve funeste;

laisse-moi revenir lentement et par degrés à ce qu'ils appellent la

raison. Je ne me sens pas encore assez fort pour supporter la vue de leur

soleil et le spectacle de leur démence. J'ai besoin de te contempler,