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résolution soudaine et sans de longues réflexions; ma retraite affreuse
et bienfaisante, lieu d'expiation terrible et salutaire, où j'arrive en
courant et sans détourner la tête, où je me plonge avec une joie sauvage,
et dont je m'éloigne toujours avec des hésitations trop fondées et des
regrets trop durables! Tu ne sais pas quels liens puissants m'attachent à
cette prison volontaire, Consuelo! tu ne sais pas qu'il y a ici un moi
que j'y laisse, et qui est le véritable Albert, et qui n'en saurait
sortir; un moi que j'y retrouve toujours, et dont le spectre me rappelle
et m'obsède quand je suis ailleurs. Ici est ma conscience, ma foi, ma
lumière, ma vie sérieuse en un mot. J'y apporte le désespoir, la peur,
la folie; elles s'y acharnent souvent après moi, et m'y livrent une lutte
effroyable. Mais vois-tu, derrière cette porte, il y a un tabernacle où
je les dompte et où je me retrempe. J'y entre souillé et assailli par le
vertige; j'en sors purifié, et nul ne sait au prix de quelles tortures
j'en rapporte la patience et la soumission. Ne m'arrache pas d'ici,
Consuelo; permets que je m'en éloigne à pas lents et après avoir prié.
--Entrons-y, et prions ensemble, dit Consuelo. Nous partirons aussitôt
après. L'heure s'avance, le jour est peut-être près de paraître. Il faut
qu'on ignore le chemin qui vous ramène au château, il faut qu'on ne vous
voie pas rentrer, il faut peut-être aussi qu'on ne nous voie pas rentrer
ensemble: car je ne veux pas trahir le secret de votre retraite, Albert,
et jusqu'ici nul ne se doute de ma découverte. Je ne veux pas être
interrogée, je ne veux pas mentir. Il faut que j'aie le droit de me
renfermer dans un respectueux silence vis-à-vis de vos parents, et de
leur laisser croire que mes promesses n'étaient que des pressentiments et
des rêves. Si on me voyait revenir avec vous, ma discrétion passerait
pour de la révolte; et quoique je sois capable de tout braver pour vous,
Albert, je ne veux pas sans nécessité m'aliéner la confiance et
l'affection de votre famille. Hâtons-nous donc; je suis épuisée de
fatigue, et si je demeurais plus longtemps ici, je pourrais perdre le
reste de force dont j'ai besoin pour faire ce nouveau trajet. Allons,
priez, vous dis-je, et partons.
--Tu es épuisée de fatigue! repose-toi donc ici, ma bien-aimée! Dors,
je veillerai sur toi religieusement; ou si ma présence t'inquiète, tu
m'enfermeras dans la grotte voisine. Tu mettras cette porte de fer entre
toi et moi; et tant que tu ne me rappelleras pas, je prierai pour toi
dans _mon église_.
--Et pendant que vous prierez, pendant que je me livrerai au repos, votre
père subira encore de longues heures d'agonie, pâle et immobile, comme je
l'ai vu une fois, courbé sous la vieillesse et la douleur, pressant de
ses genoux affaiblis le pavé de son oratoire, et semblant attendre que la
nouvelle de votre mort vienne lui arracher son dernier souffle! Et votre
pauvre tante s'agitera dans une sorte de fièvre à monter sur tous les
donjons pour vous chercher des yeux sur les sentiers de la montagne!
Et ce matin encore on s'abordera dans le château, et on se séparera le
soir avec le désespoir dans les yeux et la mort dans l'âme! Albert, vous
n'aimez donc pas vos parents, puisque vous les faites languir et souffrir
ainsi sans pitié ou sans remords?
--Consuelo, Consuelo! s'écria Albert en paraissant sortir d'un songe, ne